Et si l’Ecosse disait « Yes » ?

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Par Thomas Fallon Modifié le 17 septembre 2014 à 4h25

Le 18 septembre prochain le peuple écossais sera invité à se prononcer pour ou contre l’indépendance du pays. Les conséquences d’un résultat en faveur de l’indépendance seraient profondes et historiques. L’impact économique et financier d’une indépendance écossaise recouvre une vaste palette de sujets.Parmi les conséquences les plus importantes figurent la question monétaire, la problématique du budget et de la dette,l’effet de contagion en Europe et les réactions des marchés financiers.

La question monétaire

Le choix de la monnaie est devenu un élément central du débat entre les « Yes » et les « No » mais qui a dépassé aussi les frontières de l’Ecosse. Les indépendantistes veulent garder la livre sterling (GBP) en cas de victoire du Yes dans le cadre d’une union monétaire formelle avec le Royaume-Uni (R-U). Le gouvernement britannique a déclaré pour sa part qu’il refuserait qu’une Ecosse indépendante puisse continuer d’utiliser le GBP d’une manière formelle.Cette question serait centrale dans des négociations postindépendance car ni Edimbourg ni Londres n’auraient intérêt à ce que l’instabilité s’installe dans ce domaine. Dans une union monétaire l’Ecosse aurait l’avantage de conserver la monnaie de son partenaire commercial principal en évitant les risques de change et les fuites de capitaux.Pour la Banque d’Angleterre, l’expérience de la zone euro (rarement un argument positif au R-U !) montre que la création d’une telle union nécessiterait la mise en place d’une union bancaire ainsi que d’un système de transferts budgétaires en cas de chocs économiques. Aussi dans le régime d’une union monétaire Londres garderait le contrôle de la politique et de la réglementation monétaire (comme actuellement).

En réponse au refus de Londres d’une union monétaire, les « Yes » évoquent une alternative. La première pourrait être l’adoption de l’euro (une contre-tactique de négociation ?). Plusieurs problèmes se posent avec cette option.L’Ecosse aurait une monnaie différente de celle de son principal partenaire commercial.L’adoption de l’euro ne serait pas automatique et, même si elle se concrétisait à terme, l’Ecosse subirait les conséquences d’une période d’incertitude pendant l’intérim.

La deuxième serait de continuer d’utiliser le GBP malgré le refus de Londres. Certes, Londres ne pourrait pas empêcher l’Ecosse de suivre cette voie. Mais le pays aurait besoin d’un niveau important de réserves pour assurer sa crédibilité.Aussi la masse monétaire écossaise dépendrait de l’évolution de ses comptes externes,limitant potentiellement son indépendance monétaire. Le marché appliquerait fort probablement une prime de risque aux emprunts écossais en G B P.

Enfin une autre possibilité pourrait être l’introduction d’une nouvelle monnaie écossaise, « le chardon »,donnant davantage de contrôle à l’Ecosse sur sa politique monétaire. Cependant il est très probable qu’au moins dans un premier temps, les autorités écossaises souhaitent maintenir la parité du chardon très proche de celle du sterling,limitant de ce fait leur marge de manœuvre en politique monétaire.

Le budget et la dette

Une Ecosse indépendante perdrait des transferts budgétaires et des subventions en provenance du R-U. En revanche elle gagnerait presque la totalité des revenus pétroliers (significatifs mais décroissants), les pouvoirs fiscaux et budgétaires et peut- être une diminution du service de la dette versé à Londres. Avec une politique monétaire toujours déterminée par Londres mais en exerçant une pleine responsabilité budgétaire, l’Ecosse serait gagnante à certains égards. Mais l’anticipation de l’impact budgétaire et de l’ampleur des ajustements jugés nécessaires dans les deux pays serait un exercice difficile en raison de facteurs complexes et multiples : le degré de succès d’une « concurrence fiscale » écossaise,la vitesse de diminution des revenus pétroliers,les évolutions respectives de productivité et de démographie...

