L’économiste de la semaine : Gary S. BECKER

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Par Sylvain Fontan Modifié le 28 mai 2014 à 12h23

Né en 1930 aux Etats-Unis, Gary Stanley Becker est un économiste américain néoclassique de l'école libérale de Chicago. Ses travaux les plus connus, pour lesquels il reçoit le prix Nobel d'économie en 1992, portent sur l'élargissement de l'analyse économique à de nouveaux domaines concernant les comportements humains et les relations humaines. Il donne ainsi naissance à la théorie du capital humain.

La notion de capital humain désigne l'ensemble des dispositions durables dont l'acquisition et la possession rendent les personnes plus productives dans leurs diverses activités. Ces dispositions s'entendent comme des capacités ou des aptitudes, dont une partie est innée, et l'autre acquise au prix d'investissements humains qui mobilisent volontairement des dépenses et des efforts personnels (savoir, savoir-faire, expérience, motivation, santé, etc.). La notion de capital humain permet notamment de remplir des lacunes dans les théories de la croissance économique, de la répartition des revenus ou du commerce international.

La théorie du capital humain

Becker développe sa théorie du capital humain dans son ouvrage de référence publié en 1964 (première édition), intitulé "Human Capital : A Theoretical and Empirical Analysis, with Special Reference to Education". De façon synthétique, la théorie du capital humain tend à expliquer la hiérarchie des salaires par les différences de capital humain qu'offrent les salariés, c'est-à-dire par les différences de leurs aptitudes innées et acquises.

Se basant sur le monde de l'éducation, le raisonnement de base est le suivant : un élève qui décide de poursuivre ses études, ou un employé qui s'engage dans un stage de formation, consentent tous deux à des dépenses et des sacrifices pendant la durée de leur formation, en vue d'obtenir des avantages futurs. Une partie de ces avantages renvoie à l'accroissement attendue de la rémunération durant la vie active. A ce titre, la formation (même gratuite) représente un investissement économique. En effet, il constitue un coût dit "d'opportunité" car le temps consacré à la formation du capital humain se traduit d'une part, par des frais divers, et d'autre part, par un revenu sacrifié pendant la durée de la formation.

La théorie du capital humain renvoie donc à un arbitrage effectué par les individus. L'arbitrage porte entre le présent et le futur dans le sens qu'une personne peut préférer (ou être "contrainte" à) un revenu immédiat ou un gain espéré supérieur futur. De façon sous- jacente, l'hypothèse est qu'une personne dont le capital humain est élevé peut raisonnablement espérer bénéficier d'un revenu supérieur à l'individu dont l'investissement a été moindre.

Le capital humain se distingue du capital physique ou financier car il s'incorpore à une personne. Autrement dit, l'employeur ne bénéficie de cet investissement uniquement dans la mesure oùle salarié formé continue à travailler pour lui. En effet, à la différence du système d'esclavage où le travailleur est géré par l'employeur comme un autre équipement, le travailleur dans une société libre est propriétaire de son capital humain. Dès lors, le travailleur est mobile et cette mobilité peut engendrer un coût plus ou moins élevé pour l'employeur. Dans ce cadre, un employeur pourra dispenser une formation à son employé dans l'espoir que celui-ci puisse ensuite s'en servir dans le cadre de son travail afin d'améliorer sa productivité (quantité de travail nécessaire à la production d'une unité).

Etant donné que le travailleur est mobile, et donc susceptible d'aller se faire employer ailleurs, le partage du coût lié à l'amélioration du capital humain de l'employé dépend de différents facteurs. De façon schématique, si la formation est spécifique (ne pouvant servir qu'au travail de l'employeur présent), alors le coût de la formation pourra être pris en totalité par l'employeur. En revanche, si la formation est générale (transférable à toute entreprise sans déperdition de savoir), alors le coût de la formation sera laissé à la charge de l'employé qui pourra ensuite faire valoir sa qualification supplémentaire sous forme de salaire auprès de son employeur, actuel ou futur.

Les particularités du capital humain font que les théories concernant le capital évoluent. Plusieurs points sont impactés mais quatre le sont particulièrement :

1) Comme les apports de l'investissement éducatif décroissent avec l'âge, la logique économique veut que les individus se consacrent pleinement aux études au début de la vie.

2) La variation du salaire en fonction de l'âge reflète le cycle d'accumulation du capital humain. Autrement dit, le salaire augmente quand l'investissement en capital humain est positif, et il diminue dans le cas inverse. Or, l'investissement tend à diminuer avec l'âge. De plus, la dépréciation du capital humain à tendance à s'accélérer au-delà d'un certain âge. Tous ces éléments font que malgré l'expérience acquise, les salaires généralement proposés aux travailleurs âgés sont trop élevés par rapport à leur investissement humain et leur productivité.

3) La spécificité du capital humain fait que ses atouts sont aussi ses faiblesses. En effet, le capital humain est par nature personnel et donc il ne peut pas être approprié par autrui (sauf esclavage). Dès lors, l'individu est fortement incité à investir dans son capital humain. En revanche, l'inconvénient de cette spécificité est que le prêteur qui va financer cet investissement ne peut pas s'assurer de la "solvabilité" (certitude que l'investissement débouchera sur un gain futur) de l'emprunteur, constituant ainsi un obstacle à l'octroi de crédit dans ce sens. Dès lors, le marché du crédit destiné au financement du capital humain est moins parfait que celui destiné à financer du capital non humain (machines etc). Dans ce cadre, les enfants des catégories modestes sont plus touchés que les autres par le rationnement du crédit à l'éducation car ils ne peuvent pas (ou peu) compter sur l'aide financière de leurs parents.

4) L'incorporation du capital humain dans une personne est limités et tributaire des capacités physiques et intellectuelles de l'individu. De plus, le rendement marginal, autrement dit le gain lié à chaque effort supplémentaire, diminue au fur et à mesure que l'effort augmente. Au-delà d'une certaine limite, l'acquisition supplémentaire de capital humain n'est plus possible. Ainsi, alors que le capitaliste industriel ou financier peut accroître sa fortune de façon presque illimitée, l'homme cultivé ne le peut pas.

Eléments de perspective

La théorie du capital humain permet d'expliquer un certain nombre de phénomènes jusque-là inexpliqués ou occultés par la théorie du capital :

• Sur une longue période, la croissance économique (accroissement de la richesse) s'explique par la variation des quantités de travail et de capital. Toutefois, il convient également d'observer les progrès scientifiques et techniques sous toutes leurs formes et ainsi intégrer le rôle du capital humain dans la croissance économique.

• Les revenus et les salaires sont inégalement répartis dans la population. Le niveau d'études, les différences d'aptitudes et de capacités naturelles peuvent en partie expliquer ces disparités.

• L'introduction du capital humain peut expliquer un paradoxe d'une des théories du commerce international (le modèle HOS, pour Heckscher-Ohlin-Samuelson) selon laquelle chaque pays aurait intérêt à se spécialiser dans les productions qui incorporent massivement le facteur dans lequel il est le mieux doté (capital, travail ou facteurs naturels) : approche dite "des dotations factorielles". L'observation de la structure extérieure d'un pays précis (les Etats- Unis) infirme cette théorie dans sa formulation initiale. Dès lors, une des explications serait que les américains seraient riches en travail qualifié, autrement dit que le pays est relativement mieux doté en capital humain qu'en capital physique. Dès lors, cela expliquerait pourquoi les Etats-Unis exportent plus dans les secteurs relativement intensifs en travail (facteur rare), et importent plutôt dans les secteurs intensifs en capital (facteur abondant).

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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