Télécoms : Pourquoi un duo Bouygues-SFR ne ferait pas l’affaire des Français

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Par Julia Bouchet Publié le 3 mars 2014 à 17h33

La guerre, déjà engagée depuis quelque temps, pourrait bien connaître son ultime bataille. L’objet de la conquête ? L’opérateur de télécommunications français SFR. Les prétendants ? Le câblo-opérateur Numericable qui a été le premier à faire connaître ses intentions, suivi par Bouygues Telecom, qui devrait présenter très prochainement son offre d’achat. Pour le moment, on voit mal comment le second parviendra à supplanter le premier dans les préférences du Gouvernement.

La guerre avait lieu dans les coulisses du business, entre PDG, politiques et gendarmes de la concurrence. Des rumeurs circulaient, mais jusqu’ici nul ne savait vraiment ce qui se tramait. Pourtant la facture téléphonique des Français est directement concernée. Il s’agit du rachat de SFR, dont le chiffre d’affaires a été sérieusement érodé en 2013 (- 9,6 %).

Numericable a été le premier à se manifester : pour le premier câblo-opérateur français, ce sera 5 milliards d'euros et le financement du reste par de la dette à effet de levier. Le 2 mars, Martin Bouygues ripostait auprès de l’exécutif en présentant son plan d’acquisition à l’Élysée. Mais les détails de son offre ne sont pas encore connus. Seulement, parmi les analystes économiques et financiers, le scepticisme est de mise.

Si Bouygues s’engage dans cette bataille, ce n’est pas dans la logique d’un duel équitable. C’est bien plutôt que l’opérateur n’a rien à perdre et qu’en bon stratège il joue le tout pour le tout afin de faire obstruction à une opération qui pourrait bien renforcer la position déjà dominante de Numericable sur le marché. Car après examen de cette acquisition par Bouygues Telecom, il saute aux yeux que l’échec est inscrit dans son ADN.

Un retard technologique qui se paye

Bouygues part avec de sérieux handicaps à la fois technologiques et comptables. Primo, ni Bouygues Telecom ni SFR ne se sont distingués en termes d’innovation ces dernières années. Il fait bon d’être actionnaire chez Bouygues, il est bien moins intéressant d’être ingénieur au département recherche et développement. Aucun investissement sérieux n’a été réalisé dans la fibre optique, technologie dont on sait maintenant qu’elle sera incontournable à l’avenir. Voilà qui a d’office mis du plomb dans l’aile des deux opérateurs qui doivent renoncer d’office à tout scénario de croissance sur le marché du fixe s’ils se rapprochent.

Ils se retrouveront en outre en doublons aussi bien sur le marché mobile des particuliers que sur celui des entreprises. Les situations d’oligopoles ainsi créées vont occasionner une remontée des prix pour des consommateurs qui seront ravis de payer plus cher des services qui n’auront rien gagné en qualité.

Aucun filet de sécurité comptable

Secundo, le peu de trésorerie générée par les des deux entités va réduire considérablement la marge de manœuvre financière durant le temps de latence que durera l’opération. Le rapprochement Bouygues-SFR représente en effet un dossier particulièrement épineux aux yeux de l’Autorité de la concurrence dont le président a déjà signalé son opposition à un projet semblable, celui de la fusion SFR-Free. Il faut donc bien compter sur un traitement de minimum 8 mois avant la clôture de l’affaire. Pour peu que Bouygues se trouve forcé de débloquer des fonds pour une raison ou pour une autre durant cette période, et le voilà illico dans le rouge, sa trésorerie ne lui autorisant aucun manque à gagner.

In fine, ce sont les Français qui paient les pots cassés

Ajoutons au tableau du naufrage général les dysfonctionnements managériaux qui interviennent forcément quand aucune des deux entreprises n’a d’expérience en matière d’intégration de sociétés, et nous voilà en plein cœur d’un scénario de crise. Il faudra être en capacité de la gérer dans les plus brefs délais. Autrement, c’est la disparition pure et simple d’un acteur sur le marché, donc la mise à mal du sacro-saint chiffre 4 défendu par le Gouvernement en termes de concurrence et conséquemment… des prix à la hausse pour les consommateurs.

Les conséquences sur l’emploi ne sont guère plus reluisantes. Les activités de SFR et de Bouygues Telecom étant semblables, la fusion des deux entreprises conduirait inévitablement à la destruction d’emplois, et ce en dépit de tout ce que peut affirmer Martin Bouygues. On voit mal comment le PDG envisage les moyens concrets d’entretenir de telles aberrations managériale et financière. Ce serait tout bonnement maintenir un monstre à deux têtes.

Il n’est donc ni dans l’intérêt de la France ni dans celui des Français d’autoriser un tel rapprochement. La filiale industrielle des télécoms s’en trouverait durement fragilisée. De nombreux Français seront gentiment congédiés tout en voyant leur facture de téléphone s’alourdir. C’est ce qu’on appelle un mauvais deal.
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Formée à l’analyse macroéconomique et financière et à l’élaboration de prospectives économiques sur le court/moyen terme, Julie Bouchet s’intéresse à l’activité des secteurs qui structurent le marché aujourd’hui.

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