Baccalauréat 2015 : je suis économiste et je n’ai pas compris le sujet

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Par Jean-Paul Betbèze Publié le 2 septembre 2015 à 5h00
Bac Es Economie Sujet Revision
87,8 %Le taux de réussite général au Bac 2015 était de 87,8 %.

A Madame ou Monsieur l’auteur du sujet du Baccalauréat ES 2015 intitulé : « Dans quelle mesure l’action des pouvoirs publics est-elle efficace pour lutter contre les inégalités ? ». C’est le matin, je suis à ma table d’examen et viens de découvrir la problématique que vous me proposez. Autant vous l’avouer tout de suite : je risque d’avoir les plus grandes difficultés à y répondre, faute de la cerner. Je crains donc le pire pour ma carrière d’économiste.

Vous nous parlez des « pouvoirs publics » : mais lesquels ?

Vous parlez de la France, je suppose, mais sans le dire car je vois chez vous un biais analytique fort, pour ne pas dire syndical. A moins que votre préoccupation ne se monte au niveau européen ou mondial ? Sont-ce alors la Grèce, l’Inde, le Brésil, la Chine qui vous inquiètent ? Ou peut-être s’agit-il des « pouvoirs publics » qui gèrent les villes, les régions, les Etats, les zones monétaires – comme la Banque centrale européenne ou la Fed, ou plutôt la paix mondiale – comme l’OTAN ?

Vous comprenez, pour moi qui écris ma copie, bien appréhender l’acteur (« les pouvoirs publics ») dont vous me demandez de juger l’action est essentiel. Par exemple, vous le savez sans doute, la France œuvre dans le cadre de l’union européenne et plus précisément dans celui de la zone euro. Il s’agit de faire de cette zone l’une des plus prospères du monde, ce qui n’est pas facile, et d’abord l’une des plus résistantes aux crises, comme nous le voyons avec ce qui se passe en Grèce. Cette stratégie de l’Union européenne est-elle sans objet ? Sans intérêt ? Il faut être précis, ce qui est obligatoire en économie, faute de tomber dans l’idéologie – ce que vous me reprocheriez à juste titre. Faut-il juger Mr Hollande et ses prédécesseurs, Tsipras et ses prédécesseurs, Juncker et ses prédécesseurs, ou bien la question est-elle autre ?

Vous le savez aussi, le Brésil est un des pays les plus inégalitaires au monde, étant dirigé depuis plus d’une dizaine d’années par une majorité communiste et corrompue comme on le voit actuellement. Traiter ce point entre-t-il dans le sujet ? En est-il de même pour la Chine, où un programme anticorruption se met enfin en place ? Faut-il juger Lula et Xi, après Mao?

Vous nous dites qu’il s’agit de « lutter contre les inégalités » : mais lesquelles ?

Cette lutte à laquelle vous invitez les « pouvoirs publics », à son tour, n’est pas claire. Inégalités de quoi : de sexe, de revenu, de patrimoine, de salaire, de succès, d’âge, de santé, de réseau, d’héritage, d’origine géographique, sociale, religieuse… Tout individu est spécifique puisqu’individu, donc différent, donc « inégal ».

D’où viennent donc ces inégalités : de la nature, de l’héritage, du hasard, du génie, du travail, du talent au football, du rapport de force entre groupes sociaux ou entre peuples, entre ceux qui ont du pétrole et les autres, à moins que ce ne soit entre Chine et Afrique – comme on le voit aujourd’hui ? Ou encore s’agit-il de la révolution économique mondiale en cours qui donne à celui qui trouve d’abord, en tout cas le fait savoir, des milliards en quelques années, plus et plus vite que jamais ? Quel est donc le sujet : Zola ou Facebook ?

Vous nous invitez à « lutter » : mais avec quels outils, quels objectifs et surtout avec quelle légitimité ?

Vous le savez bien sûr, le monde change. Nous ne vivons plus seulement le temps de globalisation mais celui des GAFA, UBER et autres Blablacar. La sharing economy chamboule les ordres, les règles, les investissements passés, donc les « inégalités » antérieures. Faut-il alors les conserver, et les taxis avec, au prétexte qu’elles seraient moindres que celles qui viennent ? Qu’en savons-nous ? Ne risquons-nous pas, en voulant lutter contre ces « inégalités » qui viennent, sans mesurer leurs apports, de défendre les anciennes, celles des statuts, des rentes et autres « droits acquis » ? Au nom de quoi empêcher le jeune sans emploi de devenir autoentrepreneur ? Tel autre de travailler pour Uber ? Tel autre encore, plein d’idées mais qui refuse l’excès de taxes et les papiers à remplir d’ici, d’aller voir ailleurs, sous des cieux sinon plus cléments, du moins plus ouverts ?

Lutter contre les inégalités, est-ce lutter pour ou… contre les libertés ? N’est pas « progressiste » qui le dit.

Article publié initialement sur le blog de Jean-Paul Betbèze

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Jean-Paul Betbèze est PDG de Betbèze Conseil, membre de la Commission Economique de la Nation et du Bureau du Conseil national de l'information statistique (France), du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Professeur d'Université (Agrégé des Facultés, Professeur à Paris Panthéon-Assas), il a été auparavant chef économiste de banque (Chef économiste du Crédit Lyonnais puis Chef économiste & Directeur des Etudes Economiques, Membre du Comité Exécutif de Crédit Agricole SA) et membre pendant six ans du Conseil d'Analyse économique auprès du Premier ministre. Il est l'auteur des ouvrages suivants:· "Si ça nous arrivait demain..." aux éditions Plon, Collection Tribune Libre· "2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France" aux Editions PUF, 2012.. "Quelles réformes pour sauver l'Etat ?" avec Benoît Coeuré aux Editions PUF, 2011.. "Les 100 mots de l'Europe" avec Jean-Dominique Giuliani aux Editions PUF, 2O11. "Les 100 mots de la Chine" avec André Chieng aux Editions PUF, 2010. Son site : www.betbezeconseil.com

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