Une brève histoire de ketchup et de coulis…

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Par Charles Sannat Modifié le 26 février 2019 à 10h12
Ketchup
5 MILLIARDS $Warren Buffett a perdu presque 5 milliards de dollars en une journée lorsque, Kraft Heinz a plongé en bourse de plus de 27 %

Mes chères impertinentes, mes chers impertinents,

Il ne faut pas confondre le totalitarisme marchand actuel - qui est une déviance monstrueuse d’une forme de libéralisme mâtiné de mondialisation, de délocalisations et autres joyeusetés, comme le dumping social ou fiscal sans même parler du très secret dumping environnemental qui pourtant est évidemment une réalité - avec le capitalisme.

Le capitalisme est bien plus moral qu’il n’y paraît généralement au premier abord. Dans un véritable système capitaliste, quand on fait une erreur, elle se paye au comptant et il n’y a personne pour venir socialiser vos pertes. Évidemment, désormais, quand vous êtes une banque trop grosse pour faire faillite, les choses sont différentes. C’est fort dommage. Les mauvaises banques, comme les mauvaises entreprises, doivent disparaître.

Je vous disais que le capitalisme donc pouvait être plus « moral » qu’on ne le pensait, ou tout du moins plus vertueux.

C’est le cas avec cette histoire de sauce tomate ! Un vrai coulis !

C’est l’histoire d’une fusion à presque 50 milliards de dollars entre Kraft Foods et Heinz (les ketchups) qui donna lieu à la naissance du groupe Kraft Heinz détenu à 25 % par 3G, un fonds créé par les milliardaires helvético-brésilien Jorge Paulo Lemann et américain Warren Buffett (25 % du capital de la société).

Nos deux milliardaires n’en ont strictement rien à faire des sauces tomates, des raviolis en boîtes et autres coulis. Ce qu’ils regardent, ce sont des tableurs Excel, des chiffres dans des cases et des ratios financiers.

Ce qui est génial avec une telle fusion, pensez donc, c’est les économies d’échelle : suffit d’automatiser un peu plus, d’informatiser encore mieux, de virer la moitié des comptables, des marketeurs et autres services centraux pour faire des « synergies » qui seront « relutives » - traduisez par « nous, milliardaires, gagner encore plus de pépètes pour avoir encore plus de milliards ».

Kraft Heinz met donc en place une stratégie fondée sur la baisse des dépenses, pompeusement baptisée le « zero budgeting ».

Hahahahahahaha, et pour un résultat, ça va être zéro, mais un zéro tendance négatif, puisque le groupe va perdre, lors des trois derniers mois, presque… 13 milliards de dollars.

Réduire les coûts cela fonctionne… à court terme !

Piloter d’immenses maisons de ce type est un art délicat. Réduire les coûts c’est bien, mais cela ne peut pas constituer l’alpha et l’oméga d’une stratégie d’entreprise. Cela a d’ailleurs très bien marché pendant deux ans, et Kraft Heinz avait la meilleure marge du secteur. Pourtant, se contenter d’habiller les bilans, cela ne dure qu’un temps.

Une entreprise doit aussi investir pour demain, faire de la recherche, étudier, suivre les changements de goût de ses clients et les évolutions de marchés.

Bref, quelle est la raison d’être d’une société qui vend du Ketchup ? Simple… vendre de la sauce à partir de tomates !!

Peu importe que vous appeliez cela « expérience client », « expérience gustative » ou « papillesque », votre métier c’est de vendre du coulis de tomate épicé et sucré. Quand les clients ne veulent plus de sucre parce qu’ils sont tous en train de devenir obèses, il faut s’adapter rapidement, et pour cela il faut investir, ce qu’ont fait les gros concurrents comme Nestlé ou Danone.

Toujours plus gros, toujours moins cher, toujours plus d’économies !

Un financier reste un financier.
Je reste persuadé que bien faire son métier reste la meilleure des garanties de succès et c’est somme toute assez rassurant qu’il en soit ainsi.

Pourtant, il semble que la leçon n’ait pas été encore comprise puisque d’après l’AFP, « Kraft Heinz envisage de se débarrasser des marques défaillantes, un toilettage en vue d’une potentielle fusion avec un autre géant, synonyme de nouvelles économies, via des synergies, afin de doper les bénéfices.

L’entreprise avait approché Unilever en 2017, mais avait retiré son offre de 143 milliards de dollars suite aux réticences du groupe anglo-néerlandais »

Encore plus gros avec encore plus de synergies et de comptables virés. Quel beau modèle économique.

Sinon, on peut aussi tenter de fabriquer de nouvelles sauces, de bonnes sauces, à base de bons produits naturels bio et transformés avec amour après avoir longtemps mijoté dans une marmite sur un feu de bois à l’ancienne… Je me laisse emporter par mon lyrisme culinaire, il faut dire qu’il est midi passé de 8 minutes et mon ventre gargouille…

Si la leçon n’est pas retenue, peut-être que les impacts financiers marqueront nos milliardaires puisque Warren Buffett a perdu tout de même presque 5 milliards de dollars en une journée lorsque vendredi 22 février, Kraft Heinz a plongé en bourse de plus de 27 % !

De quoi calmer un peu… les ardeurs, même des plus riches.

Il est déjà trop tard, mais tout n’est pas perdu. Préparez-vous !

Article écrit par Charles Sannat pour Insolentiae

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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