Convention citoyenne sur le climat : pourquoi vouloir tout jeter ?

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Par Marc Pelletier Modifié le 28 octobre 2020 à 9h13
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Du gouvernement aux différentes administrations concernées, tout le monde semble en creux vouloir l’enterrement du rapport de la convention citoyenne sur le climat remis en juin dernier. Faut-il donc remiser sans tambours ni trompettes les promesses d’Emmanuel Macron ? Sûrement pas, mais le sujet mérite réflexion, en prenant le temps de comprendre les conséquences de certaines propositions. L’écologie n’est pas une pétition de principe, et elle ne pourra pas s’inscrire dans nos modes de vie si elle se concrétise au détriment d’une partie de la population.

Réunissant 150 citoyens tirés au sort, encadrés par un certain nombre d’« experts », la Convention citoyenne sur le climat, a accouché en juin 2020 de 149 propositions, dont 146 ont été retenues par le président de la République. Déjà, un conseil de défense écologique présidé par Emmanuel Macron a décidé un certain nombre de mesures « réglementaires », portant sur la rénovation énergétique des bâtiments, la maîtrise de la consommation de l’énergie et la lutte contre l’artificialisation des sols. D’autres propositions sont actuellement en discussion et pourraient faire l’objet de projets de loi, mais nombre de mesures ont d’ores et déjà fait l’objet de sérieux bémols. Ces coups de frein ont mauvaise presse, mais ils ont le mérite de poser les bonnes questions.

Il est vrai que la logique du « tout ou rien » ne fait pas une bonne politique, et il était probablement un peu cavalier de la part du chef de l’Etat de tout accepter d’un bloc, à l’exception de ses trois « jokers ». Si le principe général de la consultation populaire est salutaire, « l’expertise » des citoyens concernés doit pouvoir être questionnée et leurs recommandation, analysées à l’aune de leur impact prévu ou estimé. Le risque, bien réel, est avant tout celui de braquer l’opinion publique par une application dogmatique et bornée de principes généraux. L’épisode de la taxe carbone sur les carburants, détonateur du mouvement des gilets jaunes, est encore frais dans les mémoires. Mais l’urgence écologique et climatique est bien là ; il faut agir, mais pas n’importe comment. Le diable se nichant dans les détails, la cause écologique vaut bien ce pas de côté salutaire. Car, comme l’ont fait remarquer immédiatement de nombreux observateurs, certaines propositions, souvent formulées en deux lignes, ne manqueront pas de heurter violemment les réalités économiques et sociales de notre pays... D’autres frôlent même l’absurdité écologique.

Haro sur le prospectus… et sur le recyclage

C’est le cas, entre autres, de la chasse lancée contre les prospectus publicitaires, synonymes selon certains de déchets excessifs et de gaspillage de ressources. C’est en se fondant sur l’argument habituel de la pollution visible et des ressources gaspillées que la Convention citoyenne sur le climat s’attaque aux imprimés publicitaires. Or non seulement le papier pollue beaucoup moins que son alternative digitale, , mais c’est précisément le prospectus qui fait vivre la filière du recyclage du papier, en plus de la filière graphique.

Ceux qui ont rédigé cette proposition – qui ne fait clairement pas partie des grands enjeux et des priorités de la transition énergétique – n’ont semble-t-il pas bien réfléchi à ses conséquences économiques et sociales. Ils n’ont pas intégré qu’une réduction radicale de la distribution des prospectus allait porter gravement atteinte à toute une filière, intégrant les graphistes, les imprimeurs, les fabricants de papier, mais aussi les commerces – les grands et les petits – qui ont besoin de cet outil marketing pour maintenir leur chiffre d’affaires, et enfin les distributeurs, des personnes souvent en situation précaire – retraités, étudiants, femmes isolées – qui ont besoin de ce job pour vivre. On estime en effet que l’imprimé publicitaire est à l’origine de près de 60 000 emplois en France, dont 38 000 emplois directs. Des emplois répartis sur tout le territoire national et non délocalisables, qu’il serait a priori malvenu de supprimer. Non seulement la période que nous connaissons actuellement ne se prête guère aux mesures contre l’emploi prises à la hussarde, mais l’écologie et le chômage ne font notoirement pas bon ménage.

Ensuite, les conséquences sur la filière du recyclage ont-elles été correctement appréhendées ? Pour fonctionner, la filière de recyclage du papier a besoin du secteur des prospectus, qui représente plus de 10 % de sa matière première (le papier à recycler) mais aussi l’un des plus gros acheteurs de ses produits finis (le papier recyclé), sachant que le papier est recyclable cinq à sept fois et que c’est une ressource renouvelable. Aujourd’hui, 55 % du papier est recyclé et cette proportion devrait atteindre 65 % en 2022. Pour les prospectus, le taux de recyclage atteint même 70 %. Peut-on en dire autant de l’industrie du numérique ? Pour la plupart des métaux rares, indispensables aux supports numériques, le taux de recyclage plafonne à… 1 %. Même d’un strict point de vue écologique, cette mesure ne tient pas la route. Elle ignore– consciemment ou non – la pollution générée par la publicité numérique, qui ne manquera pas de remplacer les prospectus.

Doit-on donc foncer sans réfléchir, et sans aucune étude d’impact, vers une dématérialisation totale de la communication publicitaire locale ? En faisant semblant de ne pas voir que toute « l’artillerie numérique », du data center aux terminaux de lecture individuels, en passant par ses ramifications connectées, génère en réalité des impacts environnementaux colossaux ? Le numérique consomme aujourd’hui environ 5 % de l’énergie mondiale, et cette consommation croît de près de 10 % par an ! Une seule chose est sûre : la facture carbone colossale des seuls emails serra toujours moins visible qu’un prospectus poussé par le vent. Et c’est bien le problème essentiel : à vouloir faire disparaître une petite pollution visible, pour laquelle de considérables efforts ont été faits et se poursuivent, on encourage une industrie numérique extrêmement polluante, et dont l’impact s’aggrave d’année en année.

L’exemple des prospectus et autres imprimés publicitaires, prouve une chose : pour anecdotique que semble la mesure, elle ne peut pas faire l’économie d’une analyse approfondie de ses impacts. Sinon, le risque est non seulement celui d’aggraver la fracture sociétale entre « une certaine écologie vue de Paris » et la réalité ailleurs, mais aussi celui de tomber dans le contre-sens écologique, en affaiblissant la filière recyclage et en encourageant le digital, dont les effets délétères sur l’environnement commencent à peine à être compris. N’enterrons pas le rapport de la commission citoyenne sur le climat mais prenons le temps d’une vraie réflexion sur les enjeux. L’écologie responsable et durable est à ce prix.

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Marc Pelletier, Consultant, chef de projet en aménagement urbain éco-responsable, chargé de missions de conseil auprès d'aménageurs ou de collectivités locales, avec pour mission d'assister les élus et l'administration dans la définition et la mise en œuvre des politiques de développment durable à l'échelle des agglomérations

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