Entre brouillard immédiat et recherche de clarté pour plus tard

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Par Hervé Goulletquer Publié le 6 mars 2020 à 14h13
Bourse Marches Cours 2016 Cac40
3,4%Le taux de mortalité du coronavirus a été estimé à 3,4% début mars 2020.

Les marchés continuent de se demander ce qui se passe. La clé est peut-être à rechercher dans le développement de la troisième vague de l’épidémie ; celle qui arrivera en Amérique.

Face à la confusion du moment, peut-être doit-on essayer de s’en échapper en s’interrogeant sur les conséquences de la maladie sur la campagne électorale américaine, sur les relations entre Pékin et Washington, et aussi sur l’organisation du monde économique à un horizon un peu plus éloigné. L’idée qu’on se fait du niveau-cible des taux d’intérêt en dépend peut-être.

Les marchés restent très incertains. Preuve peut en être donnée au travers des girations de l’indice S&P 500 américain. Sur les neuf dernières séances de bourse, sept ont enregistré des évolutions proches ou supérieures à 3% : cinq à la baisse et deux à la hausse.

Assurément, il faut relier cette valse-hésitation au développement de l’épidémie de coronavirus et aussi au questionnement sur la nature et l’efficacité des mesures de politique économique prises ou à prendre. Focalisons-nous sur le premier point ; nous avons déjà beaucoup discuté du second (même s’il est inévitable que nous y reviendrons !). L’incertitude ne paraît pas être bonne conseillère outre-Atlantique. On attend une inflexion haussière du nombre de cas quotidiens. Pour le moment, elle tarde à venir. Comme si le développement de la maladie accusait un vrai retard par rapport à l’Asie hors Chine et à l’Europe. L’attitude psychologique des observateurs, dont les marchés, parait être la suivante : l’épidémie finira par gagner les Etats-Unis, c’est inéluctable, mais plus cela arrivera de façon tardive, plus la fin de l’épisode mondial d’épidémie sera retardée.

Essayons de prendre du recul par rapport à la crise du coronavirus et évoquons trois sujets : sa place dans la campagne électorale américaine, sa place dans les relations sino-américaines et sa place dans le double débat sur le futur de la mondialisation et sur le niveau des taux d’intérêt.

Il serait très « surprenant » que la crise du coronavirus ne s’invite pas dans la campagne électorale américaine. Ne questionne-t-elle pas l’organisation du système de santé ? Et ceci d’au moins deux façons. D’abord, quid des gens qui n’ont pas d’assurance-santé et de ceux dont la couverture ne couvre pas la prise en charge de ce « risque » ? Les premiers sont près de trente millions. Combien sont les seconds ? On ne sait sans doute pas ; au moins précisément. Ensuite, comment lutter efficacement contre la maladie, si une partie des patients ne se soigne pas pour des raisons de budget familial ; ou alors le fait trop tard ? A ce titre, il est possible que la lente progression de l’épidémie, telle que reflétée dans les chiffres officiels, minore la réalité ; et ceci dans des proportions plus importantes qu’en Europe.

Evoquer la prise en charge du coronavirus par la collectivité revient à enfoncer un coin dans le système américain d’assurance-santé. Cela peut-il être un levier pour faire évoluer celui-ci vers quelque chose de plus universel (pas seulement les anciens et les pauvres) ? Dans ce cas, les Démocrates seront plus à l’aise que le Président Trump et au sein des premiers, les propositions de Sanders pourraient apparaitre plus clairvoyantes que celles de Biden : une couverture publique du risque de santé versus la défense de l’Obamacare (mis en place du temps du Président Obama et « forçant » les Américains à s’assurer).

On ne parle plus guère des relations sino-américaines. Depuis l’accord de phase 1, signé en janvier dernier, et l’apparition du coronavirus, les marchés, comme tout le monde, sont passés à autre chose. Pourtant, la façon dont les pays coopèrent au cours d’une épidémie qui se répand sur tout ou partie du globe dit beaucoup sur l’état de leurs relations. Traditionnellement, les épidémies sont des moments de renforcement des relations entre les Etats-Nations. Ne sont-ils pas tous « dans le même bateau » ? Du SRAS à Ebola, en passant par le H1N1, la coopération entre Pékin et Washington s’était renforcée sur les sujets de santé publique à dimension internationale. C’est au minimum beaucoup moins le cas cette fois-ci. Des critiques ont même été échangées. N’a-t-on pas entendu des membres du Cabinet du Président Trump dire que l’épidémie était un argument de plus en faveur de relations plus distendues avec la Chine ? De même, Pékin ne conseille-t-il pas à ses ressortissants de ne pas visiter les Etats-Unis, du fait des mauvais traitements qu’ils subissent dans le cadre des mesures prises par les différentes administrations américaines concernées ?

Passons aux impacts, à moyen terme et pas à court terme, du coronavirus sur le double débat de l’avenir du processus de mondialisation et du niveau des taux d’intérêt. Le schéma ci-dessous tente de poser les éléments. Pour ce qui est de la mondialisation, la question est de savoir si le politique reprend la main sur l’économique et si les Etats-Nations peuvent retrouver la « plénitude » de leurs pouvoirs relativement à des entreprises-monde qu’on soupçonne d’être de plus en plus coupées de leurs racines nationales. En matière de niveau des taux d’intérêt, que va-t-il se passer le long d’une filière allant du degré de concurrence à l’inflation, en passant par la croissance économique.

Dans un premier temps, face au développement de la crise sanitaire, va-t-on plutôt blâmer un monde devenu trop ouvert ou davantage pointer la faiblesse des réponses étatiques ? Peut-être fera-t-on les deux ; quid alors de l’organisation de l’économie ? On ne sait pas, tout au moins pas encore.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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