La grande affaire des dettes publiques

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Par Jacques Bichot Publié le 28 décembre 2020 à 6h00
Dette Publiques Grande Affaire
120%La dette publique française représente 120% du PIB.

L'endettement de nombreux Etats, dont la France, est devenu ridicule. Ces Etats ont emprunté, non pour investir, mais pour distribuer des revenus en l'absence de production. L'argent abonde alors même que la production de richesses réelles a fortement régressé.

Dans certains domaines, principalement la Bourse et l'immobilier, la réaction normale a lieu sous nos yeux : les prix augmentent. Ce qui veut dire que le pouvoir d'achat de l'euro, dans le domaine des bâtiments, du foncier et des entreprises, s'est orienté à la baisse. C'est une réaction normale : plus de monnaie, pas plus, et même un peu moins, de biens à vendre, les acheteurs acceptent de débourser davantage pour le même appartement ou la même action.

En revanche, les services et les biens destinés à la consommation ne semblent pas être sujets à la valse des étiquettes. Il n'y a pas, ou fort peu, d'inflation au sens ordinaire du terme : augmentation du prix des biens et services relevant de la consommation courante. Cette absence d'inflation a pour effet de rendre problématique l'augmentation nominale des dettes publiques libellées en euros ou en quelques autres unités monétaires « sérieuses » : en France, avec plus de 120 % du PIB, cette dette constitue un témoin gênant, pour ne pas dire accablant, de mauvaise gestion.

Coupez ces dettes que je ne saurais voir

Certains économistes vont un peu plus loin que le Tartuffe de Molière en présence du décolleté des « précieuses », qu'elles soient ou non « ridicules » : le faux dévot se contentait de réclamer qu'elles dissimulent leurs charmes ; ces « chers collègues », eux, et certains hommes politiques, préconisent la chirurgie pudibonde (« coupez ces dettes que je ne saurais voir »). L'annulation d'une partie des dettes publiques est présentée par ces grands savants comme une opération simple et élégante - si simple, à leurs yeux, qu'ils ne se fatiguent pas à expliquer comment elle pourrait être effectuée.

Or il se trouve que notre système monétaire et de crédit est basé sur le principe de la comptabilité en partie double. Toute dette d'un agent est la créance d'un autre agent, et réciproquement à toute créance correspond de la dette. Nos créances sur les banques commerciales, qui constituent nos avoirs monétaires ou nos épargnes, sont des dettes pour ces établissements. Bien entendu, leurs dettes doivent être équilibrées par des créances, dont les débiteurs peuvent être des entreprises et des particuliers, mais aussi des Etats et des banques centrales.

Ces temps derniers, les banques « de second rang » ont accumulé à l'actif de leurs bilans beaucoup de créances sur ces entités officielles, au fur et à mesure qu'étaient émis de gigantesques emprunts d'Etat. Pour une part, elles détiennent directement des dettes publiques, et pour une autre part elles ont des créances sur les banques centrales, contreparties (toujours la comptabilité en partie double !) des titres d'emprunts publics acquis par ces dernières.

Attention, échafaudage fragile !

Un tel édifice financier est semblable à un échafaudage : si un gros malin pense pouvoir retirer un certain nombre de poutrelles à la base de l'édifice, et si personne ne l'en empêche, il y aura un énorme « badaboum, boum, boum ». Or les emprunts émis par les Etats pour limiter certaines des conséquences de la pandémie actuelle sont des pièces de l'échafaudage monétaire et financier : les retirer, annuler ces dettes publiques, provoquerait l'effondrement de notre système monétaire et financier. On peut regretter que l'échafaudage ait été agrandi de manière inconsidérée en y incorporant des madriers qui représentent d'énormes distributions de revenus sans rapport avec la production réelle, mais ce qui est fait est fait : désintégrer maintenant ces madriers entraînerait un séisme monétaire et financier de grande ampleur.

Christine Lagarde et les membres du Conseil des gouverneurs de la BCE se trouvent dans une situation extraordinairement délicate, qui les oblige à sortir de l'orthodoxie. Pour l'instant, j'estime qu'ils n'ont pas démérité : ils ont fait ce qu'ils pouvaient pour que les conséquences économiques de la pandémie et de l'amateurisme de certaines équipes dirigeantes européennes ne tournent pas à la catastrophe. Leur tâche, dès que le problème sanitaire sera davantage sous contrôle, sera de ramener le stock de créances monétaires et financières à un niveau correspondant à la réalité économique.

Nous avons un atout caché dans notre manche

Pour cela, il serait merveilleux de faire progresser le niveau de l'activité économique rapidement et suffisamment pour que la masse des créances et dettes redevienne raisonnable par rapport à la production et à la consommation - mais nous n'avons pas de baguette magique pour produire un tel effet. A défaut, la hausse du niveau général des prix, qui a d'ailleurs été désirée à différentes reprises, sans succès, par certains banquiers centraux, serait une potion amère mais salutaire. Reste à savoir comment faire revenir un peu d'inflation, juste le temps de retrouver un équilibre entre la réalité économique et la fiction monétaire.

Cela n'a rien d'évident, mais nos dirigeant disposent d'un atout : la TVA. Certes, en France son taux est déjà très élevé (20 % pour le taux « normal »), et toute augmentation de ce taux accroîtra la fraude. C'est la rançon de nos anciennes erreurs. Mais une TVA dont le taux augmenterait de 20 % à 25 % par paliers annoncés à l'avance permettrait de ramener à l'équilibre les comptes du secteur public et en même temps d'inciter les ménages à dépenser sans attendre. Ce sursaut de consommation et d'investissement provoquerait une hausse des prix hors taxe - l'inflation tant désirée pour réduire le poids de la dette extravagante que nous a valu la conjonction désastreuse de la pandémie et d'une mauvaise gouvernance.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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