Déficit des retraites : à qui la faute ? Et que faire ?

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Par Jacques Bichot Publié le 13 juin 2019 à 5h28
Retraite Epargne Assurance Vie Avenir France

Le Conseil d’orientation des retraites ne rendra son rapport annuel public que jeudi 13 juin, mais les « fuites » habituelles font état, mercredi 12, de perspectives désagréables : le Figaro titre « Le système restera durablement en déficit jusqu’en 2042 au mieux, et non 2036 comme prévu il y a un an. » Quant aux perspectives moins lointaines, « à l’horizon 2022, sans nouvelle réforme paramétrique, le système sera déficitaire, avec un besoin de financement estimé à 0,4 % du PIB, soit peu ou prou une dizaine de milliards d’euros. » Et, dans la même page, un autre journaliste en conclut : « Macron va devoir faire aussi une réforme paramétrique. »

Qu'est-ce que la réforme paramétrique ?

Tout cela est bien gentil, mais montre surtout deux choses : primo, nous ne sommes pas sortis de l’auberge ; secundo, que nous n’utilisons pas les concepts requis pour y voir clair. Commençons par le second constat, car c’est lui qui fournit les clés pour s’intéresser utilement au premier.

« Réforme paramétrique », un oxymore qui conduit aux pires confusions conceptuelles et institutionnelles.

La formule « réforme paramétrique » est sans cesse utilisée. Passée dans les mœurs, cette expression n’est pas seulement ridicule, mais aussi très nocive. Ridicule, parce que la modification de la valeur d’un paramètre, comme l’âge « pivot » à partir duquel une caisse de retraite applique une surcote, et en deçà duquel une décote doit être appliquée, n’a rien à voir avec une réforme : c’est l’action normale d’un gestionnaire qui doit veiller à ce que le régime qu’il est chargé de piloter n’aille pas budgétairement « dans le fossé ».

Le conducteur d’un véhicule, quand il manœuvre le volant ou le frein pour rester sur la route, ne réalise pas une réforme ! Il remplit tout simplement sa fonction de conducteur, qui est de manœuvrer les instruments de pilotage mis à sa disposition par le constructeur. Et, bien sûr, aucun conducteur d’une Peugeot ou d’une Citroën n’attend un ordre du PDG de PSA ou une délibération du conseil d’administration de cette société pour tourner le volant et appuyer plus ou moins sur telle pédale. Or, on attend en France que le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement fassent fonction de conducteurs du véhicule « retraites par répartition », c’est-à-dire bougent des curseurs tels que l’âge légal ou l’âge pivot, la valeur du point, le nombre d’annuités requis pour bénéficier du « taux plein », et tutti quanti. Est-ce de la bêtise ou de la folie, peu importe le nom, c’est l’origine d’une grande partie de nos déboires en matière de retraites.

Disons-le clairement : pour les retraites par répartition nous avons besoin d’une part d’une équipe d’ingénieurs pour mettre au point les caractéristiques du futur modèle, et d’autre part d’une équipe de gestionnaires pour jouer le rôle du conducteur. Le Haut-commissariat à la réforme des retraites et le Parlement forment la première équipe, le premier devant proposer des plans précis, et le second devant choisir parmi les propositions, et construire le véhicule – c’est-à-dire légiférer. La direction de ce que nous appellerons « France retraites » (le régime unique qui est en cours d’élaboration) devra piloter ce véhicule dont la conduite lui sera confiée. Si le Législateur et l’Exécutif veulent garder la main sur les manettes, le véhicule continuera à aller dans le fossé, parce que c’est aux techniciens, non aux politicienx, d’en assurer la conduite quotidienne.

A chacun son métier et les vaches seront bien gardées, dit le proverbe. Voilà exactement la sagesse dont nous avons besoin en matière de retraites : que le Parlement vote une loi définissant les instruments mis à la disposition des gestionnaires, ainsi que le but à atteindre (y compris l’équilibre financier !), et qu’ensuite il se borne à vérifier que le conducteur n’est pas un chauffard, auquel cas il faudrait évidemment pourvoir à son remplacement.

Ajoutons que, si le Parlement et le pouvoir exécutif (Elysée et Matignon) s’emparent du volant, au lieu de simplement construire le véhicule France retraites (le système de retraites par répartition), il n’y aura toujours pas d’autorité pour taper sur les doigts des gestionnaires en cas de dérapage, puisque ceux qu’on appelle faussement « gestionnaires » continueront à être réduits au rang de simples exécutants des ordres venus d’en haut. L’insécurité restera au niveau maximal. Non seulement la gestion des manettes restera confiée à des personnes qui n’ont pas les compétences requises (disons, en schématisant, que les Parlementaires ne sont pas des actuaires), mais en sus ces personnes ont presque tout pouvoir, seuls les électeurs pouvant les sanctionner, ce qu’ils ne font évidemment pas en regardant la seule question retraites. Or il faut pouvoir sanctionner des gens ayant une responsabilité précise, limitée, sur l’exercice qu’ils font de leur pouvoir précis et limité.

Ne nous trompons pas de problème !

La sagesse des nations rappelle que, bien souvent, nous adorons les causes de ce dont nous détestons les conséquences. C’est le cas en matière de retraites : nous voulons que les instances politiques s’occupent de leur gestion, que le législateur décide de « l’âge légal de la retraite » et de la valeur numérique de bien d’autres paramètres, et nous détestons le déficit et l’augmentation des prélèvements obligatoires qui résultent fatalement de ce mode de prise des décisions.

Ceux qui désignent comme seul problème le déficit pointent du doigt la conséquence – le déficit des retraites, malgré des prélèvements toujours plus lourds. Il faut impérativement, pour progresser vraiment, remonter de la conséquence à la cause. Celle-ci est l’organisation des prises de décision techniques. Nous avons stupidement admis que les hommes politiques, et in fine le Parlement, prennent ces décisions, en les inscrivant dans des textes de loi, alors que par nature elles ne sont évidemment pas du ressort de la loi, mais du commandement. Nous payons depuis plusieurs décennies la facture de cette organisation absurde de la Res Publica.

Le vrai problème est le rôle du législateur. Ce rôle a été étendu presqu’à l’infini : c’est ridicule, et les résultats de cette organisation, qui n’a de démocratique que le nom, sont désastreux.

La France, et la plupart des pays, ont un grave problème de gouvernance. On dirait que nos responsables n’ont jamais lu Hayek, et notamment sa trilogie Droit, législation et liberté, où il présente la distinction entre « règles de juste conduite » et « commandements », distinction absolument fondamentale pour le bon fonctionnement d’une démocratie. Le traitement de la question des retraites est calamiteux depuis fort longtemps : voir par exemple la « brève histoire critique de notre assurance vieillesse » que j’ai publiée dans la Revue de droit sanitaire et social (numéro de mars-avril 2019). Ce n’est qu’une des conséquences de l’imperfection de nos institutions, qui n’ont jamais correctement organisé les relations entre l’administration, le pouvoir exécutif, et le pouvoir législatif. Quand nos hommes politiques se décideront-ils à s’atteler à cet immense chantier de reconstruction de notre « chose publique » ?

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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