Téléphonie mobile à la Réunion : chronique d’une distorsion de concurrence annoncée

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Par Rédacteur Modifié le 21 avril 2021 à 15h51
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80%Zeop est détenu à 80% par Océinde.

A la Réunion, le fournisseur d’accès à internet Zeop envisage avec appréhension l’attribution de nouvelles fréquences de téléphonie mobile, encadrée par l’Arcep. Garant du respect des règles du jeu concurrentiel, le gendarme des télécoms pourrait bien, paradoxalement, être responsable d’une forte distorsion de concurrence en défaveur de l’opérateur réunionnais. Explications.

Zeop, pionnier de la fibre et nouvel entrant en téléphonie mobile

Opérateur alternatif, inconnu ou presque en France métropolitaine, Zeop jouit en revanche d’une solide réputation à la Réunion, qui lui doit beaucoup. Créé en 2008 par des Canadiens, rachetée en 2011 par un consortium composé par le groupe réunionnais Océinde (80 %) et la banque Mauricienne MCB (20 %), l’opérateur s’illustre à l’origine dans la fibre optique, ayant contribué à ce que plus de 90 % des logements réunionnais soit raccordés. Pionnière de la technologie Fiber to the home (FTTH), la famille Goulamaly, à la tête d’Océinde, peut s’enorgueillir d’avoir fait de la Réunion « le premier département fibré de France après l’île de France ».

En 2016, Zeop profite d’une volonté de l’Arcep de dynamiser la concurrence dans les Outre-mer pour investir le marché de la téléphonie mobile réunionnais. L'Autorité de régulation souhaite en effet porter à quatre le nombre d’opérateurs en téléphonie mobile dans chaque DOM, afin d’honorer la mission qui lui a été confiée par le Parlement lors de sa création en 1997 : « accompagner l’ouverture à la concurrence du secteur des communications électroniques (…) au bénéfice de l’utilisateur final. » A la Réunion, en plus du dernier arrivé Zeop, Orange, SFR et Free se partagent le marché de la téléphonie mobile.

Arrivé quatrième de la soumission comparative initiée par l’ARCEP en 2016, Zeop « obtient 15 MHz duplex dans la bande 1800 MHz, 14,8 MHz duplex dans la bande 2,1 GHz et 20 MHz duplex dans la bande 2,6 GHz ». Une belle entrée en matière, non contestée, qui ne doit cependant pas masquer une réalité technique compliquée et handicapante. Les initiés auront en effet remarqué que ce portefeuille ne contient pas de fréquences basses alors même que les trois concurrents de Zeop, qui en possédaient déjà dans la bande des 900 MHz, se voient dotés de nouvelles fréquences dans la bande basse des 800 MHz.

Fréquences basses et haut débit

Pourquoi c’est problématique ? L’explication tient en peu de mots. Selon Félix Marciano, journaliste spécialisé, « plus la fréquence utilisée est basse, plus le signal porte loin et mieux il traverse les murs des habitations ». Dans un courrier adressé en février à l’Arcep, Zeop ne dit pas autre chose : « Pour un opérateur mobile, les fréquences basses s’avèrent indispensables puisque, compte tenu de leurs propriétés de propagation, elles lui permettent de fournir un service (…) qui pénètre efficacement dans les bâtiments. Sans fréquences basses, pour augmenter sa couverture in-door au même niveau qu’un opérateur en disposant, il lui faudrait multiplier au minimum par trois le nombre de ses antennes pour arriver au même résultat. Cela ne paraît ni envisageable ni même faisable. » Autrement dit, ce meilleur pouvoir de propagation des fréquences basses, qui implique moins d’antenne-relais pour couvrir un même territoire, se traduit financièrement par un coût de déploiement moindre que celui des fréquences hautes. L’Autorité de la concurrence a d’ailleurs reconnu ce désavantage concurrentiel dans un avis 2013.

Ceci étant dit, l’annonce de l’Arcep d’attribuer de nouvelles bandes de fréquences à la Réunion, dont des basses dans la bande des 700 MHz, aurait dû ravir Zeop. Il n’en a rien été. En cause, les modalités d’attribution de ces fréquences, qui, au lieu de corriger le déséquilibre flagrant dont souffre l’opérateur réunionnais par rapport à ses concurrents, pourraient encore l’aggraver.

