L’économique et le politique d’une vie avec un virus toujours présent

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Par Hervé Goulletquer Publié le 16 juin 2020 à 13h33
Union Europeenne Federalisme Etats Adhesion
12%Le scénario pessimiste de la BCE prévoit une chute de 12% du PIB de la zone euro.

Plus d'incertitude sur la maladie et donc plus de soutien de politique économique ; n'est-ce pas le message envoyé hier par les marchés ? Si, bien sûr ; il faut toutefois faire attention aux conditions politiques d'une réponse efficace de politique économique. Le point n'est pas simple.

Le marché est perturbé par la difficulté à projeter le devenir du COVID-19 : une deuxième vague est-elle en cours ? Peut-on dire que la question est sans doute mal posée et qu'à ce titre apporter une réponse est compliquée ? Commençons par faire un double constat :

D'abord, il n'est pas tout à fait fondé d'évoquer un risque de deuxième vague aux Etats-Unis, dans la mesure où la baisse du nombre de nouveaux cas n'a jamais dépassé 30% par rapport au niveau maximum observé (20 000 par jour contre 30 000) et donc n'a pas été suffisamment importante pour affirmer qu'un tournant est intervenu ; en Italie, par comparaison la réduction a été de facteur 10 ;
Ensuite, il n'y a pas, au moins a priori, de reprise nette de la maladie en Chine. Un ou deux foyers à Pékin, qui font passer la croissance journalière des nouveaux cas à 0,1% après plus de deux mois de stabilité, est plus simplement un élément de vigilance.

Essayons d'aller plus loin et disons deux choses :

D'abord, on ne sait pas si un vaccin ou un médicament seront trouvés dans les prochains mois ; tout comme on ne sait pas bien quelle sera l'attitude des pouvoirs publics en cas de « vraie » nouvelle vague (reconfirment généralisé ou dispositif plus centré sur les seules populations fragiles) ;
Ensuite, et en insistant sur toutes les limites d'un propos tenu par un non-médecin (je reprends toutefois cette remarque de bon sens à Francis Fukuyama), comment ne pas remarquer que cette maladie est plutôt contagieuse, mais assez peu mortelle ? Le constat ne dit-il pas quelque chose en matière de comportement de tout-un-chacun, avec le risque que la vigilance aille progressivement s'étiolant ?

La conclusion à tirer de cette double série de remarques est que probablement il va falloir apprendre à vivre avec une maladie qui peut-être ne disparaitra pas, mais bien plus se rappellera de temps en temps à nos bons souvenirs sous une forme plus ou moins forte. Il en sera ainsi tant que la recherche sur un traitement, ponctuel ou définitif, n'aura pas abouti.

Si cette approche fait sens. Que doit-on en déduire en termes de comportement des agents économiques ?Entreprises et ménages vont garder une attitude prudente tant que le panorama sanitaire ne sera pas éclairci. Les premières vont chercher à réduire leur « point mort » et les seconds à épargner davantage. Ceux-ci le feront d'autant plus que les perspectives de l'emploi sont défavorables. Il y a évidemment une relation entre ces deux dynamiques. Plus la première sera forte, plus la seconde le sera aussi. D'où la nécessité d'une action publique de soutien durable à l'activité. Elle est économiquement et politiquement nécessaire. C'est d'ailleurs ce que le marché appelle de ses vœux, voire réclame. N'a-t-on pas vu hier au soir (heure européenne) la bourse américaine, toute taraudée qu'elle était par les informations moins favorables sur l'épidémie, repartir à la hausse dans le sillage de la nouvelle que la Fed va commencer à acheter des obligations d'entreprises ? Les achats se feront en suivant un indice « maison », large et diversifié. L'initiative, annoncée il-y-a déjà quelques temps, prend sa place à côté de la facilité déjà opérationnelle d'acquisition de parts d'ETF Credit.

En termes économiques, gouvernement et banque centrale ont une double mission : assurer la « flottaison » de l'activité et donner une direction et donc une visibilité à des agents privés désemparés. A côté de la question de la hiérarchie des priorités en termes de dépenses et de recettes, le point central est de permettre la poursuite de ce jeu d'échos non déformés entre initiatives budgétaire et monétaire. Au soutien que la première apporte à l'activité doit répondre l'assurance de la seconde à maintenir les taux d'intérêt à un bas niveau[1] (en deçà et si possible de beaucoup de la croissance exprimée en valeur). On le comprend, une résurgence un tant soit peu intempestive de l'inflation viendrait compliquer la tâche des responsables de politique économique ; et ceci même s'il en résultait une dévalorisation des dettes accumulées. Il ne faudrait donc pas que l'évolution des conditions politiques aboutisse à l'enclenchement d'un tel processus.

Parlons donc politique. Deux perspectives sont à dresser. D'abord, il est nécessaire de garder à l'esprit l'écosystème nécessaire à la réussite de ce policy mix. Il est fait d'une capacité budgétaire de l'Etat concerné, d'une confiance des citoyens dans les pouvoirs publics et d'une qualité de conviction et d'entrainement de la part des plus hauts responsables politiques. Le point a valu durant le confinement et il continuera de valoir au cours des prochains trimestres. Peut-on déjà affirmer qu'in fine en Zone Euro l'Allemagne s'en sortira mieux que l'Italie ? Ou, pour dire les choses autrement, que, pour éviter un trop grand écart de performances économiques, davantage de solidarité européenne s'impose. Ensuite, alors que la question des inégalités est posée dans nombre de pays, les policymakers doivent faire attention à ce que leurs actions ne viennent pas les renforcer. Comment s'assurer par exemple que la montée en parallèle des indices boursiers et des taux de chômage ne crée par des revendications en faveur de davantage de redistribution. Avec le risque que d'éventuelles initiatives prises ne débouchent sur une résurgence de l'inflation qui remettrait en cause l'équilibre voulu entre réglages budgétaire et monétaire.

Les temps devant vont être compliqués. Créer les conditions politiques des réponses économiques à apporter à l'incertitude sanitaire est sans doute l'élément-clé qui conditionnera le plus ou moins grands degré de réussite de celles-ci.

[1] On n'évoque pas ici la double mission des banques centrales d'assurer la stabilité financière et de faciliter le développement « raisonné » du crédit bancaire

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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