À Cannes, le capitalisme de connivence se fait des frayeurs

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Par Eric Verhaeghe Publié le 14 octobre 2016 à 9h53
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550 MILLIARDSLa masse salariale des salariés du secteur privé pèse environ 550 milliards d'euros.

Le capitalisme de connivence, encore lui, toujours lui!

À Cannes a lieu en ce moment le discret congrès de l’assurance collective de personnes, activité mal connue des Français mais qui dépasse pourtant aujourd’hui les 20 milliards d’euros de chiffres d’affaires annuels (épargne retraite comprise) et gère des centaines de milliards d’actifs. L’événement donne l’occasion de quelques épanchements sur les clés de bras que les acteurs du secteur attachés à la libre concurrence ont imposé aux groupes paritaires co-gérés avec les organisations syndicales.

Un marché discret mais qui a le vent en poupe

Peu de Français le savent, mais les nouvelles « protections » accordées aux salariés dans le cadre du contrat de travail sont autant de normes qui nourrissent le marché de l’assurance collective de personnes. Ainsi, quand les partenaires sociaux ont négocié, en 2013, un accord interprofessionnel généralisant la complémentaire santé aux salariés avec un co-financement par l’employeur, c’est bien le marché de l’assurance collective de personnes qu’ils ont modifié et accru.

Les contrats d’entreprise sont en effet souscrits par l’employeur pour l’ensemble de ses salariés. Toutes ces normes nouvelles, en apparence conçues pour le bien-être des salariés, ont donc un impact économique majeur. Si l’on se souvient que la masse salariale des salariés du secteur privé pèse environ 550 milliards €, toute mesure portant sur 1% de la masse salariale génère un marché de 5,5 milliards, ce qui n’est pas rien.

Assurance collective et capitalisme de connivence

Une partie du marché de l’assurance collective est historiquement détenu par ce segment si particulier du capitalisme de connivence appelé les « groupes paritaires de protection sociale » dont les principaux sont AG2R, Malakoff-Médéric, Pro-BTP et Humanis. Ces groupes sont co-gérés par les organisations patronales et salariales. Leurs administrateurs sont désignés par les grandes confédérations nationales. Et leurs clients sont souvent ces mêmes confédérations.

Lors de la négociation de l’accord interprofessionnel généralisant la complémentaire santé, beaucoup d’organisations syndicales avaient caressé l’espoir de réserver ce marché aux groupes paritaires. Finalement, le Conseil Constitutionnel, à l’issue d’une bataille épique, exclu ce mécanisme et imposé la libre concurrence dans ce secteur.

Assurance collective et financement syndical

Pour les organisations syndicales (y compris patronales), cette décision fit l’effet d’un coup de tonnerre. Beaucoup d’organisations (en particulier FO) comptaient en effet sur ce marché nouveau pour améliorer leur finances. Les groupes paritaires accordent en effet des financements plus ou moins avouables aux organisations syndicales en contrepartie de l’attribution des marchés. La liberté de choix des entreprises dans une branche tue ce système.

On notera à l’époque que la bureaucratie syndicale, très friande de ces canaux de financement détournés, avait reçu le soutien massif du frondeur Jean-Marc Germain, député rapporteur de la loi de 2013 sur le sujet, et accessoirement très imbriqué dans la vie du Parti Socialiste. Comme on dit chez les bobos, « charité bien ordonnée… »

Les premiers effets de la concurrence

La montée en charge progressive de la généralisation de la complémentaire santé a débouché sur une concurrence féroce entre les acteurs, qui a un effet bénéfique sur les prix. Pour les groupes paritaires de protection sociale, et singulièrement pour AG2R, qui ont l’habitude de mener grand train grâce aux confortables marges de profit apportées par ces contrats négociés entre amis au nom de la solidarité, le choc est rude. Soudain, le prix des équipes de cyclistes, des catamarans qui traversent les océans, pèsent fortement sur les comptes.

Ce sujet est dans tous les esprits et toutes les conversations, à Cannes, où les mauvais esprits comptent les points et les pertes affichées dans les comptes des uns, et les bénéfices dans les comptes des autres.

La connivence politique, dernière bouée de sauvetage

Beaucoup misent donc, encore et toujours, sur les petits arrangements entre amis pour éviter la déroute financière dans les mois ou les années à venir. La loi Sapin 2 en fournit une preuve. Elle crée des fonds de pension à la française qui permettent à AG2R de desserrer la contrainte réglementaire sur ses fonds propres liés à ses prises de risque dans l’épargne retraite salariale. La création d’une filiale commune avec la Caisse des Dépôts dans ce secteur sera juste le prix à payer pour ce petit cadeau adressé entre anciens des cabinets de gauche.

Ces petits cadeaux iront-ils jusqu’à revenir, en loi de financement de la sécurité sociale, sur la jurisprudence du Conseil Constitutionnel du 13 juin 2013? Certains adoreraient que le gouvernement fasse un cadeau à ses amis du paritarisme avant 2017, en déclarant le marché de l’assurance collective de personnes chasse gardée pour les organisations syndicales et les groupes financiers qui les financent sur le dos des salariés… au nom de la solidarité, bien sûr.

Affaire à suivre.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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