Pourquoi le Brexit a toutes les chances de ne pas avoir lieu

Paolo Garoscio
Par Paolo Garoscio Modifié le 27 juin 2016 à 15h07
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6%Le Brexit a entraîné une chute de la Livre Sterling de plus de 6 % à l'ouverture de la Bourse le 24 juin 2016.

Jeudi 23 juin 2016 les Britanniques ont voté à 52 % en faveur de la sortie de l'Union Européenne. Vendredi 24 juin 2016, c'est la panique : les Bourses s'écroulent avec des pertes de plus de 8 % un peu partout, les riches font leurs comptes, les entreprises pensent à comment fuir le pays, David Cameron démissionne... et puis, au final, l'idée que le Brexit pourrait bien ne rester qu'un fantasme commence à se frayer une idée dans l'esprit des gens, en premier lieu des Britanniques et, surtout, de beaucoup des partisans du "Leave".

Un référendum, oui, mais consultatif... pour l'instant le Brexit n'a pas eu lieu

Le référendum pour lequel les Britanniques ont été appelés aux urnes jeudi 23 juin 2016 est important, même historique, mais... ne "vaut" rien. Il s'agissait d'un référendum purement consultatif que David Cameron avait promis en cas de réélection à la tête du pays, chose qui est survenue en mai 2015.

Un référendum consultatif a ça de pratique qu'il ne contraint aucunement le gouvernement à le suivre. Il peut en faire fi totalement. Certes, le peuple risque de ne pas l'apprécier, mais c'est son droit. C'est la raison pour laquelle David Cameron a annoncé sa démission vendredi 24 juin 2016 : il a déclaré qu'il cèderait sa place trois mois après, soit en septembre 2016... et il a surtout déclaré qu'il n'allait pas invoquer lui-même le Brexit.

Le Brexit nécessite l'intervention du gouvernement qui doit invoquer l'article 50

Pour qu'un pays de l'Union Européenne quitte cette Union il doit faire appel à l'article 50 du traité de Lisbonne de 2009. Il doit l'invoquer formellement ce qui ne peut se faire que par un vote du parlement, le Premier ministre ou le Président d'un pays ne peut en toute conscience pas le faire sans avoir l'aval des élus.

L'invocation de l'article 50 au Royaume-Uni n'a donc pas eu lieu et... n'aura pas lieu tant qu'un nouveau gouvernement ne sera pas formé. Le Brexit deviendra donc un argument de campagne au Royaume-Uni lors des élections qui se profilent en septembre 2016. Il y a fort à parier que certains candidats vont avoir pour argument le fait de ne pas sortir de l'UE. Si l'un de ces candidats est élu, ce sera comme si un deuxième référendum avait eu lieu.

Le futur Premier ministre du Royaume-Uni invoque l'article 50... mais le parlement ?

Si un des candidats pro-Brexit devenait Premier ministre et qu'il invoquait l'article 50, la question passera aux mains des parlementaires et là... ça va devenir compliqué. L'Ecosse, où l'intégralité des circonscriptions a voté en faveur du maintien dans l'Union Européenne et où le "Remain" a obtenu 62 % des voix, pourrait mettre son véto au Brexit. Nicola Sturgeon, Première ministre d'Ecosse, a déclaré dimanche 26 juin 2016 à la BBC qu'elle demanderait à ses membres au parlement de bloquer la motion.

En Irlande du Nord également le "Remain" a obtenu la majorité des voix. Des voix commencent également à se lever pour demander un référendum (le deuxième) sur l'indépendance de l'Ecosse et même sur la réunification de l'Irlande. Le vote parlementaire sur le Brexit pourrait, finalement, se transformer en un vote sur le maintien ou l'explosion du Royaume-Uni car si le Brexit a lieu, l'Ecosse et peut-être même l'Irlande du Nord pourraient redemander leur indépendance... et l'obtenir.

