Les origines du déficit extérieur de la France

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Par Sylvain Fontan Publié le 1 août 2014 à 4h09

La balance commerciale de la France est déficitaire depuis près de 10 ans. Plusieurs facteurs sont à l'origine de cette situation dégradée. La raison fondamentale est avant tout une perte de compétitivité de la France (voir bulletin). Toutefois, il existe également des raisons structurantes liées aux caractéristiques de la stratégie française en terme d'exportations. Il convient dès lors d'identifier ces facteurs participant à la situation dégradée dans laquelle la France se trouve : spécialisation industrielle, orientation géographique des exportations, et enfin un appareil productif inadapté à l'environnement né de la globalisation économique.

Evolution et situation globale de la balance commerciale française

Le creusement du déficit extérieur provient notamment de la détérioration du déficit manufacturier et de l'alourdissement de la facture énergétique. De fait, la valeur des exportations françaises augmente moins rapidement que les importations (voir graphique ci-dessus à droite). Alors que le solde commercial (exportations moins importations) de la France était globalement équilibré durant les années 1990, la situation s'est progressivement dégradée pour aboutir à un déficit commercial (importations supérieures aux exportations) supérieur à 80 milliards d'euros en 2012.

Le secteur manufacturier dont la performance à l'exportation s'est la plus dégradée est l'automobile, alors que parallèlement le secteur dans lequel la France a fortement amélioré sa position est l'aéronautique. Les autres secteurs où la France conserve des avantages à l'exportation sont l'agroalimentaire, le luxe, les vins et spiritueux, ainsi que l'industrie pharmaceutique. Inversement, les secteurs dans lesquels la France souffre d'un désavantage à l'exportation sont notamment les produits informatiques et électroniques, le textile et habillement, ainsi que la métallurgie.

Evolution de la spécialisation sectorielle

L'architecture du commerce international a fortement évolué depuis une quinzaine d'années. En tant que grand pays industrialisé fortement intégré dans l'économie mondiale, la France a également connu ces évolutions. Globalement, et de façon forcément caricaturale, les grandes évolutions du commerce international sont, d'une part (1) l'intensification de la concurrence avec l'émergence de nouveaux acteurs majeurs (Chine, Inde, etc), d'autre part (2) une ouverture accrue des marchés et une augmentation des échanges, en partie liée à l'internationalisation et à la segmentation des processus de production.

Traditionnellement, la stratégie française était d'abandonner les productions à faible valeur ajoutée et intensifs en main d'œuvre peu qualifiée (typiquement le textile-habillement) pour se spécialisér dans les industries du savoir à forte valeur ajoutée. L'un des postulats sous-jacent à cette stratégie était que les pays émergents, auxquels étaient laissées les activités à faible valeur ajoutée, resteraient cantonnés à ce rôle dans un contexte d'entrée dans un monde post-industriel dans lequel la France pourrait faire preuve de son "génie" (au sens propre du terme) national, et ainsi créer de la valeur. Or, et à supposer que cette situation se soit réalisée, force est de constater que l'environnement administratif, légal et fiscal n'a pas réussi à rendre possible cette montée en puissance de la compétitivité française sur laquelle pèse trop de contraintes.

La France reste fortement spécialisée dans les technologies de moyenne et haute gamme, aéronautique et pharmacie en tête. Un des avantages de ces secteurs est qu'ils sont moins sensibles que d'autres à la concurrence et aux évolutions de prix (élasticité prix). Dès lors, une moindre compétitivité-coût s'est avéré moins pénalisante pour ces secteurs que pour d'autres secteurs tels que l'automobile ou la métallurgie. En effet, l'automobile est un secteur hautement concurrentiel, vis-à-vis duquel, si des efforts de compétitivité ne sont pas réalisés, alors les parts de marché se réduisent mécaniquement. Le secteur automobile constituait auparavant un point fort de l'industrie française mais renvoie dorénavant à un de ses principaux points faibles. Parallèlement, les pays émergents ne sont pas restés cantonnés aux activités à faible valeur ajouté, ils sont montés en gamme et les importations en provenance de ces pays de produits informatiques et électroniques se ont augmenté.

