Impact du Covid-19 sur l’économie : l’hypothèse inflationniste

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Par Véronique Riches-Flores Modifié le 3 avril 2020 à 7h45
Supermarche Achats Panique
20%La part des importations dans la consommation alimentaire française est d'environ 20%.

L’onde de choc économique et financière provoquée par la propagation de l’épidémie de coronavirus à travers le monde a jusqu’à présent suscité peu de doutes sur les marchés financiers : cette crise serait éminemment déflationniste, en témoigne l’écrasement des anticipations implicites d’inflation depuis que le cap des cent morts a été franchi en Italie le 5 mars 2020, moment à partir duquel s’accélère également l’effondrement des cours du pétrole.

Pertes inédites d’activité et d’emplois, dépression économique, crise financière sur fond de chute des prix des matières premières, conduisent, en effet, les uns et les autres à privilégier une telle issue ; en quelque sorte, dans le prolongement de la situation qui prévalait depuis 2015 à l’échelle mondiale.

La tournure récente prise par la crise sanitaire amène, pourtant, à s’interroger sur ce postulat, comme l’incite également le redressement des anticipations d’inflation sur les marchés à terme ces derniers jours. Épiphénomène sans conséquence ou prémices d’un mouvement plus préoccupant ? En quoi la situation présente conduit-elle à questionner le scénario jusqu’alors prédominant ?

Du mouvement du côté des anticipations

Nous avons consacré une de nos publications il y a une dizaine de jours à l’apparition de tensions impromptues sur les taux d’intérêt, sans être certains de savoir comment les interpréter dans un contexte d’extrême volatilité des marchés financiers dont on comprenait qu’il pouvait créer des effets de bords, a priori, temporaires dans un certain nombre de domaines, comme cela avait été observé sur le marché de l’or un peu plus tôt. Nous interrogions cependant la possibilité de l’amorce d’un changement plus radical de remontée des taux d’intérêt, susceptible de naître d’un début de défiance à l’égard de la capacité des banques centrales à faire face aux défis chaque jour plus importants qui se présenteraient à elles. À ce moment-là, néanmoins, les anticipations d’inflation semblaient bel et bien plombées, ancrées sur des niveaux historiquement faibles, de l’ordre de 0,6% à 0,8% à dix ans sur les marchés européens et américains.

Les choses ont récemment changé. Les interventions massives de la FED ont permis de juguler l’excès de volatilité sur le marché de bons du Trésor, et le changement de cap de la BCE est parvenu à rabattre les tensions apparues sur les marchés souverains du sud de l’Europe et, dans la foulée, dans l’ensemble de la zone euro. En revanche, presque instantanément, les anticipations d’inflation se sont à leur tour redressées. S’agit-il d’un phénomène annonciateur d’un changement de cap susceptible de prendre de l’ampleur ou de bruit sans signification, dans un environnement d’extrême incertitude ?

La réponse à cette question est à l’évidence très incertaine à ce stade. L’analyse incite malgré tout à mettre en avant au moins deux éléments susceptibles de changer la donne conjoncturelle, voire structurelle, sur le front de l’inflation :

1- Plus le nombre de pays contaminées par le coronavirus augmente, plus grand est le risque de rupture de la chaîne d’approvisionnement en produits de base. Il s’agit là d’un des risques majeurs assortis à la situation que nous traversons.

2- Plus le diagnostic sur les effets de la crise s’aggrave, plus les besoins des États seront importants et plus les banques centrales seront, en retour, sollicitées. L’argent banque centrale irait donc de facto plus directement dans l’économie que cela n’a été le cas ces dernières années durant lesquelles les tombereaux de liquidités déversées via les programmes d’achats d’actifs sont principalement restés confinés dans les marchés financiers, au prix de bulles spéculatives inédites.

En d’autres termes, l’inflation provoquée par ces politiques n’avait que de très faibles chances de parvenir jusqu’aux prix des biens et services et se concentrait sur ceux des actifs financiers et immobiliers. Les choses pourraient changer dès lors que les dépenses des États seront indispensables pour juguler la crise, ceci d’autant plus si l’environnement incertain des marchés financiers finit par réduire durablement l’appétit pour l’investissement financier.

Revenons sur chacun de ces deux principaux points.

Risque de pénurie et inflation alimentaire

L’histoire contemporaine nous a fait oublier que le principal risque d’inflation subite et incontrôlable a le plus souvent été lié à des épisodes de pénuries des produits de base, en particulier de denrées alimentaires, plus que de trop de sollicitation des ressources productives. Une illustration récente de ce phénomène nous a été donnée il y a peu par la situation vénézuélienne où l’hyperinflation ne résultait assurément pas d’un surcroît d’activité mais bel et bien de pénuries provoquées par l’embargo. Les effets de la diffusion de l’épidémie de coronavirus à travers le monde ne sont pas différents, dès lors que :

1- la production est ralentie dans un nombre croissant de pays;

2- le transit de marchandises est rendu de plus en plus difficile entre les producteurs et les consommateurs ;

3- de nombreux pays interdisent leurs exportations de produits de première nécessité, attitude qui tend à se propager dès que la brèche est ouverte.

Si les stocks permettent normalement de faire face à de telles situations lorsqu’elles sont temporaires ou localisées, on comprend qu’il soit beaucoup plus difficile d’envisager que tel soit le cas à partir du moment ou de plus en plus de pays, parmi lesquels les plus gros exportateurs de produits de base, sont concernés par le confinement. La perspective d’une prolongation de la crise sanitaire internationale jusqu’au milieu de l’été (voir à ce sujet notre présentation de cette semaine) est en ce sens particulièrement préoccupante. Que pourrait-il se passer ?

