Comment gérer nos ressources planétaires ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 13 décembre 2022 à 20h39
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28En matière de ressources naturelles, cela fait 28 jours que la planète vit à crédit.

Un sommet mondial de l’eau se tient actuellement à Stockholm, 45 ans après la conférence des Nations-Unies sur l’environnement de 1972, qui s’était également déroulée dans la capitale suédoise, et 25 ans après le « Sommet de la terre » réuni à Rio en 1992.

Cet événement coïncide avec les ravages provoqués au Texas par l’ouragan Harvey ; il montre l’importance d’une véritable gestion des ressources dont dispose l’espèce humaine – et l’immensité du travail à réaliser pour porter la qualité de cette gestion au niveau nécessaire si l’on veut éviter des drames d’une ampleur comparable à ceux que provoquent les guerres.

Nous devons mieux gérer les ressources en eau douce souterraine, très sollicitées, qui diminuent de façon inquiétante ; nous devons nous adapter à la baisse des précipitations, qui deviennent insuffisantes en maints endroits ; et les perspectives de hausse du niveau des mers – hausse qui rendrait les régions côtières, particulièrement peuplées, de plus en plus vulnérables aux tempêtes – s’ajoutent à cela pour faire envisager des mouvements migratoires de grande ampleur. Pour faire face à ces défis, l’humanité doit s’organiser. Comment ? La question ne saurait être résolue en quelques lignes, mais deux points ont une importance particulière : les droits de propriété qui portent sur des ressources naturelles, et les autorités mondiales requises pour organiser la gestion de ces ressources.

Quels droits de propriété et d’usage pour les ressources naturelles ?

Il y a quelques décennies, j’avais proposé que certaines ressources naturelles deviennent propriété de l’humanité dans son ensemble. Les gisements d’hydrocarbures, par exemple, génèrent une rente qui pourrait en bonne justice revenir pour une part importante à une autorité mondiale plutôt qu’aux États, charge à elle de financer les recherches requises pour préparer l’après-pétrole et l’après-gaz. Certes, un tel « machin », pour reprendre l’expression que Charles de Gaulle employait volontiers quand il voulait attirer l’attention sur les défauts des organismes supranationaux, aurait fonctionné avec un rendement modeste, comme l’ONU et compagnie, mais son action aurait quand même été beaucoup plus utile au genre humain que celle de divers princes ou gouvernements qui gaspillent actuellement la rente pétrolière, certains d’entre eux allant même jusqu’à l’utiliser pour augmenter leur propre capacité de nuisance ou celle d’organisations terroristes.

Aller dans ce sens requiert de grands changements juridiques, particulièrement en ce qui concerne les droits de propriété. La propriété privée, familiale ou entrepreneuriale, a certes contribué puissamment au fantastique travail d’aménagement de vastes portions de notre planète auquel nos ancêtres se sont livrés, et que nous poursuivons : d’immenses étendues de terres ont été rendues arables, des millions d’hectares de marais ont été transformés de façon à pouvoir fournir de la nourriture plutôt que des moustiques et des miasmes, et le genre humain, qui avait déjà résisté depuis des dizaines de milliers d’années à de fortes variations climatiques et à de grandes modifications du niveau des mers, a pu passer grâce aux progrès techniques et organisationnels de quelques dizaines de millions d’individus à plusieurs milliards.

Ces œuvres dont le genre humain peut être fier n’auraient probablement pas été accomplies si des structures étatiques ne s’étaient pas mises en place pour coordonner les efforts. Que l’on se tourne vers la Mésopotamie, vers la vallée du Nil, ou vers la Chine, on voit bien que la domestication des cours d’eau en vue de l’irrigation, l’instauration de droits de propriété privée raisonnablement solides, la diffusion de langues parlées par tous les membres de vastes sociétés, et beaucoup d’autres facteurs de développement, résultent pour une bonne part de la constitution d’administrations efficaces disposant de pouvoirs assez étendus.

Les droits de propriété privée eux-mêmes requièrent des autorités publiques capables de faire prévaloir le droit sur la tromperie et la brutalité. Pendant des siècles, il a suffi pour cela de petits États. Mais le dicton small is beautiful ne signifie pas que tout doive être petit. Le principe de subsidiarité indique que les grandes autorités ne doivent pas chercher à intervenir dans les moindres détails : de minimis non curat praetor. Il ne signifie pas qu’il ne faut pas prendre des décisions concernant de vastes communautés, jusqu’à l’humanité toute entière, mais simplement que ceux qui ont la charge de prendre de telles décisions ne doivent pas se substituer aux échelons inférieurs pour gérer les questions d’importance locale.

Comment disposer d’autorités mondiales raisonnables ?

Le problème auquel nous sommes aujourd’hui confrontés est donc la création ou la consolidation d’autorités planétaires, en charge de ce qui concerne le genre humain tout entier. Une double difficulté doit être surmontée : ne pas mettre en place de simples ectoplasmes, à l’image de l’Organisation des Nations Unies, qui ne dispose pas de pouvoirs conséquents ; et ne pas créer des entités voulant s’ingérer dans les questions qui relèvent de niveaux d’autorité inférieurs.

À cet égard, nous disposons d’assez bons et d’assez mauvais exemples. Les États fédéraux allemand et américain, tout en ayant certes d’importants défauts, me paraissent constituer des réussites. Je ne me prononcerai pas sur l’Union indienne ni sur la République populaire de Chine, que je connais trop mal, laissant le soin à des personnes mieux informées de dire ce que nous enseigne la gouvernance des deux pays milliardaires en nombre de citoyens, qui à ce titre sont particulièrement intéressants à observer pour savoir comment mettre en place une autorité mondiale. En revanche, je prendrai le risque de dire que l’Union européenne nous apprend davantage ce qu’il ne faut pas faire que ce qu’il faut faire quand on passe de la gouvernance d’un pays à celle d’un ensemble de pays : il ne faut pas se consacrer à la réglementation de myriades de détails, faute d’être capable de s’occuper efficacement de ce qui relève vraiment du niveau fédéral.

Une des leçons à tirer des erreurs de la construction européenne est qu’une instance supranationale doit disposer de ressources propres. S’il faut, par exemple, faire face à une élévation de plusieurs mètres du niveau des océans, ce n’est pas en faisant la quête auprès des États que l’organe de gouvernance mondiale disposera des ressources voulues. En revanche, si cet organe est propriétaire des gisements d’hydrocarbures et de métaux, il disposera des moyens indispensables pour aménager la planète. Que la République de Chine conserve la propriété de la Grande Muraille et la République français celle du château de Versailles ; que les autorités sanitaires Italiennes règlementent (d’une main légère !) la fabrication de la mozzarella et leurs homologues françaises celles du camembert ; mais qu’il soit mis fin par l’autorité mondiale au saccage des forêts primaires que tolèrent actuellement des gouvernements complaisants.

Il nous faut donc une autorité mondiale qui se substitue le moins possible aux autorités nationales, mais qui exerce une gouvernance véritable, incluant un pouvoir de commandement sur les États, dans les domaines d’intérêt planétaire.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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