En quoi la crise actuelle est-elle unique ?

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Par Alexis Naacke Publié le 5 mai 2020 à 5h02
Revenu Universel Crise Sanitaire
40%L4activité en France a chuté de près de 40% à cause du coronavirus.

Jamais nous n’avions connu une crise comme celle du Covid-19. Ni 2008, ni 1929, la crise actuelle est unique !

La crise actuelle ne vient pas de la sphe?re financie?re

La crise que nous vivons actuellement est sans e?quivalent, notamment parce que, contrairement aux dernie?res crises, elle ne vient ni de l’e?conomie re?elle ni de la sphe?re financie?re. Les trois dernie?res grandes crises mondiales que nous avons connues venaient en effet de chocs endoge?nes, ou plus pre?cise?ment de l'e?clatement de bulles spe?culatives forme?es par les agents e?conomiques.

Le krach boursier d’octobre 1929 a de?clenche? la premie?re grande crise depuis le de?veloppement de l’e?conomie capitaliste moderne au XIXe?me sie?cle. Elle a e?te? cause?e par une bulle boursie?re et immobilie?re, alimente?e par du cre?dit abondant, principalement aux E?tats-Unis. En 2000, la bulle Internet e?clate. La “nouvelle e?conomie” que Alan Greenspan (alors Directeur de la Banque Centrale ame?ricaine) qualifiait de?s 1996“d’exube?ranceirrationnelle”,vaalorss'effondrer.Enfin,lacrisede2008,ditedes subprimes,estassez similaire a? celle de 1929. Elle est due a? l’e?clatement d’une bulle spe?culative immobilie?re, qui a conduit a? une crise bancaire, puis e?conomique.

La crise du Coronavirus, quant a? elle, vient d’un choc sanitaire, totalement exoge?ne. Et il e?tait difficile d’imaginer qu’une crise de cette nature puisse avoir un impact sans pre?ce?dent sur l’e?conomie re?elle.

Un impact sans pre?ce?dent sur l’e?conomie

Me?me en temps de guerre, nous n’avons jamais connu une crise ou? nous avons e?te? oblige?s de fermer l’e?conomie, dans quasiment tous les pays en me?me temps, en quelques semaines. L’Organisation mondiale de la sante? (OMS) de?nombre a? ce jour plus de 4 milliards de personnes confine?es, soit plus de la moitie? de la population mondiale. L’impact e?conomique de cette crise sanitaire est donc sans pre?ce?dent.

En France, par exemple, l’activite? a chute? de pre?s de 40 %, avec 7 millions de travailleurs en cho?mage partiel et plus d’un million de parents en arre?t de travail indemnise? pour garder leurs enfants. Et chaque semaine de confinement supple?mentaire cou?te tre?s cher a? l’e?conomie. L'Insee e?value que la croissance trimestrielle en France sera en baisse de 12 % par mois de confinement, ce qui s'ave?re bien supe?rieur a? la perte d'activite? de 1,5 % enregistre?e au quatrie?me trimestre 2008 et au premier trimestre 2009.

Aucun pays n’e?chappe a? la chute d’activite?

Aux E?tats-Unis, ce sont pre?s de 17 millions de personnes qui ont perdu leur emploi en trois semaines, soit pre?s de 10 % de la population active, la? encore c’est du jamais vu. La FED de Saint Louis e?voque par exemple un taux de cho?mage de 32 % dans les prochaines semaines, soit un total de 47 millions d'emplois de?truits. A? titre de comparaison, durant la dernie?re re?cession de 2008, les disparitions nettes d'emplois avaient atteint 8,7 millions et le taux de cho?mage avait atteint un pic de 10 %.

Il est encore trop to?t pour e?valuer pre?cise?ment l’ampleur de la re?cession mondiale, puisque nous ne connaissons pas encore le temps que prendra le de?confinement progressif global. Mais le Fonds Mone?taire International (FMI) pre?voit de?ja? une contraction du Produit Inte?rieur Brut (PIB) mondial de 3 % en 2020. Des E?tats-Unis (- 5,9 %) a? la zone euro (- 7,5 %) en passant par le Royaume-Uni (- 6,5 %), aucun pays n'e?chappe a? une chute spectaculaire de son activite?. Ces chiffres traduiraient la pire re?cession mondiale depuis la grande de?pression de 1929, bien pire que celle de 2008 ou 2001.

Les banques centrales brisent les tabous

Mais ce qui caracte?rise e?galement cette crise, ce sont la rapidite? et l’ampleur des mesures prises par les banques centrales pour atte?nuer les effets e?conomiques de ce drame sanitaire. Les E?tats peuvent en effet compter sur le soutien quasiment inconditionnel des banques centrales. Tirant les lec?ons des crises pre?ce?dentes, et en particulier celle de 2008, ces dernie?res, Re?serve fe?de?rale ame?ricaine (FED) et Banque centrale europe?enne (BCE) en te?te, ont e?te? plus re?actives que jamais. Cette fois, quinze jours auront suffi - du 3 au 18 mars - pour ramener l'ensemble des taux d'inte?re?t mondiaux a? ze?ro et relancer les outils « non- conventionnels » de?ploye?s a? la faveur des dernie?res crises. Quitte a? briser un certain nombre de tabous. La Banque centrale europe?enne a ainsi aboli les limites qu'elle s'e?tait toujours fixe?es dans son nouveau programme d'achats de titres de 750 milliards d'euros. Par ailleurs, elle s’est affranchie de deux re?gles : celle qui limitait sa de?tention de l'encours d'une obligation a? 33 % et celle qui l'obligeait a? proportionner ses achats a? la participation des E?tats a? son capital. Elle s'est ainsi donne? la possibilite? d'intervenir quasiment sans limite pour soutenir un E?tat en difficulte?. Elle peut, par exemple, acheter des obligations italiennes sans devoir acheter les titres allemands correspondants.

