Carrefour-Fnac-Darty : après la fracture sociale, la fracture du capital ?

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Par Jean Gomis Modifié le 29 mai 2017 à 23h04
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13,9 millions d'eurosSelon le syndicat Force Ouvrière, Alexandre Bompard a touché 13,9 millions d'euros en 2016.

Les syndicats du groupe Carrefour s’opposent par voie de presse et par une pétition à l’arrivée possible d’un nouveau PDG. Une affaire socialement embarrassante pour la nouvelle Ministre du travail Murielle Pénicaud.

Murielle Pénicaud, nouvelle ministre du travail d’Emmanuel Macron, est psychologue de formation. C’est une science autant qu’une qualité pour affronter les dossiers qui l’attendent dans ses nouvelles fonctions. L’imbroglio qui entoure le remplacement du Président du groupe Carrefour est un de ces dossiers chauds.

La candidature d'Alexandre Bompard divise

Le départ de Georges Plassat à la tête de Carrefour est annoncé pour 2018 mais agite dès maintenant la sphère du capital. Les deux principaux actionnaires sont Bernard Arnault (groupe LVMH) et la famille Moulin (propriétaire des Galeries Lafayette), chacun ayant sa préférence sur le profil du successeur. Celui qui fait la course en tête depuis plusieurs semaines est Alexandre Bompard, PDG de la FNAC-Darty, énarque, jeune et millionnaire.

Le hic, c’est que les syndicats de Carrefour sont très hostiles à ce parachutage doré. « Il n’entre jamais dans les attributions d’un syndicaliste de se prononcer sur le choix d’un dirigeant par l’actionnaire. Si je prends cette initiative, c’est que je considère que l’équilibre social auquel nous sommes tous tellement attachés reste fragile, et qu’il me paraît évident que seul Noël Prioux [directeur exécutif de Carrefour France depuis juin 2011] est en mesure de maintenir ce climat de développement social, si nécessaire à la pérennité du groupe. C’est ma position et celle de mon organisation syndicale », écrivait le mardi 21 février Dejan Terglav, secrétaire général de la FGTA-FO, à Bernard Arnault.

Cet avertissement était prémonitoire : faute de garanties, des salariés inquiets ont mis en ligne le 12 mai une pétition pour s’opposer à l’arrivé de Bompard. Elle a recueilli plus de 1 000 signatures par jour en une semaine.

Ce qui préoccupe les salariés et les syndicalistes, c’est le bilan social d’Alexandre Bompard à la tête de Fnac-Darty. La CGT estime que 19 % des CDI, soit environ 1 350 postes, ont été supprimés en quatre ans dans les magasins FNAC. Fin 2016, la CFTC s’alarmait déjà face à un possible plan social pouvant entraîner la suppression de 350 à 500 postes supplémentaires après la fusion avec Darty.

Mais le motif de la grogne sociale, c’est aussi qu’Alexandre Bompard « a touché 13,9 millions d’euros en 2016 », comme le rappelle Force Ouvrière, (soit +21 % par rapport à 2015), et que l’Assemblée Générale de la Fnac-Darty pourrait prochainement débloquer le super bonus lui permettant de percevoir 12 millions d’euros supplémentaire au titre de l’année 2016. Alors que la fusion entre la Fnac et Darty n’a pas été encore menée à bien, son éventuelle arrivée chez Carrefour lui permettrait en outre d’empocher un « welcome bonus » de plusieurs millions.

Code du travail vc code du capital ?

L’emploi, on le sait, est la première préoccupation des Français. Pour débloquer les embauches, le projet du chef de l’État est de simplifier le Code du travail. C’est une vieille idée, issue des rangs de la droite et reprise à gauche depuis quelques années. Elle repose sur le constat qu’une complexification accrue des conditions qui organisent la relation entre employeur et salarié finissent par paralyser le marché du travail, conduisant une partie de la population à l’exclusion du monde du travail, avec les conséquences qui en découlent. On les a résumées sous le terme de fracture sociale.

Il se pourrait toutefois qu’un des premiers chantiers auquel la Ministre du travail doive s’attaquer ne soit pas celui-là, mais le sujet inverse de la régulation des relations entre actionnaires et dirigeants, ce que l’on pourrait appeler la fracture du capital.

Il est en effet nécessaire d’aborder le problème de l’emploi sous différents angles. La lourdeur des régulations imposées par le Code du travail en est un. L’absence de régulation générée par le « code du capital » en est un autre. Il s’agit de cet ensemble de lois non écrites qui postulent que la liberté de la fortune est le premier facteur de la croissance économique. Les problèmes posés par cette théorie méritent pourtant d’être soulignés. La nouvelle Ministre du travail, qui a fait la plus grande partie de sa carrière dans le privé, aura à élaborer les futures règles d’une co-gestion à la française, où les syndicats, lorsqu’ils s’expriment sur la gouvernance de leur entreprise au nom de l’équité sociale, devront pouvoir être entendus.

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Jean Gomis est cadre commercial de formation. Il a exercé des fonctions de syndicaliste pendant 15 ans. Il travaille aujourd’hui comme expert auprès de l’Organisation Internationale du Travail et comme consultant pour la Confédération Européenne des Syndicats.

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