Avec le temps, la structure des exportations françaises s'est déséquilibrée en faveur de quelques secteurs. En effet, à titre d'exemple, 40% des exportations de haute gamme sont concentrées sur la seule industrie aéronautique. Ce résultat souligne certes la performance de ce secteur, mais cela indique également en creux la faiblesse relative des autres secteurs. Parallèlement, les principaux partenaires commerciaux (principalement en Europe) ont conservé une structure plus équilibrée.

Adaptation encore insuffisante de l'orientation géographique des exportations françaises

L'idée selon laquelle la France réaliserait de mauvais résultats commerciaux avec les pays émergents revient fréquemment. Sans être totalement fausse, cette idée nécessite d'être précisée. En effet, la France réalise en effet d'importants déficits extérieurs avec les pays émergents, à commencer par la Chine (environ -12 milliards d'euros). Toutefois, la France effectue en réalité l'essentiel de son commerce avec les pays de l'Union Européenne (environ 60%), même si le poids de cette région à tendance à diminuer.

Ainsi, la France réalise la majorité de ses déficits avec ses partenaires commerciaux directs, autrement dit les pays européens (-8 milliards avec l'Espagne, -7 milliards avec l'Allemagne, et -9 milliards avec les nouveaux Etats-membres). Etant donné que la majorité de ces pays font partie de la zone euro, l'argument selon lequel l'euro serait l'explication de la dégradation du solde extérieur n'est pas recevable, car les échanges au sein des pays de la zone euro se réalisent en euro, et donc l'appréciation (hausse de la valeur) ou la dépréciation (perte de valeur) de cette monnaie ne rentre pas en ligne de compte dans l'évolution du commerce entre ces pays.

La France a commencé à réorienter ses exportations vers la zone la plus dynamique et avec le plus potentiel, autrement dit l'Asie. Toutefois, cette réorientation part de niveaux relativement bas et reste pour le moment limitée. En effet, les exportations vers l'Asie représentaient environ 10% des exportations totales, et elles représentent actuellement près de 15%. Inversement, les exportations vers l'Amérique ont tendance à être moins dynamiques. Par conséquent, les exportations françaises perde des débouchés d'un point de vue relatif outre-Atlantique, sans pour autant en gagner de façon significative en Asie. De plus, les importations en provenance d'Asie progressent de façon plus importante que les exportations vers cette zone. Au final, la situation de la France correspond à celle d'un pays qui n'a pas encore pris la mesure du basculement du monde et de l'importance de faire les efforts pour pénétrer ces nouveaux marchés porteurs.

Un appareil entrepreneurial inadapté aux exigences de l'exportation

L'appareil exportateur français n'est pas homogène et présente de grandes disparités. En effet, il se compose d'une part d'un grand nombre de petites entreprises qui ont du mal à s'intégrer sur les marchés internationaux, et d'autre part, de grandes entreprises peu nombreuses, très ouvertes sur le monde et qui réalisent l'essentiel des performances nationales. Alors que la condition de la réussite à l'exportation est souvent liée à la taille, trois entreprises sur quatre ont moins de quatre salariés et ne représentent que 20% de l'ensemble des exportations. De plus, environ une entreprise exportatrice sur deux n'a qu'un seul marché étranger comme débouché et réalise près de la moitié des ventes sur un seul produit. Dès lors, ces entreprises sont très dépendantes de la demande émanant de l'unique marché à l'exportation et d'un nombre restreint de produits. Inversement, 3% des entreprises ont plus de 250 salariés et représentent plus de 50% de la valeur totale des exportations françaises.

Enfin, le nombre d'entreprises françaises exportatrices est très faible par rapport au nombre total d'entreprises. En effet, seulement 3% à 4% exportent. De plus, depuis le début des années 2000, ce chiffre diminue et plus de 15'000 entreprises ont disparu, soit environ 1'300 par an. En soit, ce n'est pas anormal que des entreprises disparaissent car le processus dit de "destruction créatrice" est à la base du capitalisme et il participe à la compétitivité économique. En revanche, la faible durée de vie des entreprises ne permet pas de pérenniser les gains de parts de marché à l'exportation.

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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