Aux sources du malaise français : le Code civil (2/2)

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Par Philippe Simonnot Modifié le 20 août 2017 à 21h14
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16,7Le taux de mortalité par suicide est de 16,7 pour 100 000 habitants en France.

Nature esclavagiste du « contrat de travail »

Pour conjurer le spectre de l’esclavage, dont le Code civil est hanté, les juristes français ont inventé, à la fin du 19ème siècle, le « contrat de travail » [...]. Mais sous couleur d’établir des relations contractuelles entre égaux, on est tombé de Charybde en Scylla. [...]

Le contrat de travail a pour objet, et pour seul objet, la « force de travail », nous dit-on. Soit ! Mais pour qu'un tel contrat puisse être concevable, il a fallu d'abord faire de la force de travail un objet commercial [...].

Comment y parvient-on ? Par une démarche alambiquée.

On va d’abord distinguer l’objet « force de travail » des organes et des produits de la personne qui, eux, doivent, en principe, rester tout à fait hors échange marchand. On peut vendre sa force de travail, on ne peut vendre ni son sperme, ni son rein, ni louer son sexe. [...] La « force de travail » pour être commercialisable devra donc être soustraite des éléments de la personne. [...]

Le patron a le droit de donner des ordres

Les implications du « contrat de travail » le laissaient prévoir : ce qui caractérise l'autorité dont doit être investi tout patron, ce n'est pas la possibilité de donner des ordres mais le droit de le faire, et de substituer sa volonté à celle du travailleur, quand il le juge bon. Ceci est confirmé par de bons auteurs français, tels Georges Decocq, Alain Supiot, Jean Rivero et Jean Sabatier. [...] Pour ces auteurs, la force de travail ne peut pas être isolée du reste de la personne du travailleur. Et pourtant, elle est bien un objet susceptible d’échange marchand, bref une chose économique. Donc c’est un élément non isolable de la personne qui est conçu comme étant une marchandise. On continue cependant à dire que cet élément est isolé, scotomisé pour pouvoir être approprié par le patron. Ce découpage est indispensable pour maintenir la fiction juridique. [...]

On veut bien admettre que le droit français est capable, sur le papier, de découper l'homme en rondelles. Mais, si l'on replace ces considérations dans l’histoire du travail en France, on ne trouve toujours pas de discontinuité entre esclavage et salariat, puisqu’on peut démontrer que le maître ne possédait pas non plus toute la personnalité de l'esclave [...]

Preuves par suicides

En réalité, le contrat de travail n’a pas pour objet le seul corps comme l’est par exemple une location d’utérus, mais une partie de la personne dans sa dimension corporelle et supra-corporelle. On peut même dire que la dimension supra-corporelle est prévalante : la volonté du travailleur est subordonnée à celle de son patron, on vient de le voir. [...]

Traduisons : l'esclavage a trouvé dans le salariat en France un habillage juridique qui le rend compatible avec les « droits de l'homme ». [...] Aujourd'hui le distinguo entre travail manuel et travail intellectuel n’est plus tenable. La pénibilité physique a certes beaucoup diminué dans la plupart des cas, mais la pénibilité psychologique peut devenir insupportable. Il est d’ailleurs frappant de constater que les suicides au travail se sont multipliés depuis une quinzaine d’années – ce qui montre bien que le contrat de travail engage plus que la force de travail [...]

Le résultat de la fiction française est que le droit du travail est bancal, relevant à la fois du « contrat » d’esclavage issu du droit romain et d’un droit statutaire fondé sur l’intervention de l’État, le second cherchant obscurément à corriger ce que l’on n’ose pas reconnaître de l’héritage incontournable du droit romain.

Ceci est un extrait du livre « Chômeurs ou Esclaves, Le Dilemme français » écrit par Philippe Simonnot paru aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux. (ISBN: 2363710592, ISBN numérique: 978-2363710598). Prix : 13,90 euros.

Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions Pierre-Guillaume de Roux.

À lire sur le même sujet : « Aux sources du malaise français : le Code civil (1/2) »

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Philippe Simonnot est un économiste et un ancien journaliste français. Docteur en sciences économiques à l'université de Paris X et de Versailles, il est l'auteur de nombreux ouvrages d'économie. Il publie épisodiquement des chroniques économiques dans la presse, notamment dans Le Monde et Le Figaro. En mars-avril 2007, il lance sur internet un observatoire des religions qui a pour objectif de faire entrer la religion dans une réflexion scientifique, notamment économique.

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