2 milliards d’économies par an en arrêtant le dépistage du cancer

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Par Nicole Delepine Modifié le 11 mars 2013 à 0h38

En cette période de déficit budgétaire, on parle beaucoup d’économies indispensables mais on n’en propose guère. On préfère augmenter les impôts (TVA, retraites ou allocations familiales, ce qui contribue à déprimer encore plus l’économie) plutôt qu’économiser sur des « plans » bureaucratiques grandioses et inutiles. Nous suggérons l’économie de 2 milliards par an par la suppression des campagnes de dépistage institutionnel du cancer, inefficaces et parfois même nocives.

Le dépistage est un des axes prioritaires des plans cancer successifs. Son intérêt est toujours présenté comme « évident » relevant du bon sens populaire. L’incitation au dépistage systématique est empreinte de dogmatisme envers les hérétiques, qui osent en discuter scientifiquement le bien fondé. A une époque où l’évaluation fait figure de nouveau dieu, les pratiques de dépistage y échappent.

Plusieurs dangers contrebalancent le bénéfice espéré du dépistage : faux positifs, faux négatifs, mais surtout surdiagnostic (risque d’être traité pour rien). Le risque de surdiagnostic est d'autant plus élevé que les tests de dépistage deviennent plus sensibles.

Le dépistage des cancers de la prostate par le PSA constitue un scandale financier doublé d’un gâchis humain. En France, le cancer de la prostate est devenu le plus fréquent des cancers chez l’homme depuis la multiplication du dépistage. Le dosage des PSA a été proposé comme test de dépistage du cancer de la prostate, mais 15 % des hommes de plus de 50 ans ont une élévation des PSA le plus souvent liée à d’autres causes. De plus, 80 % des tumeurs malignes de la prostate sont limitées en dangerosité et les hommes atteints de cancer de la prostate décèdent le plus souvent d'une autre cause. Les risques de faux positifs et de surdiagnostic sont ici majeurs : l’essai européen (qui répète les dosages chaque année) aboutit à une estimation du risque de surdiagnostic de 48 %.

Les hommes qui acceptent le dosage du PSA s’exposent aux risques de faux positifs, à ceux des biopsies de confirmation diagnostique et enfin aux conséquences physiques et psychologiques liées aux surtraitements (troubles sexuels dans près de la moitié des cas et incontinence urinaire gênante dans 30 %, troubles digestifs).

De nombreuses études ont tenté de démontrer l’intérêt du dépistage par le dosage sanguin des PSA. Aucune n’y est parvenue. Inefficace sur la survie, source de trop nombreux surdiagnostics, et traitements inutiles le dépistage du cancer de la prostate par PSA ne devrait plus être pratiqué et encore moins remboursé. Ce dépistage est coûteux. Pour 1000 hommes suivis 9 ans, le coût théorique global du dépistage, des biopsies inutiles et du surtraitement s’élève à 933 000 euros ! Si on supprime le dosage du PSA comme dépistage on obtient presque deux cent millions d’euros d’économie annuelle et on évite des souffrances physiques et psychiques, des vies personnelles et familiales gâchées en transformant un bien portant en malade chronique angoissé, aigri et dépressif

Dépistage du cancer du sein par mammographie

En France le dépistage organisé du cancer du sein a été généralisé il y a 24 ans. Curieusement, à ce jour, malgré le recul important, l’importance des dépenses engagées, le nombre de participantes et l’abondance de la bureaucratie de soutien, aucune étude française sérieuse sur l’efficacité réelle de ce dépistage n’a été publiée. La propagande officielle souligne qu’un taux important de cancers de petite taille (30 %) et de cancers sans envahissement ganglionnaire (69 %) sont détectés grâce au dépistage Mais cela plaide plutôt pour un taux de surdiagnostic important. Une étude norvégienne récente l’évalue à 25 %.

Une étude suèdoise récente conclue que les mammographies n’auraient pas de réel impact sur la mortalité due à cette maladie. Une étude danoise parue en 2010 confirme le très faible intérêt de ce dépistage. La réduction importante de la mortalité par cancer du sein observée au Danemark, n’est pas liée au dépistage mais plus probablement à l’amélioration des traitements.

La dernière synthèse officielle des études comparatives sur l'efficacité du dépistage par mammographie émanant du réseau Cochrane conclut : « si un décès par cancer du sein est évitable par le dépistage chez 2 000 femmes suivies pendant 10 ans, on allonge la survie d'une femme mais au prix de 10 surdiagnostics entraînant autant de surtraitements ».

