Discussions faustiennes à Washington

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Par Hervé Goulletquer Modifié le 28 février 2019 à 11h26
Maison Blanche Message Union Europeenne France Attaque Ennemi

Même si rien n’et déjà « gravé dans le marbre », les questionnements autour de la Chine devraient recevoir des réponses favorables. C’est dans ce contexte qu’on se passionne à Washington pour la théorie monétaire moderne.

En Chine, activité molle, mais...

En Chine, les enquêtes PMI « officielles » pour le mois qui se termine ont été publiées jeudi 28 février au matin. On sait qu’interpréter les statistiques chinoises de février est toujours compliqué, à cause des vacances du Nouvel An qui ne tombent pas à chaque fois au même moment. Si l’attention se focalise sur le PMI manufacturier, l’appréciation qu’on est tenté de porter n’est pas très favorable : un niveau de 49,2, après 49,5 le mois précédent, suggère une activité bien mollassonne. Sans doute, doit-on pourtant pousser l’analyse un peu plus loin. Remarquons d’abord que l’indicateur des nouvelles commandes remonte pour la première fois en 9 mois, tiré par celles en provenance du marché intérieur. Pointons ensuite un PMI non-manufacturier, certes un peu en repli sur un mois, mais surtout stable en tendance à un assez haut niveau. Tout ceci pour conclure que tout ne va pas si mal que cela sur le front de l’économie chinoise. Certes la trajectoire fondamentale reste à un lent tassement de la croissance. Mais, avec une focale plus courte, le printemps pourrait envoyer des signaux plus encourageants en termes de profil de l’activité.

Changeons de continent et regardons du côté de Capitol Hill aux Etats-Unis. Il se passe des choses au Congrès américain. Je ne commenterai pas l’audition de Michael Cohen, un ancien avocat de Donald Trump, devant une commission de la Chambre des représentants. Je n’ai pas l’impression que l’avenir politique du Président en dépende. Intéressons-nous d’abord aux explications données par Robert Lighthizer, le négociateur en chef de la Maison Blanche pour les questions de commerce extérieur, à la commission des voies et moyens de la Chambre. Le sujet est évidemment les discussions sino-américaines en cours. Rappelons que notre homme est en faveur d’une attitude de fermeté vis-à-vis de Pékin. Eh bien, l’impression ressentie à lire les dépêches d’agence et les articles de presse est que les négociations avancent dans la bonne direction. Deux phrases prononcées par le négociateur en chef américain sont sans doute importantes : « des vrais progrès ont été faits et si un accord est obtenu, cela nous aidera à prendre un tournant dans nos relations économiques avec la Chine » ; « beaucoup doit encore être fait avant qu’un accord soit atteint et, plus important, après qu’il le soit, si tant est que cela se passe ainsi ». Se projeter après l’accord (comment l’application de son contenu sera-t-elle vérifiée ?) n’envoie-t-il pas un message comme quoi l’étape de l’accord devrait être franchie favorablement ?

Doit-on suivre les recommandations de la TMM ?

Revenons ensuite sur les propos de Jerome Powell, le patron de la Fed, auditionné, en deux temps et comme tous les six mois, par une commission de chacune des deux chambres du Congrès. Je ne veux pas pointer à nouveau le diagnostic proposé en termes de politique monétaire. Comme on le soulignait hier, il s’en est tenu à la défense de la ligne « officielle ». Je souhaite rapporter son éclairage sur un débat en cours à l’heure actuelle aux Etats-Unis : l’opportunité, ou non, de suivre les recommandations de la théorie monétaire moderne (TMM). L’idée centrale, en discussion aujourd’hui, est qu’un Etat, à même de produire sa propre monnaie, peut ainsi payer ses dépenses sans avoir à se soucier des conséquences en termes de déficit budgétaire. Les impôts ou l’émission de titres de dette ne sont pas les seuls moyens de financer les interventions publiques. Bien sûr, si une politique budgétaire par trop dynamique peut faire que la demande, au niveau macroéconomique, dépasse l’offre, alors il y a un risque de plus d’inflation. Mais il sera facile de le gérer par une augmentation de la pression fiscale.

La gauche du Parti démocrate, qui fait beaucoup parler d’elle en ce début de campagne pour les primaires en vue de la désignation du candidat à l’élection présidentielle de novembre 2020, s’est emparée de ce débat. Pour exprimer souvent de la sympathie vis-à-vis de cette perspective de réduction des contraintes à la dépense publique. Cette « attirance » n’est pas partagée par Jerome Powell. Son affirmation sur le sujet est « forte et claire » : « l’idée que les déficits (budgétaires) ne comptent pas pour les pays à même d’emprunter dans leur propre monnaie est, je le pense, simplement fausse ; la dette est simplement trop élevée ; nous aurons soit à dépenser moins, soit à prélever plus ».

Il ne faut pas minimiser le débat. La situation actuelle des finances publiques dans beaucoup d’endroits autour du monde reste fragile. Quid des conséquences d’un retournement conjoncturel, quand il se produira, et des implications des changements structurels en cours (vieillissement de la population, voire plus grande capacité d’une partie des entreprises et des épargnants à se soustraire en partie à l’impôt) ? Peut-être par analogie avec ce qui s’est passé du côté de la politique monétaire, certains se penchent sur d’éventuelles mesures budgétaires non-conventionnelles. Au risque de jouer aux apprentis-sorciers, comme l’histoire économique le rapport ou comme le décrit Goethe dans le Faust II. Méphistophélès (l’envoyé du diable) créée du papier-monnaie pour sauver l’empire. Et le bouffon de l’Empereur de comprendre qu’il faut changer rapidement celui-ci en or pour acheter au plus vite des terres et des maisons.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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