Pourquoi il ne faut pas rembourser la dette

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Par Gaspard Koenig Publié le 17 avril 2014 à 2h25

Gaspard Koenig soutient une thèse paradoxale : seule la banqueroute pourrait contraindre nos gouvernants à mener à bien des réformes de fond.

La France est surendettée. L'ensemble de l'impôt sur le revenu suffit tout juste à payer le service des intérêts de la dette, qui est en passe de devenir le premier budget de la nation. Le présent gouvernement a échoué à "inverser la courbe" de la dette (comme il s'y était engagé dès son entrée en fonction) tout autant que celle du chômage. Faute de réformes majeures ou de croissance miracle, la part de dette sur PIB devrait franchir le seuil des 100 % d'ici à la fin du mandat de François Hollande. Parmi nos créanciers étrangers (qui, rappelons-le, détiennent deux tiers de notre dette), certains fonds et établissements financiers ont d'ores et déjà commencé à "shorter" (vendre à découvert) les obligations du Trésor françaises, jugées risquées. Il suffira d'un événement symbolique, comme une nouvelle dégradation par une agence de notation, un énième dérapage du déficit ou une émeute fiscale à la manière des "bonnets rouges", pour provoquer une panique sur les marchés obligataires, conduisant, comme en novembre 2011 en Italie, à une crise de régime. Quand la France se verra fermer l'accès aux marchés, quand les fonctionnaires ne seront plus payés à la fin du mois, quand le ministre des Finances devra aller à genoux demander une ligne de crédit au FMI, on réapprendra le sens du mot "crise", si galvaudé aujourd'hui.

Les solutions sont connues, mais la plupart sont épuisées. L'hypertaxation n'est guère envisageable dans un pays déjà atteint de "ras-le-bol fiscal". L'hyperinflation, à supposer qu'elle soit judicieuse, se heurte au "nein" catégorique de la Banque centrale européenne. L'hyperaustérité, objet de tant de débats, arriverait de toute façon trop tard: on voit par quelles fourches caudines il faut passer pour économiser 50 milliards d'euros, qui parviendront à peine à diminuer en valeur réelle la dépense publique.

Reste une option, aujourd'hui taboue, mais économiquement rationnelle et historiquement familière: le défaut de paiement. Il ne s'agit pas de "répudier" la dette sans contrepartie, comme le réclame l'extrême gauche, qui fonde son raisonnement sur l'illégitimité du créancier. Il faut au contraire entreprendre une restructuration préventive et ordonnée de notre dette, négociée en accord avec nos créanciers.

Car c'est le débiteur qui est illégitime: cet État impuissant et ventripotent qui depuis trente ans vit au-dessus de ses moyens.

Dans un rapport publié l'année dernière par le think-tank GenerationLibre, nous proposions un moratoire de trois ans sur les taux d'intérêt. Il suffirait que le Parlement vote l'introduction de Cacs (clauses d'action collective) dans les contrats obligataires pour que le gouvernement puisse ouvrir les pourparlers avec les détenteurs d'obligations, dont la perte réelle ne devrait pas dépasser 10 %. Pour être efficace et avoir une chance d'être accepté par le marché, il va sans dire que ce moratoire devra s'accompagner d'un choc de libéralisation sans précédent, selon la logique du «payer pour réformer» (rachat des rentes). La charge d'intérêt "économisée", soit environ 170 milliards d'euros, sera donc consacrée au financement des réformes structurelles qu'aucun gouvernement n'a été capable de mettre en œuvre depuis trente ans. C'est la recette classique qui si souvent fut mise en œuvre pour les pays en voie de développement par… le Club de Paris.

Je délire? Deux spécialistes internationaux du sujet, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, parvenaient exactement à la même conclusion, à l'échelle européenne, dans un papier écrit pour le FMI en décembre dernier. "L'énormité du problème, écrivaient-ils, implique que des restructurations devront avoir lieu, en particulier dans les pays de la périphérie européenne, au-delà de tout ce qui a été discuté en public jusqu'à présent." Au Portugal, Mario Soares, figure historique de la transition démocratique, réclame depuis longtemps le défaut. Le retour récent de la Grèce sur les marchés montre qu'une restructuration bien menée peut rencontrer un certain succès aux yeux même des investisseurs. Un exemple encore plus probant est celui de l'Uruguay en 2003!

Au-delà de ces arguments techniques, un défaut provoquerait deux ruptures morales majeures. D'une part, il signifierait que la nouvelle génération refuse de payer pour l'incurie de ceux qui, parmi leurs parents, ont levé la dette pour financer leurs dépenses courantes, et devraient finalement assumer leur inconséquence en absorbant la plus grande partie du choc. D'autre part, le traumatisme du défaut permettrait à la nation, une fois passée l'humiliation initiale, de repartir sur des bases nouvelles, en faisant table rase des 400 000 réglementations qui aujourd'hui étouffent le pays.

Dominique Ramel, ministre des Finances du Directoire, déclarait en 1797, lors de la banqueroute dite "des deux tiers : "J'efface les conséquences des erreurs du passé pour donner à l'État les moyens de son avenir." Manuel Valls a ses éléments de langage tout prêts pour son prochain discours devant l'Assemblée nationale.

Tribune initialement publiée sur lefigaro.fr et reproduite avec l'aimable autorisation de l'auteur

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Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, agrégé de philosophie, Gaspard Koenig est Président du think-tank GenerationLibre. Il est également l'ancienne plume de Christine Lagarde.

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