Manger plus ou moins de viande ?

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Par Bruno Parmentier Publié le 11 août 2013 à 4h01

Actuellement, un français moyen (et non végétarien) mange en 80 ans de vie 7 bovins, 33 cochons, 9 chèvres et moutons, 1 300 volailles, 60 lapins, etc., sans compter 2 400 kilos de poissons et crustacés, plus l'équivalent de 32 000 litres de lait (majoritairement sous forme de beurre, yaourts, fromage, etc.) et près de 20 000 œufs.

Du coup notre pays a développé très fortement son élevage, ce qui a largement façonné les campagnes ; en particulier, nos 19 millions de bovins ne passent pas inaperçus et rares sont les régions où l'on n'en voit pas systématiquement dans le paysage. Une vraie réussite, et en particulier nos laitages sont renommés dans le monde entier. Pourtant de nombreux doutes s'insinuent actuellement sur le caractère progressiste de cette évolution. Qu'en est-il exactement ?

Nous consommons environ 85 kilos de viande par an, deux fois plus que nos grands-parents, et 91 kg de laitages, puisqu'en particulier maintenant toutes les classes sociales y ont accès. On est bien loin de l'objectif social de la poule au pot du dimanche d'Henri IV. Les hommes mangent davantage de viande de fromage, les femmes de yaourts. Simultanément, l'espérance de vie a fortement augmenté puisque nous vivons en moyenne 15 ans de plus que nos grands-parents.

Cette évolution commence à marquer le pas et, malgré le dynamisme de notre industrie alimentaire et les efforts de la grande distribution notre consommation commence à diminuer et il est probable que nous n'atteindrons jamais les 120 kilos par an de viande des nord-américains, (sans parler des argentins).

Quand on devient riche, on mange plus de viande

C'est un grand classique : quelles que soient les cultures, les races et religions, quand le niveau de vie augmente, on commence par manger plus de produits animaux. C'est ce qui se passe en particulier en Chine où les ouvriers se mettent à manger massivement la viande, et en Inde où les employés se mettent au yaourt. Heureusement pour le moment ces deux grands pays se spécialisent : les Chinois ne supportent pas le lait et en consomment très peu (il n'y a à peine plus de vaches en Chine qu'en France), et les Indiens croient majoritairement à la réincarnation, ce qui les rend végétariens (il n'y a autant de cochons en Inde qu'en France).

Malgré cette relative modération, on observe un niveau mondial une grande pression animale sur les ressources naturelles, car nous en sommes à 20 milliards d'animaux élevés sur la planète ! Ceux qui mangent « comme nous » (blé, maïs, colza, soja, etc.), les poulets, les cochons, les canards ou lapins etc., sont en concurrence directe pour les produits de nos champs. Ceux qui mangent ce que nous ne mangeons pas, l'herbe (vaches, zébus, chameaux, chevaux, chèvres, moutons, etc.) sont maintenant trop nombreux sur la planète. Pour faire simple, toute nouvelle chèvre qui arrive dans un pays aride fait avancer le désert, et transforme le Sahel en Sahara, la Mongolie en désert de Gobi et la côte australienne en un désert identique à ceux de l'intérieur du pays.

De l'autre côté de la planète, dans nos pays tempérés, on transforme nos ruminants en mangeurs de céréales, et on engraisse dorénavant nos veaux au maïs et au soja, les transformant eux aussi en compétiteurs pour la nourriture. Au total, plus de 40 % de la production mondiale de céréales est dorénavant destinée à nourrir nos animaux, une consommation qui a doublé en 30 ans. Chacun peut comprendre les limites de l'exercice : on n'arrivera évidemment pas à nourrir 9 milliards d'habitants sur la planète en 2050 si chacun mange 85 kilos de viande par an.

De plus, s'il est avéré que les protéines d'origine animale sont bonnes pour la santé, on s'aperçoit également que leur excès, comme tout excès, pose également d'énormes problèmes de santé : maladies cardio-vasculaires, cancers, surcharges pondérales, diabètes, etc. Le Centre d'information des viandes recommande de ne pas consommer plus de 500 g de viande rouge cuite par semaine afin de réduire les risques de cancer, tandis que le Programme national nutrition santé recommande de ne consommer qu'un aliment du groupe « viande, poisson, œuf » une à deux fois par jour maximum.

Actuellement, un européen moyen consomme au cours de sa vie :

  • 7 bovins
  • 33 cochons
  • 9 chèvres et moutons
  • 1 300 volailles
  • 60 lapins
  • 2 400 Kg de poissons et crustacés
  • 32 000 litres de lait
  • 20 000 œufs

... est-ce vraiment bien raisonnable ?

La transition alimentaire, un phénomène naturel à accélérer

En fait on assiste à une sorte de transition alimentaire : chaque génération s'efforce de manger dès qu'elle en a les moyens ce que les deux ou trois générations précédentes n'arrivaient pas à se payer. Tous les pays en croissance augmentent donc fortement leur consommation de produits d'origine animale. C'est ce qui permet par exemple à une entreprise laitière française comme Lactalis d'investir dans des fromageries dans le monde entier, et en particulier dans l'est de l'Europe.

À l'inverse, les enfants de la génération du baby-boom français n'ont jamais eu peur de manquer de viande ni de yaourts, leur désir de ces produits se stabilise et se reporte sur les légumes, le bio, le local, le hallal, etc. On peut imaginer que la génération qui vient au monde actuellement poursuivra cette transition vers une alimentation plus équilibrée, meilleure pour la santé (pour faire caricatural, les 4 ou 5 premiers bœufs consommés dans une vie sont probablement bons pour la santé, mais les problèmes commencent au sixième !). Mais aussi meilleure pour la planète : un végétarien consomme à peu près 200 kg de céréales pas an, et un carnivore 800 Kg, en comptant toutes les céréales consommées par les animaux qu'il mange, un végétarien prélève 1,5 tonnes d'eau pour produire sa nourriture quotidienne et un carnivore, pour les mêmes raisons, 4 tonnes. Et l'élevage contribue à près de 14 % des émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine.

Il est donc probable qu'en Europe nous mangeront moins de produits animaux au XXIe siècle que ce que nous avons mangé à la fin du XXe, mais de meilleure qualité (chacun ayant sa propre définitions de la qualité...). Mais que cette consommation va continuer à croître très fortement à l'échelle mondiale.

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Bruno Parmentier, Ingénieur des mines et économiste, est l'ancien directeur (de 2002 à 2011) de l’ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Il est actuellement consultant et conférencier sur les questions agricoles, alimentaires et de développement durable.  Il a publié "Nourrir l'humanité"  et « Faim zéro » (éditions La Découverte), "Manger tous et bien » (Editions du Seuil), « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (publication libre sur Internet) et « Bien se loger pour mieux vieillir » (Editions Eres) ; il tient le blog "Nourrir Manger" et la chaîne You Tube du même nom. Il est également président  du CNAM des Pays de la Loire, de Soliha du Maine et Loire, et du Comité de contrôle de Demain la Terre, et administrateur de la Fondation pour l’enfance.

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