Les arguments du "Leave" commencent à tomber... et les Britanniques se posent des questions

Autre fait, moins politique mais plus populaire, qui joue en défaveur d'un véritable Brexit, ce sont les arguments du camp du Leave qui ont déjà été mis à mal. Nigel Farage, fervent défenseur du Brexit et chef de file du parti eurosceptique UKIP, a déclaré que, contrairement à ce que les pro-Brexit soutenaient, l'argent que le Royaume-Uni versait à l'Union Européenne ne pourrait pas aller au National Health System (NHS), la Sécurité Sociale britannique, ou aux autres projets comme les écoles et les hôpitaux. Or c'était là un des gros arguments du Brexit à côté de la question de l'immigration : le Royaume-Uni était censé récupérer l'ensemble de son argent.

En outre, les experts estimaient qu'il n'y aurait pas eu d'impact direct du référendum sur l'économie britannique... mais ce fut tout l'inverse qui s'est produit avec la livre qui s'est effondrée à un niveau jamais vu depuis plus de 30 ans, sous Thatcher, et la Bourse qui a plongé de plus de 8 % à Londres. Et même sur l'immigration les arguments du Leave semblent tomber à l'eau

Les Britanniques se posent donc des questions sur le Brexit. Google a publié ses résultats de recherche sur son moteur britannique. La question "qu'est-ce qui se passe si nous sortons de l'UE ?" a connu une augmentation de 250 % des recherches le 24 juin 2016, au lendemain du vote, tandis que la question "Sommes-nous dans ou en dehors de l'Union Européenne" a été recherchée 2 450 % de fois plus après le référendum qu'avant. Pire, "qu'est-ce que l'UE" a atteint la deuxième place des recherches Google au lendemain du vote.

Plusieurs journaux et plusieurs enquêtes de rue ont d'ailleurs montré que beaucoup de Britanniques n'étaient pas toute à fait au courant de ce pour quoi ils votaient... et certains ont déjà changé d'avis, regrettant leur décision. Le Brexit, désormais, s'appelle ironiquement "Regrexit" au Royaume-Uni.

Une pétition qui réclame un nouveau référendum refait surface

Ironie du sort qui offre encore une possibilité pour que le Brexit n'ait pas lieu, une vieille pétition datant de mai 2016 refait surface et prend de l'ampleur. Elle avait été lancée par un pro-Brexit, William Oliver Healey, et demandait à ce qu'un deuxième référendum soit organisé aucun des deux camps n'obtenait plus de 60 % des votes et si la participation au référendum ne dépassait pas les 75 %.

Lors du vote du 23 juin 2016, le Brexit a remporté la victoire avec 52 % des voix et la participation a dépassé de peu les 72 %... les conditions sont donc remplies. Lancée sur le site du gouvernement, la pétition a recueilli, lundi 27 juin 2016 au matin, plus de 3,5 millions de signatures. Le parlement va donc l'étudier, comme c'est le cas pour toutes les pétitions ayant obtenu plus de 100 000 signatures.

La pétition a été prise d'assaut par les défenseurs du "Remain" après leur défaite, et William Oliver Healey a déclaré sur Facebook qu'il la renie. Mais malheureusement pour lui il ne pourra pas l'annuler. Le succès de celle-ci serait néanmoins à attribuer à une manipulation massive réalisée par le site 4Chan qui a créé des bots pour voter selon Techcrunch.

A toutes ces raisons s'ajoutent les craintes économiques dont les Britanniques ont eu un avant-goût vendredi 24 juin 2016 ainsi que les incertitudes liées aux traités internationaux qu'il faudrait renégocier pour réellement sortir de l'Union Européenne. Le Brexit pourrait donc être, en réalité, tout simplement impossible...

D'ailleurs, selon une théorie qui traîne sur les réseaux sociaux, la démission de David Cameron et sa non-invocation de l'article 50 serait un coup politique de génie. Il laisserait ainsi à quelqu'un d'autre la lourde tâche de dire publiquement que le Brexit est tout simplement impossible...

Paolo Garoscio

Après son Master de Philosophie, Paolo Garoscio s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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