Vaut-il mieux l’argent américain ou chinois ?

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Par Jean-Yves Archer Modifié le 18 juin 2013 à 4h56

L'Europe a une longue tradition de collaboration économique avec les Etats-Unis : il suffit de songer aux IDE ( investissements directs étrangers ) réalisés par l'Amérique depuis le plan Marshall de l'après-guerre. La situation a toutefois changé car les Etats-Unis ont réussi à se doter de géants à visée monopolistique tels que Google, Amazon, Microsoft ou Apple. Face à cette déferlante commerciale de haut de gamme et vitale, l'Europe est divisée et fragmentée. A preuve les négociations bilatérales engagées entre la France et les Etats-Unis. Les enjeux sont sérieux tout comme les risques à la fois sanitaires et agricoles.

L'objectif des Etats-Unis est le maintien de son leadership économique

Au final de cette négociation, aurons-nous encore la possibilité de conserver les dominantes de notre art de vivre ? Rien n'est moins sûr. Aurons-nous un espace de liberté d'innovation viable ? Rien n'est moins sûr. Donc, il est probablement risqué de rentrer dans ce tête à tête alors que nous devrions nous souvenir que quelques pays unis ont su générer Airbus qui fait plus que tenir tête à Boeing.

L'argent américain viendra en France pour acquérir quelques brevets, quelques briques manquantes dans le mur du profit que sait construire New-York ou la Silicon Valley. Parallèlement, ne soyons pas naïfs sur l'ouverture du marché U.S à nos produits qui sont hélas souvent substituables. Enfin, les apports de capitaux américains seront nécessairement refroidis par les taux d'imposition de la France, taux qui ne vont pas se stabiliser à court ou moyen terme. Si la pratique de l'Amérique nous est plus familière, nous devons comprendre qu'il s'agit d'un pays qui lutte désormais pour le maintien ( d'ici à 2030 ? ) de son leadership économique mondial et que ses exigences vont être plus vives.

En détenant d'avantage de dettes, la Chine peut paralyser diplomatiquement l'Europe

Pour ce qui concerne la Chine, l'équation est plus subtile. D'un côté, les Chinois peuvent gagner du temps en achetant de grandes entreprises européennes et en accédant plus vite à un stade supérieur de technologies ou de services. Je songe ici à des firmes expertes comme Veolia ou Gdf Suez voire Sanofi. Autrement dit, la Chine risque d'être en quête affichée de croissance externe. Parallèlement, elle peut investir ponctuellement mais stratégiquement comme dans le cas du port du Pirée en Grèce. A l'instar du Qatar mais plus massivement.

Cela peut représenter un jeu à somme mutuellement gagnante mais cela peut tourner à la délocalisation des centres de décision puis de production comme dans le sinistre cas d'Arcelor Mittal. Notre champion de l'acier mondial rapté par une OPA très largement payée en titres Mittal dont le groupe affiche aujourd'hui trente milliards d'euros de dettes...

A côté de cette logique sectorielle de détentions de titres, la Chine peut décider de détenir davantage d'euros et de dettes souveraines pour mieux nous paralyser diplomatiquement et mieux faire de notre monnaie un aiguillon contre le dollar. Notamment en Afrique où la percée chinoise est chaque année plus manifeste. De plus, cette stratégie conduirait à surévaluer l'euro ce qui faciliterait la pénétration des biens et marchandises chinoises en facilitant de facto les importations et en rendant plus difficiles nos ventes.

De toutes les façons, l'exemple aéronautique est là pour démontrer que les belles ventes à la Chine se font au prix de vrais transferts de technologies. Là réside un défi considérable qui complète celui – non négligeable – des pratiques de contrefaçons. Face à ce tableau qui peut paraître sombre, il faut garder en mémoire des réussites françaises en Chine et des joint-ventures réussies en France. Pour l'instant un groupe comme L'Air liquide a su mener un cap crédible.

Si l'Europe ferme ses frontière, elle perdra 2 milliards de consommateurs chinois

Les questions qui demeurent sont nombreuses mais citons en quatre :

1) Avons-nous le choix de ce commerce imposé face à un tel différentiel de prix ?
Fermer nos frontières serait tirer un trait sur un marché de deux milliards de consommateurs chaque jour plus établis du fait de la hausse des salaires que connait la Chine.
2) Avons-nous le choix de faire tourner nos ordinateurs sans Google ou Microsoft ?
Non, alors acceptons la contrainte et tentons de composer et non de riposter stérilement ( projet Chirac de Google français ou projet Galiléo de GPS européen actuellement englué ).
3) Avons-nous intérêt au bilatéralisme ? Non, clairement.
4) Avons-nous intérêt à constituer des cercles de pays à préoccupations convergentes ( Allemagne, France, Bénélux, etc ) qui engageraient un multilatéralisme pertinent ? Oui, sans doute.

Zhou en Laï a dit un jour : " Les deux Grands dorment ensemble mais ne font pas le même rêve " : il visait à l'époque les négociations sur le désarmement ouvertes entre les Etats-Unis et l'U.R.S.S. De nos jours ce sont l'Amérique et la Chine qui dorment ensemble ( voir les produits américains comme Apple fabriqués en Chine ) mais elles ne font pas le même rêve d'autant que l'une est créancière de l'autre. Ces deux grandes Nations s'affrontent parfois devant l'OMC ( Organisation mondiale du Commerce ) mais au fond elles trouveront une zone de dialogue : un no man's land où leurs compétitions viendront à s'équilibrer.

Pour l'Europe à la gouvernance incertaine et à la crise de production plus que sévère, l'avenir va être plus complexe. Dans l'idéal, nous devrions jouer entre les deux concurrents pour tirer notre épingle du jeu. En réalité, comme aurait pu le dire le regretté Jean-François Deniau, l'Europe est mal embarquée. Le savoir et l'admettre est déjà un mieux et un pas vers une moindre débâcle : de la lucidité nait parfois la pertinence de l'action !

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Jean-Yves Archer est énarque ( promotion Léonard de Vinci ), économiste et fondateur de Archer 58 Research : société de recherches économiques et sociales. Depuis octobre 2011, il est membre de l’Institut Français des Administrateurs (IFA).  

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