La synthèse de la revue Prescrire parue en 2007 conclue : l'efficacité du dépistage sur la mortalité par cancer du sein reste incertaine. Le dépistage, n'a pas diminué le nombre d'ablations complète du sein. En pratique, la balance bénéfice-risque penche du côté des effets indésirables. Selon la conclusion de N M Hadler : « La mammographie inflige aux femmes dépistées un excédent de procédures chirurgicales et de traitements adjuvants sans utilité démontrable ».

En Suisse en 2005 la conférence des directeurs cantonaux de la santé décrivait le dépistage par mammographie en ces termes : "il importe de savoir qu'un dépistage effectué auprès de 100 000 femmes sur dix ans évite la mort de 70 femmes par cancer du sein. Or, étant donné que 99.6 % de ces 100000 femmes ne mourront pas d'un cancer du sein, que 42 femmes sur 100 ayant accusé un résultat mammographique positif n'ont en réalité pas de carcinome mammaire et que 80 % des cas mortels provoqués par un cancer du sein ne sauraient non plus être évités par la mammographie, une femme pourrait, au contraire, être amenée à se demander pourquoi elle devrait se soumettre à un tel examen. Si l'on admet que 70 femmes survivront, la dépense par femme concernée sera d'environ 1,2 million de francs suisses pour éviter qu'elle ne meure d'un cancer du sein au cours des dix prochaines années. En comparaison, environ 10 000 femmes meurent pour une autre cause dans cette même population et durant la même période” .

L’affirmation répétée sur les médias par les acteurs officiels et les associations selon laquelle “la mammographie pratiquée tous les 2 ans permet de réduire de l’ordre de 30 % la mortalité spécifique des femmes de 50 à 69 ans, après 7 à 13 ans de suivi”, ressemble beaucoup à une publicité mensongère. Une étude impartiale à laquelle participeraient non seulement les lobbies bénéficiant du dépistage (juge et partie !) mais aussi des scientifiques sans lien d’intérêt avec celui ci est indispensable afin d’évaluer la balance avantages–risques et la justification d’une dépense publique de 1,5 milliard d’euros par an.

Les interrogations scientifiques concernant le dépistage en cancérologie devrait pour le moins inciter les autorités à la modération. Or contre toute logique médicale et respect de l’éthique, la convention médicale signée en 2011 prévoit de rémunérer les médecins généralistes et les gynécologues qui atteignent l'objectif cible d’au moins 80 % des femmes de 50 à 74 ans participant au dépistage.

Il s’agit d’un tabou où les arguments objectifs de la discussion scientifique sont habituellement étouffés par l’intense campagne de propagande en sa faveur. Des considérations politiques (« c’est la dernière politique de santé égalitaire »), associatives (« c’est un acquis du combat des femmes »), mais aussi financières sont au premier plan. La manne de 1.5 milliard d’euros dépensés par la collectivité chaque année fait vivre plus de personnes (bureaucratie du dépistage, associations de malades subventionnées, radiologues, chirurgiens, radiothérapeutes, anatomopathologistes) que le cancer du sein n’en tue !

Faire reculer la mortalité et diminuer les séquelles par un traitement précoce est un bel objectif. Malheureusement à ce jour le seul dépistage qui a fait la preuve de son efficacité est celui du cancer du col de l’utérus par les frottis ; pourtant c’est l’un de ceux qui est le moins centralisé et ses succès connus n’ont pas empêché de démanteler la spécialité de gynécologie et de promouvoir un vaccin inefficace, scandaleusement couteux et à gros risques potentiels. Il est tout à fait aberrant que la représentation nationale soit contrainte de baser ses décisions sur des rapports d’expert liés au lobby du dépistage et ne soit pas écoutée quand elle réclame l’application de la loi de 2002 sur l‘information des sujets auxquels le dépistage est proposé.

Les programmes de dépistage mobilisent des ressources très importantes de la communauté. Ils ne devraient jamais être entrepris sans l’étude contrôlée concomitante de leurs résultats et ses effets indésirables. Leur abandon pour absence de preuve réelle d’efficacité économiserait environ 2 milliards d’euros par année sans nuire à la population... bien au contraire !

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Responsable de l'unité d'oncologie pédiatrique de l'hôpital universitaire Raymond

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