Accords transatlantiques Etats-Unis-Europe : Non aux arbitrages privés !

Par Bertrand de Kermel Modifié le 3 décembre 2013 à 2h20

Voulons-nous transférer une part de notre souveraineté au profit du secteur marchand international ? La question est posée, car c’est ce qui est prévu dans les deux projets d’accords sur les échanges et les investissements Canada – Union Européenne et Etats Unis– Union Européenne.

La « foire aux questions » que l’UE a mise en ligne sur ces négociations est très claire. On peut y lire : « Les mesures pour protéger les investisseurs n’empêcheront pas les gouvernements d’adopter des lois et ne les contraindront pas à en abroger. Elles peuvent tout au plus entraîner le paiement d’indemnisations ». Oui, vous avez bien lu ! De quoi s’agit-il exactement ? L’Union Européenne n’ose pas le préciser, car cette petite phrase sibylline concerne des milliards d’euros. Par exemple, si une loi environnementale ou sociétale a pour effet de baisser le bénéfice potentiel d’un investisseur étranger, celui-ci pourra réclamer de forts dommages et intérêts à l’Etat concerné.

Accords transatlantiques : l'arbitrage va supplanter la Justice

On est donc en train de légitimer politiquement et juridiquement le contrôle, par des investisseurs étrangers, de l’action des Etats européens dans le domaine de l’intérêt général. Les peuples vont perdre leur capacité à décider souverainement de leurs lois. Pour cela, l’UE propose de court-circuiter les tribunaux nationaux, et donc les lois nationales, en créant un tribunal supra-national, dénommé « panel d’arbitrage », qui ne pourra être sais que par les investisseurs étrangers… C’est un tour de passe passe.

L’argument officiellement avancé ? Dans sa « foire aux questions » elle déclare avoir la « conviction » que c’est mieux ainsi. Sous entendu : les tribunaux européens et américains ne sont pas à la hauteur, il faut donc les contourner. Ils apprécieront ! D’autant plus qu’il n’y a aucun problème entre ces deux continents dans le domaine des investissements.

La vraie raison est ailleurs. Par construction, ce «panel d’arbitrage» ne pourra pas prendre en compte l’intérêt général et les dimensions sociale, environnementale, de santé etc. Il ne pourra juger que l’application des accords transatlantiques, c’est à dire les seuls points concernant le business et les investissements. Le profit potentiel baisse ou ne baisse pas. Point. Le profit à court terme (qui est un aspect de l’économie, mais pas le seul), est ainsi « légalement » érigé en priorité absolue en Europe. Pour cela, il faut bien sûr s’affranchir des Lois nationales et des tribunaux nationaux.

Ce n’est pas tout : dans sa « foire aux questions » l’Union Européenne avoue qu’elle ne peut même pas garantir que ce « panel d’arbitrage » pourra fonctionner de façon impartiale et surtout transparente ! Oups ! Alors que le grand défi à relever par les Chefs d’Etats de la planète en ce début du 21ème siècle est la prise en compte des dimensions sociale et environnementale dans les échanges mondiaux pour mettre fin aux abus[1], l’Union Européenne fait l’inverse.

Il faut suspendre la négociation des accords transatlantiques

Alors que l’Union Européenne a l’obligation juridique de promouvoir dans toutes ses actions le développement durable (article 3 du Traité sur l’Union Européenne), elle ne trouve rien de mieux que de le rendre payant, et, tant qu’à faire, de prévoir le prix fort ! Les Chefs d’Etats doivent exiger l’arrêt immédiat de toute négociation sur le volet « investissements » et sur le volet « règlement des différends ».

Les différends portant sur les échanges mondiaux doivent être réglés, entre Etats souverains à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Pas ailleurs. Pas autrement. Les problèmes rencontrés par les investisseurs étrangers et nationaux doivent être réglés sans donner un avantage aux uns par rapport aux autres. C’est donc aux Tribunaux nationaux de les juger. Les Peuples des démocraties doivent rester Maîtres chez eux.

Les articles de presse déjà en ligne sur Internet, et le rapport « World Investment Report » de la Cnuced sont édifiants. Vous trouverez sur : www.pauvrete-politique.com une analyse détaillée du problème, les principales questions qu’il pose, et nos propositions pour sortir de l’impasse en utilisant l’Organisation Mondiale du Commerce.

L’enjeu de tout cela ? La souveraineté, la pauvreté, la captation de richesses...


[1] Par ex : incendie d’une usine textile du Bangladesh dans lequel 1.100 personnes ont été brûlées vives, dumpings fiscal, social et environnemental trop fréquents, trop souvent exploitation des adultes et des enfants au mépris de la charte de l’ONU, trop souvent normes sanitaires non respectées, etc

Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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