1- L’acheminement des denrées dysfonctionne jusqu’à entrainer des retards qui, accumulés, se concrétisent par des pénuries plus ou moins importantes selon les produits ou régions. Le risque est alors que ces pénuries occasionnent des remontées de prix, lesquelles dans un contexte d’inquiétude croissante induiraient sans doute sans tarder un changement de comportement des agents -ménages et distributeurs- en faveur d’un accroissement de leur demande, afin de devancer les hausses futures de prix. Le cercle vicieux peut s’enclencher rapidement et s’autoalimenter de manière vertigineuse si les difficultés d’approvisionnement persistent, voire s’étendent. Difficile, néanmoins, d’anticiper dans un tel cas de figure l’ampleur du phénomène inflationniste qui peut, par ailleurs, entraîner des réponses différentes des gouvernements selon les pays pour contraindre la demande (rationnement…). Difficile également d’anticiper les phénomènes de propagation de ce type de comportement, dans un monde où la circulation de l’information est immédiate et à même d’entraîner des paniques, y compris dans des régions peu concernées.

Dans un tel contexte, la hausse des cours mondiaux des produits alimentaires observée ces derniers jours, bien que relativement contenue, interpelle.

De même, la remontée des anticipations d’inflation des ménages français et italiens révélée par les résultats des enquêtes INSEE et ISTAT du mois de mars publiés aujourd’hui, éveille l’attention. En France, où l’épidémie est nettement moins violente qu’en Italie, le changement d’anticipations est d’autant plus notable que l’enquête, conduite entre le 26 février et le 17 mars (avant le confinement), ne décrit pas d’inquiétude particulière des ménages sur d’autres conséquences économiques liées à l’épidémie. Ces inquiétudes inflationnistes expliquent-elles le phénomène de stockage observé depuis le début du confinement ou en sont-elles la conséquence ? Cela est difficile à dire mais l’écartement des soldes d’opinions entre les prix passés constatés et les perspectives est suffisamment atypique pour être souligné.

2- Les différentes régions ou économies ne sont pas égales face au risque de difficultés d’approvisionnement. Les pays les plus dépendants du reste du monde sont par nature plus exposés. En Europe, les cas du Royaume-Uni et de l’Irlande sortent du lot comme c’est celui de la plupart des pays du nord dont les taux de dépendance alimentaire sont deux à trois fois supérieurs à ceux des pays du sud.

3- Le commerce de biens alimentaires s’est développé dans des proportions comparables à l’essor des échanges mondiaux depuis le milieu des années deux mille et constitue une courroie de transmission importante des chocs susceptibles de naître des situations de paralysie de l’activité et des transports consécutives à la pandémie.

Les tensions nées de la guerre commerciale et de la crise du porc ou de l’oignon en Inde avaient déjà significativement tendu l’inflation du monde émergent ces derniers mois. Peu préoccupantes avant l’épidémie, parce que considérées comme temporaires, ces tensions prennent dès lors un tour plus problématiques.

Questionnements sur les effets plus ou moins inflationnistes des pratiques monétaires

Outre les risques inflationnistes liés à l’approvisionnement, les conséquences de la crise en présence sur les finances publiques et ce qu’elles impliquent en matière monétaire pour l’avenir, posent de nombreuses questions. Les largesses des gouvernements face à la crise ne sont possibles en effet que parce que la garantie est donnée qu’elles seront in fine financées par de la monnaie banque centrale. La pratique n’est pas nouvelle et n’a pas provoqué d’inflation du prix des biens jusqu’alors. Cette expérience passée ne constitue pas un argument suffisant néanmoins pour écarter l’hypothèse d’une issue inflationniste de telles politiques, laquelle pourrait notamment dépendre, dans une large mesure, de la capacité des actifs à capturer le surcroît de liquidités généré par les banques centrales.

Cette dernière a été largement au rendez-vous ces dernières années, alors que les politiques publiques étaient essentiellement absentes ou restrictives. Les lendemains de la crise sanitaire suggèrent néanmoins un retour des politiques structurelles susceptibles de changer la donne. On l’aura compris, les incertitudes autour des perspectives d’inflation sont intenses, ceci d’autant plus dans un monde d’après coronavirus en voie, potentiellement, de démondialisation accélérée dans lequel l’exposition à des chocs de prix est indiscutablement plus élevée. Que ces risques se concrétisent ou non, ils semblent suffisants pour alimenter un degré d’incertitude anormalement élevé et une volatilité proportionnelle sur les marchés de taux d’intérêt.

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Économiste, diplômée de l’Université de Paris I,  Véronique Riches-Flores dirige la société RichesFlores Research - Global Macro & Thematic Independent Research, une société de recherche économique indépendante depuis 2012, après une expérience professionnelle dans le milieu académique -Observatoire Français des Conjonctures Économiques-, et dans la banque d'investissement, en tant que chef économiste chez SG CIB -Société Générale Corporate & Investment Banking- de 1994 à 2012. Son analyse de l'environnement financier international s'assoit sur une double approche à la fois conjoncturelle et structurelle de l'économie mondiale permettant d'avoir un produit spécifiquement adapté aux besoins des professionnels de la gestion d’actifs et des grandes entreprises.

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