Journal de guerre : la France à l’ère conspirative

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Par Eric Verhaeghe Publié le 26 novembre 2015 à 9h58
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0,1%Les attentats pourraient coûter à la France 0,1% de PIB.

Pour reprendre le bon mot du procureur Molins, la France est entrée dans une ère conspirative. Ce changement en profondeur réserve quelques amusantes surprises.

La méthode « conspirative »

L’idée ne vient ni d’un site d’extrême droite, ni d’un mouvement d’hurluberlu, mais des plus hautes autorités de l’Etat: la France est victime de factions conspiratives qui cherchent à lui nuire et se livrent à de dangereuses attaques terroristes. Beaucoup se félicitent des propos du procureur. Mais ils posent quand même une question: il y a donc bien des conspirations qui agissent dans l’ombre.

On saura rappeler au pouvoir que la théorie de la conspiration, c’est lui, que la rumeur conspirative, c’est encore lui.

Cazeneuve, le premier des conspiratifs

Au passage, on rappellera aussi que, dans son ouvrage Karachi, l’enquête impossible, celui qui n’était alors que député de Cherbourg, Bernard Cazeneuve, racontait les malheurs de la commission parlementaire sur l’attentat de Karachi. Sa thèse, à l’époque, reposait sur une idée simple: l’attentat de Karachi était faussement attribué aux islamistes, et s’expliquait par des manquements sur la scène intérieure française.

Assez curieusement, Cazeneuve est aujourd’hui celui qui s’oppose à la transmission de documents officiels sur la fourniture d’armes à Coulibaly. Vérité un jour, erreur le lendemain.

Partout, la méfiance conspirative

J’avais ce soir un dîner en ville. J’ai bien entendu juré de n’en rien trahir, et je me précipite pour en faire le compte-rendu. Mais le plaisir de se retrouver désormais à table avec des convives qui, il y a six mois encore, n’eussent jamais osé poser la moindre question sur les versions officielles, et s’interrogent aujourd’hui sous le manteau, est à la fois cocasse et illustratif. L’Etat a perdu la confiance des citoyens honnêtes ce qui, en France, est très grave. Il faut voir avec quel embarras, quelle gêne, quel regard affolé, et après combien de circonvolutions les sujets sont abordés. Le mal est profond, dangereux, tumoral.

« Bien entendu, je crois à tout ce qui m’est dit, mais il y a quand même quelque chose que je ne comprends pas… » Ces mots-là ne peuvent être prononcés qu’avec une sorte de componction sépulcrale, comme lorsqu’on évoque l’esprit des morts.

Les conspiratifs de la 4è équipe

Tous ceux qui connaissent bien l’Est parisien savent. La version officielle selon laquelle, en quatorze minutes, une seule équipe de terroristes aurait exécuté la fusillade du Petit Cambodge, puis de la Bonne Bière, puis de la Belle Equipe, et aurait fini par une action suicide au Comptoir Voltaire – cette version est matériellement impossible. Elle repose notamment sur l’idée que l’équipe aurait mis 4 minutes pour se rendre de la Fontaine-au-Roi à la rue de Charonne. C’est d’autant moins possible un vendredi soir que les bandes vidéos de la Fontaine-au-Roi montrent que les terroristes ne sont pas partis par le chemin le plus court pour rejoindre la rue de Charonne. Ils ont emprunté la Fontaine-au-Roi (au lieu de la Folie-Méricourt) puis l’avenue Parmentier. A cette heure-là, la traversée de la rue Oberkampf est extrêmement longue, même en grillant les feux.

La même équipe n’a pas pu réaliser 4 opérations en si peu de temps. Google Map indique qu’en temps normal, il faut 8 minutes pour se rendre d’un endroit à l’autre. Diviser le temps par deux relève de l’exploit hautement improbable. D’ailleurs, plusieurs témoignages évoquent bien une Mercedes sur les lieux, rue de Charonne, et non une Seat.

Qui cherche les conspiratifs?

A table, cette idée-là – celle d’une équipe différente rue de Charonne – fait consensus. Mais pourquoi la police n’en parle-t-elle pas? Trois hypothèses existent. Soit la police sait mais veut piéger les terroristes en n’évoquant pas le sujet pour endormir leur vigilance. Soit la police ne sait pas, et on peut s’inquiéter sur les méthodes d’investigation. Soit la police ne veut pas savoir, parce que la version officielle est plus facile à tenir que la version vraisemblable.

Et immédiatement, le feu de questions roule sur: « qui connaissez-vous qui s’exprime sur le sujet dans le silence des bureaux? »

L’appareil d’Etat est-il traumatisé par les conspiratifs?

Ce soir, j’ai entendu le désarroi de la technostructure face aux dysfonctionnements de l’Etat. Partout, la machine s’enraie et les gens les plus loyaux se posent des questions sur le sens de leur mission. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que plus personne n’a de véritable espérance sur le fonctionnement des services. Tout se fait à reculons, les mains jointes pour prier, dans la crainte et le tremblement: pourvu que ça tienne.

Nos militaires sont épuisés. Nos services de renseignement traversés par le doute. Le jeu qui se joue est opaque et partout triomphe l’incertitude. Pour tous, il est évident que l’Etat Islamique améliore sans cesse son organisation pour frapper plus fort.

Où s’arrêtera-t-il? Peut-il compter sur l’aide de services secrets étrangers pour agir?

Ces questions-là sont dans toutes les têtes, mais tout porte à croire que la France cherche à monter une coalition avec ceux qui auraient pu aider à porter le fer contre elle. Cela ne signifie pas qu’ils l’ont fait. Mais le seul fait que le soupçon existe est comme un avant-goût des tournures bien plus brutales que ces événements-là peuvent prendre.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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