Affaire Baupin : la désastreuse contre-offensive médiatique de son avocat

Photo Jean Baptiste Giraud
Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 13 juin 2016 à 8h59
Denis Baupin Harcelement Sexuel
3Trois victimes présumées ont porté plainte contre Denis Baupin pour harcèlement sexuel - Creative Commons : Marie-Lan Nguyen

L'affaire Baupin entre dans une nouvelle phase, très intéressante, et classique de ce genre d'affaires : l'avocat de Denis Baupin est parvenu à se faire interviewer par Le Point, Canal+ et Europe 1, à publier une tribune sur le Huffington Post, et à faire fuiter quelques SMS à L'Obs... afin de décrypter ce que les messages échangés entre l'ancien vice-président de l'Assemblée Nationale et ses accusatrices révèlent vraiment. Sauf que c'est l'inverse de l'effet escompté qui va se produire...

L'accusé devenant accusateur. "La meilleur défense, c'est l'attaque". Maître Pierrat, avocat de Denis Beaupin poursuivi par trois plaintes (pour l'instant) pour harcélement et agressions sexuelles, a décidé de déployer les grands moyens pour tenter de faire taire les plaignantes en les humiliant et en leur faisant peur. Et accessoirement de décourager les autres de saisir à leur tour la justice.

L'arme fatale, les très modernes SMS, tout nouveaux dans ce genre de procédure, censés démontrer que les femmes harcelées étaient parfaitement conscientes et consentantes. C'est toujours le même argument qui revient dans la bouche des conseils des pervers sexuels, poursuivis pour harcélement : "entre adultes consentants". Eux, et leurs clients, pensent que leur vision des relations entre les hommes et les femmes, les premiers étant forcément des prédateurs, les seconds, des proies à leur disposition, est la seule possible, la seule vraie, la seule juste.

Le harcélement sexuel ne peut pas être confondu avec le libertinage

Mais ce que Maitre Pierrat n'a pas anticipé, c'est que désormais, la done a légérement changé. Si l'affaire DSK, quand elle a éclaté, a malheureusement été traitée sur le ton de la grivoiserie, si la pauvre Tristane Banon avait été décrite par certains, par beaucoup, comme une allumeuse qui ne savait pas ce qu'elle voulait, si la femme de chambre du Sofitel a, pour beaucoup trop, surtout fait une "bonne affaire", l'affaire Baupin survient dans un contexte nouveau. Oui, le harcélement sexuel existe. Oui, ce comportement est répréhensible. Non, il ne peut pas être confondu avec le libertinage. Et oui, Denis Baupin sera poursuivi, trois victimes ont déja porté plainte, et d'autres suivront probablement, malgré les efforts de son avocat pour tenter d'ériger des digues médiatiques aussi honteuses qu'inefficaces.

En effet, quand Maitre Pierrat exibe des SMS dans les médias qui l'invitent ou lui offrent une tribune, afin de prendre la défense de son client (oubliant que l'avocat est un acteur expert du droit, quand les vicitmes, sont des victimes sujets de droit, ce qui ne les place pas du tout sur un même pied d'égalité !), il révéle aux yeux de tous que Denis Baupin est d'abord.. un calculateur manipulateur, parfaitement conscient de ses actes, et de la conséquence qu'ils pourraient avoir plus tard !

Quel séducteur prendrait le risque de conserver l'intégralité
des messages SMS qu'il envoie à ses "nombreuses conquêtes" ?

Car enfin, soyons un peu sérieux. Quel séducteur -si tant est que l'on puisse acoller cet adjectif normalement flatteur à son nom- qui plus est en couple, prendrait le risque de conserver l'intégralité des messages SMS qu'il envoie à ses nombreuses conquêtes, proies ? Le bon sens évident consiste en effet à effacer les messages à connotation sexuelle, afin de ne pas laisser de traces, et ne pas risquer de se faire pincer ! Soit, par un conjoint jaloux, soit, par un collaborateur ou une collaboratrice qui pourrait le faire chanter avec. Il suffit de parcourir les articles donnant des "conseils" aux personnes tentées par des aventures adultérines pour retrouver partout la même recommandation. Ce n'est pas un hasard non plus si DSK avait 3, ou 4 téléphones mobiles en sa possession, dont un réservé à l'organisation de sa vie intime si particulière, mais assumée.

