Et si les entreprises aidaient à lutter contre la pauvreté ?

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Par Vincent Chriqui Modifié le 29 novembre 2012 à 5h56

-Certaines entreprises développent une approche originale de lutte contre la pauvreté, appelées Bas de la Pyramide, en anglais Base Of the Pyramid, ou « Bop ».

Ces approches reposent sur trois principes : il existe un marché sous-estimé, formé par l’ensemble des personnes dont les revenus sont insuffisants pour accéder aux biens et services produits par les grandes marques ; la construction d’une offre adaptée à cette clientèle passe moins par une logique « low cost » que par l’intégration de ses besoins spécifiques ; la rentabilité économique de ces démarches est considérée comme l’une des conditions de leur succès. (Les démarches BoP se différencient en cela du « social business » promu par le Prix Nobel de la Paix Muhammad Yunus, qui ne vise pas la profitabilité, et conduit au réinvestissement total des bénéfices éventuels).

Le CAS a souhaité étudier ces démarches originales, et, alors qu’elles prennent place essentiellement dans des pays en voie de développement appréhender leur possible transposition dans les pays développés.

Quelques exemples dans les pays du sud. Un programme d’accès aux soins : l’action d’Essilor en Inde. En 2003, Essilor - numéro un mondial de l’optique ophtalmique – lance dans les zones rurales de l’Inde des unités mobiles qui proposent à la population un examen gratuit, et éventuellement des lunettes à des prix très accessibles (en moyenne 6 €, avec un prix de base de 2€). En 2010, ce sont 8 structures mobiles qui parcourent les zones rurales du pays.

Un nouveau produit : Chotukool. Le ChotuKool est un système de réfrigération portatif commercialisé en Inde par Godrej and Boyce au prix de 69$. En partenariat avec des chercheurs de la Harvard Business School, Godrej a déterminé que, plutôt que des réfrigérateurs de moindre qualité, les femmes (600 ont été associées à la recherche) avaient besoin d’une solution permettant de maintenir les aliments au frais pendant un jour ou deux en l’absence de réseau électrique. C’est sur cette base que Godrej a développé une sorte de glacière portable (moins de 8kgs), d’une contenance de 45 litres, alimentée soit par une batterie externe rechargeable, soit directement sur le courant (avec une consommation électrique équivalente à celle d’une ampoule). Le prix est moitié moins élevé que celui d’un réfrigérateur d’entrée de gamme. Gordrej a d’ailleurs vendu près de 100 000 ChotuKool en deux ans. L’entreprise a même reçu le 2012 Edison Award Gold Prize pour sa contribution aux innovations sociales.

Une transposition dans les pays du Nord ? L’existence de ce qu’on nomme les pénalités de pauvreté pourrait justifier l’adaptation de tels programmes dans les pays du Nord. En France, le taux de pauvreté relatif au seuil de 60% du revenu médian se maintient à un niveau élevé, environ 13,5% de la population française métropolitaine. Par ailleurs, les personnes pauvres subissent ce que l’on nomme des « pénalités de pauvreté », c’est à dire qu’elles sont conduites à dépenser davantage que les personnes plus aisées pour satisfaire des besoins de consommation similaires. Une récente étude réalisée par le Boston Consulting Group pour la Chaire HEC « Social Business / Entreprise et pauvreté » montre que le coût annuel de la double pénalité avoisinerait les 1000-1100 € pour les ménages pauvres, ce qui représenterait entre 9 et 10% de leur budget annuel.

Ces éléments pourraient justifier la mise en place, dans les pays du Nord, de programmes BoP similaires aux pays du Sud. Ceux ci toutefois se heurtent à plusieurs contraintes : la concurrence du low cost (plus développé que dans les pays du Sud), le fait que le surplus d’image lié à la promotion de bop n’a pas besoin de programmes de grande ampleur, l’incertitude sur la rentabilité de ces programmes et sur leurs effets pour tous les types de produits et dans tous les pays. Se développent alors plutôt, dans les pays du Nord, des programmes partenariaux, entre des associations, des entreprises et/ou des services publics.

Une offre de téléphonie solidaire initiée par SFR et Emmaüs Défi. Ne pouvant prétendre aux forfaits téléphoniques classiques, dont la dégressivité des prix est fonction des durées d’engagement contractuel, les personnes en situation de précarité recourent aux cartes prépayées, proportionnellement plus chères. L’action consiste donc à proposer des cartes à un tarif particulièrement adapté (5€ pour une heure de communications, soit un prix trois fois moins élevé que celui du marché), en contrepartie d’un accompagnement social pour réduire durablement le montant des factures téléphoniques. Les bénéficiaires peuvent conserver leur numéro s’ils en avaient déjà un et, s’ils ne possèdent pas de mobile, s’en voir donner un de seconde main. Le dispositif est expérimenté à Paris depuis mars 2010, dans deux antennes du réseau Emmaüs Défi. Il est prévu que 500 personnes puissent bénéficier de cette offre de téléphonie solidaire.

Comme on le voit, ces dispositifs mobilisent plutôt des partenariats entreprises/associations ou entreprises/organismes sociaux. Ces initiatives, qui donnent accès à des biens de consommation à une population pour laquelle ils seraient sinon inaccessibles, pourraient alors bénéficier du soutien public au même titre que l’entrepreneuriat social.

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Vincent Chriqui est le Directeur général du Centre d’analyse stratégique.  

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