Ainsi, 6 nouveaux blocs de 5 MHz seront attribués à la Réunion, dans la bande de fréquences 700 MHz, pour un total de 30 MHz. Tout porte à croire que chacun des opérateurs présents acquerra l’un de ces blocs, tandis que les deux blocs restants seront mis aux enchères. Si, dans le meilleur des cas pour lui, Zeop obtient un bloc aux enchères, tandis que Free obtient le dernier, cela portera à 10 MHz la bande de 700 MHz dans l’escarcelle de Zeop et de Free. Zeop ne possédera en tout et pour tout que ces 10 MHz dans son portefeuille de fréquences basses, tandis qu’en additionnant ces nouvelles attributions aux autres blocs de fréquences basses déjà alloués à Free, Orange et SFR en posséderont respectivement 29,8 MHz, 27,4 MHz et 27,4 MHz, soit à eux trois près de 90 % des fréquences basses de la Réunion.

Comment Zeop pourrait-il se battre à armes égales avec des concurrents bénéficiant de trois fois plus de fréquences basses que lui et qui pourront ainsi offrir à leurs clients de bien meilleurs débits en data ? C’est la question à laquelle Laure de la Raudière, fraichement désignée à la tête de l'Arcep, et Cecile Dubarry, sa DG, pourraient être invitées à répondre dans les prochaines semaines… Avec un certain embarras, on l’imagine, le rôle de l’Arcep étant précisément d’éviter ce type de distorsion de concurrence dans l’attribution de tranches du domaine public hertzien.

Si l’équation semble insoluble, c’est peut-être que les termes sont mal posés. Une solution pourrait consister à limiter à 25 MHz, au lieu de 30 actuellement, le plafond que chaque opérateur peut posséder dans les fréquences basses, et de porter à 25 MHz, au lieu de 15, le seuil maximum de détention de fréquences 700 MHz. Mécaniquement, cela empêcherait Orange et SFR de prétendre à davantage de fréquences basses qu’ils n’en ont déjà (22,4 MHz chacun), puisqu’elles sont attribuées par blocs de 5 MHz. Free quant à lui pourrait en obtenir 5 de plus, portant son total à 24,8 MHz, tandis que Zeop se verrait attribuer les 25 MHz restants. De quoi diviser le gâteau en quatre parts presque égales. L’occasion de resituer cette problématique sur un terrain qu’elle n’aurait jamais dû quitter : celui de la concurrence effective entre des opérateurs mobiles à travers la qualité de leur réseau et la richesse de leurs offres commerciales, que viendront arbitrer les consommateurs réunionnais.

Innovation et bénéfice client

Depuis son arrivée sur le marché de la fibre optique puis de la téléphonie mobile, Zeop s’est distingué par son sens de l’innovation. Après avoir couvert l’ensemble de la Réunion en très haut débit fixe et lancé la première offre de fibre optique au débit de 1 Giga, on lui doit, en 2019, la création de la première offre internet mobile tout illimité (voix, sms et data) et bon marché, ayant permis de démocratiser la consommation de data. En creusant l’écart concurrentiel entre Zeop et ses concurrents, et en ne laissant que la portion congrue à l’opérateur réunionnais en matière de fréquences basses, l’Arcep risque d’augmenter les coûts de déploiement de ce dernier et de limiter la qualité de ses offres en termes de débit et donc de nuire à son modèle économique. Jusqu’à l’étouffement ? On peut le craindre, d’autant que, de façon assez inexplicable et au mépris du droit européen, Zeop ne bénéficie toujours pas de droit d’itinérance à la Réunion, alors que tout opérateur mobile qui pénètre un marché en décalage doit pouvoir en bénéficier.

Une chose, en tout cas, est certaine : au vu des conditions d’attribution de fréquences proposées par l’Arcep, le dernier venu sur la scène de la téléphonie mobile réunionnaise pourrait à terme ne plus être en mesure de proposer les innovations qui ont fait son succès et le bonheur des Réunionnais jusqu’à présent. Un comble, quand on se souvient que c’est précisément pour servir le bénéfice des utilisateurs finaux que le gendarme des télécoms a accompagné l’intégration d’un quatrième opérateur en 2016.

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