Or, voilà que Maître Pierrat affirme que les vicitmes, plaignantes, ont été entendues par la police "sans avoir accès à leurs SMS", ce qui, au stade actuel de la procédure, n'est effectivement pas impossible, mais surtout, ni étonnant, ni nécessaire, et même plutôt habile de la part des conseils des victimes si cela est vrai. Ce genre de preuves, ou plutôt, de "commencements de preuve" selon le terme juridique consacré, ne se produit pas au début de l'instruction, mais à la fin pour terminer d'emporter la conviction des enquêteurs et du procureur... Mais, mieux encore, Maitre Pierrat promet, sur LePoint.fr "je fournirai le téléphone portable de mon client" Un Blackberry qui a pour caractéristique de tout conserver. Même ce qui a pu être effacé".

Maiïtre Pierrat : "Je fournirai le téléphone portable de mon client"

Et là, c'est magique ! Le défenseur de Denis Baupin explique ouvertement que son client a, non seulement conservé sciemment les messages échangés avec des collègues de travail, des femmes politiques, y compris ceux à connotation sexuelle, ce qui est réprimé par l'article 222-33 du Code Pénal. Mais il reconnaît également à l'avance que certains messages ont pu être effacés. Et affirme, pensant vraiment prendre les enquêteurs et les magistrats pour des imbéciles, qu' "un Blackberry a pour caractéristique de tout conserver, même ce qui a pu être effacé". Tout ceux qui connaissent un peu les smartphones et leurs OS (operating system) savent pertinemment que l'on peut fabriquer la base de données de messages SMS que l'on veut, à partir du fichier d'origine, auquel on aura soustrait les messages compromettants, pour y ajouter ceux qui changeront la vérité ! Et ce, pour iOs, Android, et Blackberry, pour ne citer que ceux-là.

Bien évidemment, dès que le premier témoignage d'une victime (présumée) de Denis Baupin est sorti dans les médias, des conseils bien avisés se sont empressés de confisquer le téléphone de l'interessé pour le remplacer par un autre. Le téléphone qui sera remis à la police -contrairement au téléphone que la police aurait saisi au cours d'une perquisition ou à l'occasion d'une interpellation et d'une garde à vue- aura été soigneusement préparé par des experts en informatique. Dans ce téléphone, quand il sera analysé, si toutefois les enquêteurs font semblant de se faire berner par le stratagème, on y trouvera des messages, "en clair", et d'autres "effacés", et tout cela racontera l'histoire que les conseils de Denis Baupin auront préparée ! Du libertinage, des femmes qui se laissent prendre au "jeu de la séduction", quelques messages lui demandant d'arrêter après une série d'échanges graveleux, pour confirmer le scénario servi par Maître Pierrat, et d'autres conversations laissant penser que la destinataire était consentante, car elle ne s'est pas rebellée.

Les proies effacent quasiment toujours les messages,
par dégoût, ou par déni du harcélement

Tout cela peut marcher car, la plupart des femmes harcelées effacent les messages incommodants, pour ne pas dire plus au fur et à mesure qu'elles les reçoivent ! D'abord, parce que les femmes qui reçoivent ces messages sont tellement sidérées par ce qu'elles lisent, que leur première réaction, le déni de réalité, les pousser à les effacer, et surtout, surtout, à n'en parler à personne de peur de ne pas être crues. Ensuite, pour que ces messages, si elles les conservaient, ne tombent pas entre les mains de leur conjoint, et qu'il s'imagine qu'elle joue le jeu. Ou, comme c'est souvent le cas pour les téléphones des mamans, pour qu'ils ne soient pas lus par un enfant jouant avec des applications du smartphone, avec ou sans son accord...

Tout cela peut marcher aussi si les destinataires de ces messages sont des correspondantes habituelles de l'interessé, dans un cadre professionnel. Les messages de harcélement, ou de propositions graveleuses, sont alors noyés (volontairement, habilement) par l'agresseur, au milieu d'autres messsages à tenieur strictement professionnelle. C'est d'ailleurs très exactement ce que déclare l'avocat de Denis Baupin dans sa contre-offensive médiatique, décrivant des conversations qui basculent de la séduction ou du libertinage, au échanges de travail ! Mais justement : c'est cela la stratégie perverse adoptée par les harceleurs ! Mélanger le pro, et le sexto. La victime, la proie, ne réagit pas aux messages sexuels, ou bien, demande à l'interessé d'arrêter de lui en envoyer, parfois par oral, parfois, dans un message, mais elle continue à interagir avec lui pour tout ce qui touche au "pro". Et l'agresseur de recommencer sans cesse, dans l'espoir (réel !) de parvenir à faire céder sa proie. Et au passage, sur son téléphone, il efface les sextos, et ne garde que les échanges pros...

