La scandaleuse astuce des primes d’émission

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Par Jacques Bichot Publié le 28 juin 2016 à 5h00
Agence France Tresors Dette Etat Bercy
6,07 milliards $Lundi, l'Agence France Trésor a emprunté 6,07 milliards d'euros.

Agence France Trésor (AFT) contre Cour des comptes, l’action contre la réflexion, l’actualité nous donne à observer au sein de l’État une joute fort divertissante – à ceci près que, comme pour les comédies dans lesquelles Molière nous montre les laideurs de la nature humaine, nous rions de ce qui pourrait à juste titre nous faire pleurer. De quoi s’agit-il ?

Alors qu’elle pourrait émettre toutes ses obligations à des taux incroyablement faible, voire négatifs, l’AFT utilise d’anciennes « souches », par exemple la formule d’un emprunt émis il y a 10 ans à une époque où les taux étaient franchement positifs. Pour obtenir du « papier » qui rapporte 2 % ou 5 % au lieu de 0 % ou 1 %, les investisseurs institutionnels sont prêts à payer d’importantes primes d’émission. Un titre de 1 000 €, valeur nominale, sera par exemple payé 1 100 €. Et notre ministère des finances comptabilise cette « prime d’émission » de 100 € comme une recette de l’État.

Il s’agit d’une recette artificielle, qui sera compensée par des paiements d’intérêts bien plus importants en 2017, 2018, etc. (par exemple 50 € par obligation au lieu de 10 €). Mais dans l’immédiat cela donne lieu à une diminution du déficit budgétaire, qui sera compensée les années suivantes par une augmentation du dit déficit. La Cour des comptes a donc raison : c’est une astuce destinée à refiler le marron chaud aux successeurs, ceux qui occuperont ensuite Bercy, Matignon ou l’Élysée.

Si la Constitution était respectée dans son esprit, et pas seulement dans sa lettre, les suppléments d’intérêt (au regard des taux actuels) que la France s’engage ainsi à payer les prochaines années seraient comptabilisés comme des charges (non décaissées, mais bien réelles) de l’année en cours. C’est en effet en 2016 que ce supplément de dépense pour les années suivantes est engagé, et l’État devrait tenir une comptabilité d’engagement, comme les entreprises.

Malheureusement, si l’on s’en tient à la lettre de la loi, les intérêts sont des dépenses de l’exercice au cours duquel ils sont payés. Le législateur n’a en effet pas imaginé l’astuce utilisée par l’AFT, qui consiste à se faire payer des primes aujourd’hui en échange d’intérêts exorbitants les années suivantes. Si bien que la Cour des comptes a raison en bonne logique, mais peut-être pas en droit.

Il serait passionnant qu’une action soit engagée contre l’État pour falsification de la comptabilité publique, de façon à ce que l’on sache si oui ou non notre législation permet de dresser des comptes qui ne reflètent pas la réalité économique – et de façon à ce que le prochain législateur fasse le nécessaire si de fait la loi dans son état actuel permet des mensonges comptables. Mais qui pourrait intenter une telle action ? Je ne suis qu’un malheureux économiste : Mesdames et Messieurs de la basoche, à vous de jouer !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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