Autre tabou brise? par la BCE : l'institution mone?taire accepte temporairement de prendre davantage de risque de cre?dit, pour soutenir les banques. Les garanties apporte?es par les banques qui viendront chercher de la liquidite? a? son guichet pourront e?tre de moins bonne qualite? (telles que les obligations grecques).
Du co?te? de la FED, la re?volution concerne pluto?t le soutien aux dettes d'entreprises. La banque centrale ame?ricaine n'a pas he?site? a? contourner la loi pour apporter son aide aux entreprises. Comme elle n'a a priori pas le droit de prendre de risque de cre?dit, les emprunts obligataires d'entreprises seront achete?s par un ve?hicule ad hoc (special purpose vehicle) conjoint entre la Fed et le Tre?sor ame?ricain, et garantis par ce dernier. C’est en tout 2 300 milliards de dollars de nouveaux pre?ts qui seront ainsi accorde?s aux entreprises, mais aussi aux collectivite?s locales et aux me?nages.

Les Etats au chevet des entreprises et des me?nages

Les re?ponses budge?taires apporte?es par les E?tats sont tout aussi uniques et impressionnantes. Les E?tats europe?ens ont en effet sorti la grosse artillerie budge?taire. Berlin a ainsi pre?vu 123 milliards d'euros de de?penses supple?mentaires (3,6 % de son PIB), et se vante me?me d'avoir un « bazooka » financier de 1.100 milliards en comptant notamment les quelque 822 milliards de garanties d'E?tat accorde?es aux cre?dits des entreprises.

La France a annonce? un plan minimum de 45 milliards (1,9 % de son PIB) et des garanties allant jusqu'a? 300 milliards, tandis que l'Italie vient juste de doubler son enveloppe initiale de 25 a? 50 milliards (2,8 % du PIB). Les E?tats-Unis ont e?galement adopte? le plus grand plan de soutien a? leur e?conomie de leur histoire. Apre?s plusieurs jours de ne?gociations au Se?nat puis a? la chambre des Repre?sentants, c’est finalement un plan de sauvetage massif de l'e?conomie ame?ricaine de 2 000 milliards de dollars qui a e?te? adopte?, soit pre?s de trois fois plus important que celui qui avait e?te? lance? en 2008. Ce plan vise a? soutenir les industries et les petites entreprises par l'injection de liquidite?s, mais e?galement les citoyens qui pourront toucher des indemnite?s allant jusqu'a? 3 000 dollars par foyer.

En re?sume?, quelques facteurs encourageants

Pour conclure, les re?ponses apporte?es a? cette crise ine?dite sont encourageantes par leur ampleur, leur rapidite? et leur coordination mondiale. D'e?normes progre?s ont e?te? faits depuis 1929, il n’y avait alors aucune coope?ration internationale ni de politique mone?taire comparable a? celles d’aujourd’hui, pas de structure de refinancement international ni d’organisme de restructuration de dette. Le syste?me bancaire est, par ailleurs, dans une situation beaucoup plus solide en matie?re de solvabilite? et de liquidite?, me?me par rapport a? 2008. La re?activite? des banques centrales et des E?tats pourrait donc permettre a? l’e?conomie de rede?marrer progressivement lorsque le virus sera mai?trise?.

Vers un nouveau syste?me e?conomique ?

Autre signe encourageant, la leve?e progressive des re?gles de confinement en Chine (premier pays a? avoir e?te? touche? par l’e?pide?mie et a? avoir mis en place des mesures sanitaires tre?s strictes) semble bien se traduire par une reprise de l’activite?, perceptible au travers d’un certain nombre de donne?es e?conomiques publie?es ces dernie?res semaines. Les exportations chinoises, par exemple, e?taient en repli en mars de 6,6 %, un taux bien moins prononce? que ceux de janvier-fe?vrier cumule?s (-17,2 %) et bien moins marque? que ce qui e?tait attendu par les e?conomistes. Certains e?conomistes voient me?me dans cette crise des opportunite?s de faire e?voluer nos mode?les de croissance et nos modes de consommation. Thomas Piketty rappelle qu’apre?s le « traumatisme » des deux guerres mondiales et de la crise des anne?es 1930, un nouveau syste?me e?conomique s’est mis en place « avec la se?curite? sociale, l’impo?t progressif, un nouveau droit du travail, des droits syndicaux, et me?me, dans certains pays, un ve?ritable pouvoir au sein des conseils d’administration des entreprises ».

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Responsable de la gestion de Yomoni

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