Le bien et le mieux

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Par Hervé Goulletquer Publié le 25 novembre 2020 à 13h04
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135%La dette des USA a atteint 135% du PIB.

On le sent, les choses s’améliorent ; est-ce que pour autant elles se normalisent ? Sur le double front du lien entre sanitaire et économique et des marchés financiers, la réponse paraît être négative.

L’équipe Biden est en train de se monter. Elle a une couleur très Obama voire Clinton – Obama. C’est le gage d’une politique raisonnable, assurément. Mais cela envoie-t-il le message d’une nécessaire prise en compte d’un monde qui change vite ? Le point sera à confirmer. En attendant les investisseurs vont s’intéresser aux convictions de Janet Yellen, la probable nouvelle ministre des finances des Etats-Unis. Raisonnable ? Evidemment oui, mais avec des convictions !

Amélioration rime-t-il avec normalisation ? Lorsqu’on est en train de sortir d’une crise, il existe une tentation forte de répondre oui. Pourtant ce n’est pas le cas aujourd’hui. Deux perspectives peuvent être proposées. D’abord, sur le plan sanitaire, la sortie du confinement français, assez stricte, se fera par étape. Le Président Macron l’a confirmé hier au soir. L’idée est d’éviter les « faux départs » qui se transforment en vrais retours en arrière. N’a-t-on pas vécu cette expérience amère entre le printemps et l’automne, avec deux chocs négatifs forts sur la croissance (T2 puis T4). Qu’il s’agisse des entreprises ou des employés, cette succession est un élément d’accroissement de la fragilité. Elle ne doit pas être poursuivie. Il vaut mieux une reprise en pente plus douce, mais plus stable. Vive la gradualisme, ou, pour dire cela autrement, une normalisation à pas comptés !

Ensuite, le message envoyé par les marchés n’est pas unifié. Certes, l’indice Dow Jones a franchi pour la première fois de sa longue histoire le niveau des 30 000 points et le ratio entre les prix du cuivre et de l’or enregistre sur les derniers jours une inflexion haussière marquée. Mais les taux longs restent à la traine. L’interprétation paraît bien être la suivante : pour que cette reprise soit un tant soit peu pérenne, il est nécessaire que les taux d’intérêt se maintiennent à un bas niveau. Le malade se remet à marcher, mais avec des béquilles !

Changeons de sujet et intéressons-nous à la formation du Cabinet de Joe Biden aux Etats-Unis. Il a une couleur très Administration Obama, voire même avec un rappel de celle de Clinton. Le message que les marchés doivent alors recevoir est qu’il devrait s’agir d’une équipe très « démocrate bon teint », c’est-à-dire de centre-gauche selon une échelle américaine (moins à gauche qu’avec un référentiel européen). Les milieux d’affaire en seront soulagés ; les militants du Parti et nombre d’électeurs moins. Le tableau ci-dessous reprend l’expérience des principaux « heureux élus ».

« C'est dans les vieilles marmites qu'on fait les meilleures soupes », a-t-on alors envie de conclure ! Mais est-ce toujours le cas ? Le monde, en retenant une définition très large du mot, change de plus en plus. Pour l’appréhender et le gérer, l’expérience est assurément une condition nécessaire. Elle ne saurait toutefois suffire. Des personnalités nouvelles, aux idées différentes, serait un complément utile à introduire. Il n’est pas trop tard pour le faire, Président élu Biden !

Arrêtons-nous un peu plus longuement sur la probable future ministre des finances. Sa nomination n’a pas été confirmée, même si l’insistance de la rumeur fait considérer que c’est acquis. Janet Yellen, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a laissé le souvenir dans la communauté financière d’une banquière centrale, certes dovish (c’est-à-dire avec un biais plutôt accommodant), mais tout à fait raisonnable ; en quelque sorte le meilleur des mondes, en favorisant la hausse des cours, tout en réduisant les risques d’accident. Et puis elle ne goûte pas les déséquilibres budgétaires excessifs et est plutôt en faveur de la levée des obstacles aux échanges commerciaux. Tout ceci est exact, mais ne doit pas faire oublier qu’elle est d’abord une économiste spécialiste du marché du travail, qui s’est beaucoup intéressée au sujet des inégalités. Comment alors ne pas noter un bon alignement avec celui que sera son patron : Main Street avant Wall Street. J’insiste beaucoup sur le point, allez-vous me dire. Oui, car il est clé en termes de direction donnée à la politique économique américaine des prochaines années.

Si on quitte la thématique des principes et qu’on s’intéresse aux actions qu’elle entreprendra, voici quelques pistes à surveiller :

  • Politique budgétaire : son initiative sera contrainte par la nécessité de s’entendre avec le Congrès, dont la Chambre haute devrait conserver une majorité républicaine ; elle devra composer, ce qui demande une bonne connaissance du « milieu » et des talents de négociatrice ; disons qu’elle n’a pas la réputation d’être une intime du « petit monde » des parlementaires et qu’elle est d’une nature plus à faire partager ses convictions qu’à trouver le « point moyen » ;
  • Réglementation financière : si la Fed est en première ligne, le département du Trésor est aussi investi de certaines responsabilités (le Conseil de surveillance de la stabilité financière et la coordination des agence fédérales en charge de ces sujets, pour dire l’essentiel) ; Janet Yellen devrait avoir une attitude moins « laisser-faire » que ce ne fût le cas sous l’Administration sortante ; mais probablement sans excès :
  • Les relations avec la Fed ; optimisées sans doute au double titre de sa connaissance de la banque centrale et des bonnes relations qu’on lui prête avec Jerome Powell, l’actuel Président du Board et du comité de politique monétaire ; le point est d’importance, tant les degrés de liberté en matière de relance et de soutien ont été utilisés de part et d’autre sur la période récente ; c’est dans les actions conjointes bien menées que des marges de manœuvre nouvelles peuvent être trouvées ; et puis Janet Yellen aura une certaine initiative dans les propositions de nomination aux postes de gouverneurs du Board ; la perspective d’une politique monétaire durablement accommodante devrait en être renforcée.
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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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