Jules Ferry et Ferdinand Buisson se retournent dans leur tombe (extrait)

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Par Jean-Baptiste et Marie Maillard Publié le 1 septembre 2021 à 5h01
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Lorsqu’il a annoncé vouloir interdire l’instruction en famille, le président de la République a déclaré s’inscrire dans la lignée de Jules Ferry. Ce dernier, ardent promoteur de l’école républicaine, avait pourtant lui-même défendu l’instruction en famille au moment du vote de sa loi rendant l’instruction obligatoire (et non l’école.

On a retrouvé ses propos : nous sommes sous la IIIe République, le 16 juin 1881, Jules Ferry est alors président du Conseil. En séance, un amendement visait à supprimer l’instauration de contrôles et examens au profit d’une citation devant le juge de paix, lequel pourrait appliquer des peines de police alors prévues par l’article 79 du Code pénal. Jules Ferry s’y oppose. Pour lui, il ne faut pas apporter « des règlements d’oppression et de tyrannie » à l’égard des familles IEF de l’époque, y apporter des investigations sur le niveau scolaire des enfants « avec modération ». Il ajoute même que l’obligation scolaire ne doit pas être une « machine de guerre dirigée contre les enfants […] et destinée à pénétrer dans l’intimité du foyer domestique ». Son fidèle disciple Ferdinand Buisson, qui lui succèdera comme directeur de l’Enseignement primaire de 1879 à 1896, défendait lui aussi la liberté d’éducation : « [La nation] ne pénètre pas au foyer. Nul inspecteur ne peut en franchir le seuil. Dans l’éducation d’un enfant – ne nous lassons pas de le redire –, il y a deux responsables : la famille d’abord, ensuite l’État. » Spécialiste de la pédagogie, Buisson contribua à façonner l’école républicaine en réformateur constant de l’institution scolaire dans l’ombre de Jean Jaurès et à la suite de son mentor. Lors de son hommage à Samuel Paty, Emmanuel Macron cita Ferdinand Buisson, qui avait donc pourtant défendu en son temps l’instruction en famille ! Cela n’empêche pas non plus le ministre de l’Éducation d’affirmer : « 93 % des enfants sont scolarisés en 1882, Ferry travaille pour les 7 % restants, c’est important. Il envoie comme signal que l’école est l’épine dorsale de la République. Mutatis mutandis, nous faisons la même chose ». À un détail près : d’après l’historien de l’éducation Claude Lelièvre, l’instruction en famille ne représentait alors que 0,2 % des enfants. Ce dernier l’explique dans une tribune parue dans le journal Le Monde, intitulée « Y a-t-il lieu de s’obstiner à supprimer la liberté de l’instruction dans la famille ? » :

« Au moment même où la IIIe République consacre la forme scolaire en faisant de l’école le fondement de la relation que doit avoir le futur citoyen à la République, il peut paraître paradoxal qu’elle organise la possibilité pour certaines familles d’échapper à l’emprise de cette forme, sous l’espèce de l’instruction à domicile. Mais il y va d’une conception générale de la liberté foncièrement “libérale”, comme on le voit avec son principal protagoniste, Jules Ferry, qui a été aussi en même temps – et ce n’est pas un détail de l’histoire – le chef du gouvernement républicain quand a été élaborée la loi du 29 juillet considérée comme le texte juridique fondamental de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. »

Le 28 novembre 2020, l’historien de la laïcité Jean Baubérot, auquel se réfère souvent aussi Emmanuel Macron, écrit une lettre ouverte au président dans L’Obs : « Vous tournez le dos à Jules Ferry en voulant interdire cette liberté, que la loi permet déjà de ne pas laisser sans surveillance ». Dans l’esprit du gouvernement actuel, il n’y a donc pas d’autre choix possible que l’école de la République.

Ceci est un extrait du livre « L'école à la maison ... une liberté fondamentale  » écrit par Jean-Baptiste et Marie Maillard paru aux Éditions Artège (ISBN-13 ‏ : ‎ 979-1033611509). Prix : 18,90 euros. Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation des Éditions Artège.

« L'école à la maison ... une liberté fondamentale » écrit par Jean-Baptiste et Marie Maillard

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