Concernant la dette publique le R-U a déjà accepté d’en prendre la responsabilité en totalité. Les indépendantistes s’engagent à compenser le R-U pour la part de la dette attribuable à l’Ecosse proportionnellement à sa contribution au PIB. Dans cette configuration le ratio de dette/PIB écossais atteindrait environ 65% (le SNP évoque un ratio à long terme proche de 40%). Toutefois après le refus de Londres de laisser l’Ecosse indépendante utiliser le sterling, le SNP a annoncé que dans ce cas le pays n’assumerait pas sa responsabilité sur sa part de la dette. Pour le R-U, la perte du PIB écossais combinée à un encours de dette inchangé impliquerait une détérioration du ratio de la dette, qui pourrait dépasser la moyenne des ratios des pays de la zone euro.

Mais beaucoup dépend dans un premier temps des négociations entre les deux pays et,au-delà,des conséquences pour les deux économies d’éventuels mouvements importants des capitaux.Les agences de notation seraient prêtes à réviser à la baisse la notation souveraine du R-U, même si S&P a estimé que « l’indépendance de l’Ecosse imposerait aux deux pays des changements et risques significatifs mais non ingérables».

Les conséquences en Europe

Un « Yes » en Ecosse provoquerait une crise politique britannique avec des incidences européennes. En effet, la probabilité d’un référendum sur le maintien du R-U dans l’Union européenne serait très forte avec des conséquences potentiellement significatives pour l’économie britannique ainsi que pour l’Europe elle-même.Paradoxalement cette situation pourrait résulter d’une victoire des indépendantistes écossais et qui veulent rester dans l’UE et adopter éventuellement l’euro !

De plus le cas écossais pourrait avoir un effet de contagion en Europe où les aspirations séparatistes sont les plus prégnantes. Le cas de la Catalogne vient immédiatement à l’esprit. Les indépendantistes catalans réclament un référendum sur la question dès le mois de novembre prochain même si Madrid a déclaré qu’un tel vote serait illégal.Ces turbulences politiques pourraient provoquer des incertitudes économiques non pas seulement dans les pays concernés mais aussi en Europe.

Jusqu’à une période récente les marchés semblaient écarter le risque d’une sécession écossaise et ses conséquences. Le réveil des marchés (et du monde politique britannique) par des sondages récents a donné un avant-goût de la volatilité qui pourrait s’installer autour du vote et au-delà.En cas de victoire du « Yes » la livre sterling serait sans doute de nouveau affaiblie, d’autant plus que la perte des revenus pétroliers augmenterait le déficit externe du R-U de 2-3% du PIB.Les incertitudes sur le partage de la dette, ainsi que les perspectives d’une baisse de la notation du R-U, provoqueraient une hausse de la prime de risque sur le marché des « gilts ».

Dans un tel contexte, la Banque d’Angleterre pourrait retarder la date d’une éventuelle hausse de taux. La Bourse de Londres ne serait pas épargnée mais les investisseurs feraient sans doute la distinction entre les valeurs britanniques « globales » et celles considérées comme susceptibles d’être les plus touchées par la sécession. En dehors des Iles Britanniques on pourrait envisager dans un premier temps un élargissement de certaines primes de risque,notamment sur la dette espagnole. A moyen-terme l’évolution des marchés dépendrait, inter alia, du contenu des négociations entre l’Ecosse et le R-U.Dans d’autres pays tout dépendrait de la probabilité ou non d’un effet domino du Yes écossais.

Frank Gaertner / Shutterstock.com

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Thomas Fallon a exercé plusieurs fonctions au cours de sa carrière : chercheur en macro-économie à l’Université d’Exeter, Grande Bretagne, économiste auprès du Trésor et du gouvernement anglais, membre du Comité Brady et de plusieurs comités internationaux pour la restructuration de dettes souveraines. Il a occupé de 1975 à 2003 des postes à responsabilité dans plusieurs banques. En 2004 il a rejoint La Française AM où il fut Responsable de gestion marchés émergents jusqu’en 2013. 

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