Réforme de la formation professionnelle : le texte des occasions manquées

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Par Hervé Morin Publié le 7 février 2014 à 10h47

Le volet formation professionnelle du texte de loi relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale aurait pu marquer notre législature, il rejoindra malheureusement le cimetière des lois inachevées…

Ce sujet est essentiel, tout le monde l’a dit : se former tout au long de la vie professionnelle, accompagner la création de nouveaux métiers en faisant émerger de nouvelles spécialisations, offrir aux salariés plus de sécurité dans un environnement économique en mutation constante : donner plus de confiance aux français dans l’avenir grâce notamment à un système de formation qui marche et cesser d’empiler des règles et des carcans , construire des murailles dans le code du travail censées protéger mais qui finalement s’effondrent toujours .

Souvent par manque de courage, on ne dit jamais assez que l’économie et la croissance c’est un cycle permanent de destruction et de création d’emplois, et non cette idée fausse d’une pérennité infinie des emplois et des postes, d’où l’importance des politiques d’anticipation et de formation. Ce qu’il faut c’est protéger la personne en lui permettant d’évoluer plutôt que de tenter de protéger des emplois qui de toute façon disparaîtront !

Ce texte était également l’occasion de donner corps aux recommandations des nombreux rapports, aussi unanimes les uns que les autres, dénonçant le gaspillage ou le manque d’efficacité des 32 milliards des fonds de la formation professionnelle et son organisation aussi opaque qu’inefficace.

Quand ce texte sera voté, très peu de choses auront réellement changé…

Les objectifs du projet - sécuriser les parcours professionnels, déployer le compte personnel de formation, améliorer l’accès à la formation de ceux qui en ont le plus besoin, faire de la formation professionnelle un investissement de compétitivité dans l’entreprise - sont aussi ambitieux que les propositions issues des partenaires sociaux sont inabouties. Nous sommes en face d’une réforme embryonnaire qui tente de simplifier l’énorme tuyauterie de la formation sans remettre en cause son architecture principale, source pourtant de tous les dysfonctionnements dont souffre notre système.

Considérons les enjeux les uns après les autres !

La formation des individus d’abord.

Le CPF succède au DIF, il y a bien la portabilité mais très peu d’autonomie supplémentaire et très peu également de droits nouveaux pour les salariés et les demandeurs d’emplois. On change de sigle pour donner l’apparence du changement pour que rien ne change. C’est très classique dans l’administration française ! Le volume d’heures de formation reste en effet trop faible : 150 heures de formation sur 9 ans c’est à peine 30 heures supplémentaires par rapport au Dif et c’est l’équivalent d’un mois de formation ! Libellé en euros, cela représente une enveloppe de 240 euros par an et par individu, en prenant pour référence l’heure de formation du DIF fixé par décret. Un chiffre à la fois très éclairant et édifiant au regard des immenses besoins nécessaires pour développer l’employabilité des salariés les plus précaires et des chômeurs face aux défis des mutations technologiques et de la concurrence internationale.

En quoi ce dispositif va-t-il permettre de corriger les très fortes inégalités d’accès à la formation entre qualifiés et moins qualifiés ?

Le CPF est en effet un dispositif uniforme qui ne tient pas compte du salaire, alors qu’il aurait fallu augmenter les ressources au profit des individus les moins employables, prendre en compte la distance de la personne par rapport à l’emploi et ses besoins de nouvelles compétences.

Deuxième enjeu, réduire l’opacité du système : là aussi la réforme est un échec.

Le rôle prépondérant et ambigüe des OPCA, à la fois collecteur et redistributeur des fonds aux salariés, est maintenu. Le manque de lisibilité dans les critères de choix des formations éligibles au CPF est lui renforcé ! Si les OPCA ont peu d’utilité pour les salariés les moins qualifiés, ils en ont beaucoup pour les appareils syndicaux et d’ailleurs, le patronat si prompt à dénoncer l’absence de courage des politiques, appelant toujours à des réformes systémiques, condamnant les connivences de tous ordres, nous donne un bien bel exemple qu’il nous appartiendra de ne pas oublier.

Ce projet de loi renforce le pouvoir des partenaires sociaux sur le système de certification des formations éligibles au CPF en accentuant cette pratique qui oriente trop souvent la manne financière de la formation professionnelle vers des prestataires « proches » des dits partenaires.

Est-il indispensable de disposer en France de près de 60.000 prestataires bénéficiant pour certains d'un agrément discutable, contre moins de 4.000 en Allemagne ? On retrouve dans la formation la même question que celle du nombre infini des branches …. Autre sujet interdit de débat …..

Troisième enjeu et troisième échec : l’efficacité des dépenses

Dans ce projet de loi ne figure aucune mesure d’évaluation de ces dépenses de formation puisqu’on maintient un marché de la formation éclaté et pléthorique, source de saupoudrage et donc d’inefficacité où l’entreprise doit toujours passer par les OPCA.

3 enjeux, 3 échecs, c’est d’autant plus décevant que des solutions existent !

D’abord, il faut supprimer tout plafond relatif à l’alimentation du compte personnel de formation. Dans l’état du texte, il sera crédité de 24 heures par année de travail à temps complet, tout au long de la carrière du salarié. Cette solution est censée permettre aux collaborateurs de toutes les entreprises - et je pense plus particulièrement aux salariés des TPE et PME - d’accumuler un capital de formation conséquent qui pourrait être utilisé ensuite dans une logique de reconversion/réorientation professionnelle. Or, tout le monde le sait c’est au moins 500 heures qu’il faut.

S’agissant de la réduction des fortes inégalités d’accès à la formation entre qualifiés et moins qualifiés, il est nécessaire de mettre en place un système d’abondements inversement proportionnels à la formation initiale de la personne. Le système proposé, avec une logique de notation liée à la formation initiale, aurait le mérite de proposer un mécanisme réduisant les inégalités. En clair, la République a dépensé moins pour vous à l’école, elle dépensera plus pour vous dans l’avenir si vous en avez besoin.

Enfin, on peut s’interroger sur la nature des formations éligibles au titre du CPF qui s’apparente à une usine à gaz, avec des listes qui seront établies par les partenaires sociaux. Pourquoi ne pas avoir opté pour une politique d’évaluation et de certification indépendante des formations à travers la création d’une agence de certification indépendante ? Inspirons-nous du Danemark qui a fait ce choix à travers une agence nationale publique indépendante relevant du Parlement qui évalue la formation continue.

Enfin, il eut été judicieux d’instituer un crédit d’impôt pour toute personne qu’elle soit salariée ou à la recherche d’un emploi abondant à son initiative son Compte Personnel de formation. Les sommes déductibles viendraient en déduction de l’impôt sur le revenu.

Ce projet de loi est le texte des occasions manquées : frilosité, maintien de l’opacité, manque d’efficacité, persistance de la complexité ! Autrement dit… un petit pas dans la complexité du système et certainement pas le grand pas dont les Français ont besoin dans ce monde nouveau.

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Ancien Ministre. Président du Nouveau Centre et du conseil national de l’UDI.

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