Comment Emmanuel Macron enkyste dangereusement la question de l’ISF

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 15 janvier 2019 à 11h47
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L’ISF va-t-il devenir le prochain sujet de discorde? Emmanuel Macron a publié sa lettre aux Français, supposée lancer le Grand Débat, qu’il ouvrira en personne à Bourgthéroulde, en Normandie. Cet exercice inédit a laissé des sentiments mitigés. Si, officiellement, beaucoup d’états-majors ont critiqué la vacuité de l’exercice, de nombreux Français, y compris chez les Gilets Jaunes, se sont laissés séduire par le brio présidentiel. Reste qu’Emmanuel Macron y a posé des interdits qui risquent de lui jouer un bien vilain tour.

La réforme fiscale devrait occuper le débat public dans les semaines à venir. Elle sera au coeur du Grand Débat qui s’ouvre. En consultant les cahiers de doléances, les options préférées des Français sont apparues clairement: rétablir l’ISF et remettre la justice au coeur de notre fiscalité.

Pour Emmanuel Macron, l’exercice se révèle déjà très compliqué.

Macron enkyste déjà la question de l’ISF

Petit problème : Macron (par ailleurs très soutenu par les assujettis à l’ISF) vient de supprimer l’ISF et n’a nulle envie de procéder à son rétablissement. Cette opposition frontale à la volonté populaire l’a conduit à écrire, dans sa lettre:

« Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises pour corriger cela afin d’encourager l’investissement et faire que le travail paie davantage. Elles viennent d’être votées et commencent à peine à livrer leurs effets. Le Parlement les évaluera de manière transparente et avec le recul indispensable. »

Voilà donc le Président qui souhaite un débat loyal et franc avec son peuple, mais qui fixe par avance des lignes rouges sur es sujets pourtant urticants, où il devrait être mis facilement en minorité par l’opinion. On appréciera la bravoure du geste !

Il n’y avait en tout cas pas de meilleure manière d’enkyster par avance le débat sur un sujet emblématique qui lui est par ailleurs beaucoup reproché. L’étiquette de « Président des Riches » risque de beaucoup servir dans les prochaines semaines.

Mais que diable allait-il faire dans cette galère ?

Emmanuel Macron a la manie de se mettre, comme un enfant impatient, en première ligne sur des sujets pourtant très sensibles. Il l’a fait avant le 17 novembre où, grillant la priorité à son Premier Ministre (pourtant inventé à cet effet), il avait annoncé par avance qu’il ne changerait pas de cap. Il le refait cette fois en écrivant personnellement qu’il ne reviendra pas à l’ISF.

Voilà qui s’appelle tendre le bâton pour se faire battre.

Car Emmanuel Macron aurait pu distinguer les mouvements. Un bon politique aurait pris à sa charge la fonction d’annoncer les choses positives, d’ouvrir les perspectives et les fenêtres. Il aurait délégué à son Premier Ministre le soin d’écarter le rétablissement de l’ISF loin de ce débat. C’est quand même à cela que sert un Premier Ministre, pardi.

Dans la Macronie, l’inversion règne. Le Président protège encore et toujours le Premier Ministre. Et Macron ne semble pas, sur ce point, vouloir apprendre de ses erreurs.

Parler de l’ISF, une tentation bien française

Emmanuel Macron ne peut pourtant ignorer que le sujet de l’ISF est devenu quasiment emblématique, pour beaucoup de Français, de l’injustice fiscale. Sur ce point, Macron peut se reprocher de n’avoir pas fait la pédagogie de cette mesure impopulaire que fut la suppression de l’ISF. Peu de Français savent que la France est la championne mondiale de l’imposition du patrimoine, avec ou sans ISF. Beaucoup de Français imaginent que les revenus du capital ne sont pas taxés, et les medias mainstream, aidés par quelques associations militantes, leur rebattent les oreilles sur les scandaleux dividendes du CAC 40 versés aux actionnaires – comme s’il n’existait pas une taxe de 30% sur ces revenus.

Dans ce bouillonnement, les Français s’exprimeront bien entendu en faveur majoritairement d’un retour à l’ISF. Et dans ces circonstances, une fois la revendication fixée sur le papier, il faudra bien y accéder, ou la gommer (mais ça se verra et ça ne fera pas sérieux), ou expliquer qu’on n’en tient pas compte. Cette ligne-là sera dangereuse politiquement.

En attendant, des contribuables assujettis s’organisent pour préparer un combat de tous les instants contre le rétablissement de cet impôt.

Les patrons face à Macron

Plus généralement, la position d’Emmanuel Macron risque vite de se révéler intenable. Le Président est probablement convaincu (et globalement à juste titre) que l’ISF est une aberration économique. Mais faute d’ouvrir un débat approfondi sur la fiscalité du patrimoine, son refus de l’ISF risquera le pire.

Sur ce point, le Président sera bien pris entre deux feux. Pour les états-majors parisiens, le rétablissement de l’ISF à cause des Gilets Jaunes sera un casus belli contre leur héraut.

Beaucoup de patrons provinciaux devraient se retrouver dans cette lutte contre un impôt injuste.

Inversement, pour l’opinion publique majoritaire, l’ISF est un impôt facile à comprendre, puisqu’il permet de « faire payer les riches ». Ce choix est toujours populaire, et plus simple à défendre que l’inverse. Le débat devrait être très chaud et polémique sur ce sujet.

Les petits patrons toujours à l’affût

La particularité de la situation tient à l’ambivalence des petits (et moyens patrons) face aux Gilets Jaunes. Majoritairement, les patrons souhaitent une baisse des impôts et détestent les élites parisiennes. L’énarchie les exaspère et ils ne sont généralement pas loin de penser (on ne leur donnera pas forcément tort) est l’une des principales responsables du déclin de ce pays.

L’idée qu’un mouvement populaire demande un renouvellement des élites et un affaiblissement des jacobins parisiens ne leur déplaît donc pas forcément. À cela s’ajoute une défiance constante contre un pouvoir qui impose un système de protection sociale globalement absurde.

Beaucoup de patrons reprocheront donc à Macron soit un excès de souplesse sur la fiscalité, soit un excès de jacobinisme en cas de rigidité.

Le rejet de Macron emportera-t-il l’ISF?

Parce qu’il est déconnecté de la réalité, et notamment de la détestation (exagérée) qu’il suscite, le Président n’a pas mesuré la brèche qu’il ouvrait dans son dispositif de défense en excluant le rétablissement de l’ISF du débat. Beaucoup de ses opposants risquent de se saisir de ce sujet uniquement pour le mettre en minorité et pour l’humilier, voire pour l’affaiblir encore un peu plus politiquement. La prise de risque politique est ici maximale.

Si l’on ajoute à cette erreur, le cafouillage sur l’organisation du débat, le choix de personnalités controversées ou directement liées à la majorité pour encadrer ce débat, les ingrédients sont réunis pour que les résultats en soient disqualifiés par avance.

Pour tous les assujettis à l’ISF, cette affaire sent vraiment le roussi.

Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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