Le harcélement est un enchaînement d'agissements hostiles,
dont la répétition affaiblit psychologiquement la victime

Non pas que sa proie, finalement, après avoir dit non, ne dise enfin oui, comme si elle n'était pas déterminée dans son choix, "séduite" par les arguments de son agresseur. Mais là encore, parce que le harcélement est un enchaînement d'agissements hostiles, dont la répétition affaiblit psychologiquement la victime. Pour surmonter ce harcélement, la victime va alors, inconsciemment, adopter l'un des mécanismes de défense standard dont nous sommes tous dotés à notre insu, sachant qu'il en existe plus d'une vingtaine.

Ainsi, l'humour est un mécanisme de défense mature, qui désarconne l'agresseur, y compris lors d'une agression armée par exemple ! Un autre mécanisme de défense mature, le plus connu, le plus évident, est bien évidemment la fuite : c'est ce mécansime qui entre en jeu quand une femme harcelée démissionne de son poste, ou bien obtient un arrêt maladie, ou encore refuse de se trouver dans le même bureau ou au même étage que la personne qui la harcèle, sans expliquer pourquoi.

Mais d'autres mécanismes de défense immatures peuvent être activés chez certaines victimes, en particulier chez celles qui ont déjà, dans le passé, été harcelée, ou agressées sexuellement, et qui n'ont pas pris conscience de la fragilité que ce harcélement ou cette agression a provoqué chez elle. Et parmi ceux-ci, il y a la soumission, mécanisme de défense immature, mais mécanisme de défense tout de même, qui s'accompagne d'un autre mécanisme de survie installé en chacun de nous : la dissociation. A ce moment là, deux personnalités cohabitent dans un même esprit. La véritable, enfermée, muette, mais consciente de ce qui arrive, et celle créée par l'agresseur, au comportement irrationnel pour l'entourage, capable, littérallement, de faire n'importe quoi.

La victime se soumet à la volonté du harcéleur,
faute de pouvoir fuir ou contre-attaquer

C'est évidemment, pour les pervers, le schéma révé : la victime se soumet à leur volonté, faute de pouvoir fuir ou contre-attaquer ! Ses propos ou actes ont réduit sa proie à sa seule identité sexuelle, lui niant tout libre arbitre, le harcélement a atteint son but. C'est pour cela que l'on parle de "pervers manipulateur", capable de prendre le contrôle mental d'une personne. Ce n'est pas une légende, mais une réalité scientifique connue, par le biais du mécanisme de l'emprise.

Pour supporter ce qui lui arrive, devenant le jouet de son agresseur, la victime se dissocie, se coupant de ses émotions et de son corps, dans le cas de l'agression sexuelle. L'issue, parfois, est fatale : la proie sombre dans la dépression, l'alcoolisme, la drogue, amplifiant encore sa vulnérabilité. L'issue, est parfois, tragique, les victimes ne trouvant de salut que dans la tentative de suicide, ou le suicide.

Voilà tout l'enjeu de la bataille qui va opposer Denis Baupin, son ou ses avocats, et les victimes. Trois, qui ont porté plainte, une vingtaine, qui ont témoigné ou vont le faire. Inuitle de vous cacher que Denis Baupin est en réelle difficulté, d'où, le contre-feu allumé par son avocat dans les médias. En effet, lorsqu'une victime porte plainte, elle se retouve confrontée au doute propre au fameux "testis unus, testis nulus". Le témoin unique, victime unique, est-il crédible, ou bien motivé par des velleités de vengeance qui n'ont rien à voir avec le harcélement ? Mais quand un individu est l'objet de plusieurs plaintes de victimes (toujours présumées, jusqu'à condamnation, nous l'avons rappelé à plusieurs reprises plus haut dans cet article), plaintes auxquelles s'ajoute des témoignages concordants, l'étau se resserre vite et bien.

La justice entend boucler l'instruction avant l'été. On devrait savoir donc bientôt combien de vicitmes ont rejoint les trois premières plaignantes, combien de témoignages concordants renforceront leur démarche. Et si Denis Baupin, et ses conseils, changent de stratégie. L'aveu, dans ce genre d'affaires, permet de gagner beaucoup de temps, et évite à l'agresseur, comme aux victimes, des humiliations inutiles...

Pour en savoir plus : comment prouver le harcélement sexuel ?


Article 222-33 du Code Pénal :

« I. - Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

II. - Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. »

La répression prévue est de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende.

Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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