Abus sexuels : petite réflexion sur la signification de l’adjectif « systémique »

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Par Jacques Bichot Publié le 11 janvier 2022 à 5h33
Tribunal Cour Appel Expedia Clause Abusive Contrat Concurrence
94%94% de violences sexuelles ne sont pas liées à l'Eglise.

Le rapport Sauvé relatif aux abus sexuels commis par des personnes jouissant d’une certaine autorité ou respectabilité dans la partie catholique de la population française a fait grand bruit. Comme on pouvait s’y attendre, l’église catholique en a « pris pour son grade ».

L’accusation principale, introduite page 41 de ce volumineux rapport, est l’affirmation du caractère « systémique » des abus sexuels perpétrés par des prêtres, des religieux et des personnes assumant des fonctions au sein de l’église catholique de France. L’emploi de ce qualificatif étant ce qui permet de jeter l’opprobre sur cette institution, il est important de s’interroger à son sujet. Pour procéder à cet examen, commençons par quelques données factuelles, pour la plupart présentes dans le rapport Sauvé.

Statistique de la délinquance sexuelle

Une enquête menée par l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale), et abondamment citée par le rapport Sauvé, montre l’importance de la délinquance sexuelle dans notre pays : « 14,5 % des femmes et 6,4 % des hommes, soit environ 5 500 000 personnes, ont subi pendant leur minorité de telles violences ». Il s’agit donc d’un drame de grande ampleur. Mais la part de membres de l’Eglise dans cette infamie est bien inférieure à ce que pourrait faire croire la stigmatisation de cette institution : « Les violences commises par des clercs, des religieux et des religieuses représentent un peu moins de 4 % de ce total ». Si l’on y ajoute les violences sexuelles commises par d’autres personnes « en lien avec l’Eglise catholique », le pourcentage passe à 6 %. Certes, il faut s’occuper des horreurs qui relèvent de ce 6%, mais passer le plus rapidement possible sur les 94 % de violences sexuelles commises sans rapport avec l’institution ecclésiale relève d’une bien curieuse conception de la recherche.

Certes, le rapport reconnaît que « la grande majorité des violences sexuelles sur mineurs ont été perpétrées dans le cadre familial ou amical ». Il indique qu’en France métropolitaine « 3,7 % des personnes aujourd’hui âgées de plus de 18 ans ont été agressées, étant alors mineures, par un membre de leur famille, 2 % par un ami de la famille, et 1,8 % par un ami ou un copain ». Mais il ne s’intéresse pas vraiment au phénomène pédophile dans son ensemble, ce qui donne l’impression que la délinquance sexuelle n’est vraiment grave, vraiment condamnable, aux yeux des rédacteurs du rapport, que si elle provient d’un ministre du culte.

L’église catholique serait-elle le grand danger qui guette nos enfants ?

Sachant cela, le lecteur du rapport aimerait évidemment savoir pourquoi ses auteurs s’intéressent au caractère « systémique » de la délinquance sexuelle uniquement quand elle est pratiquée par des ecclésiastiques au sens large du terme. Mettre sur la sellette seulement une institution, alors que les abus sexuels se produisent de façon (hélas !) beaucoup plus large, n’a rien d’un choix anodin. Ne s’agirait-il pas d’une sorte de Delenda Cartago, le fameux « il faut détruire Cartage » par lequel Caton l’ancien, deux siècles avant notre ère, parvint à convaincre les Romains d’engager une lutte à mort contre la dernière puissance faisant obstacle à leur suprématie en Méditerranée ?

Si le clergé était vraiment un réservoir de pédophiles alors, bien sûr, la diminution du nombre de ses membres serait une bonne chose. Il est donc intéressant, pour qui souhaite accélérer cette diminution, de braquer le projecteur sur les infamies commises par certaines brebis galeuses plutôt que sur ce que font de bien la majorité des prêtres, religieux, religieuses et laïcs travaillant au service d’une paroisse, d’un évêché ou d’une « oeuvre » ecclésiale. Il est facile de jeter le discrédit sur une institution prompte à battre sa coulpe en en dressant un tableau très noir. L’absence de comparaison sérieuse avec ce qui se passe dans les autres lieux de rencontre et de sociabilité permet de présenter comme une perversité extraordinaire, spécifique à l’Eglise, ce qui est hélas un mal très répandu dans notre pays et dans beaucoup d’autres.

« Systémique », un mot utilisé comme une arme

En France, l’Eglise catholique est en perte de vitesse. Le nombre de ses « ministres » (les prêtres) a fortement diminué. Dans la revue Population, en 1983, Hervé Le Bras et Monique Lefebvre publiaient déjà un article sur le sujet ayant pour titre : Une population en voie d’extinction : le clergé français. La tendance s’est poursuivie ; la pratique religieuse continue à régresser. La plupart des ecclésiastiques, conscients de ce phénomène, sont placés dans une situation d’infériorité, et développent un complexe qui leur rend difficile de réagir autrement qu’en faisant le dos rond. L’Eglise de France est devenue une ambulance, et malheureusement il aura toujours des gens pour tirer sur les ambulances. L’usage de l’adjectif « systémique » est inadéquat pour qualifier des abus sexuels certes scandaleux, mais qui ne constituent en aucune manière un comportement spécifique à la gent ecclésiastique. En revanche, il convient parfaitement pour monter en épingle la responsabilité d’une institution, l’Eglise catholique, qui n’est certes pas une « sainte mère », mais qui n’en est pas moins à l’origine d’une partie importante des progrès en humanité réalisés depuis vingt siècles.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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