Macron face à l’Église, ou le regret d’Ulysse d’avoir dit non à Calypso

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 17 avril 2018 à 11h58
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23 %Selon une enquête du groupe Bayard menée par Ipsos, la France compte 23 % de catholiques « engagés ».

Le discours d’Emmanuel Macron aux Bernardins, devant l’Église Catholique, a nourri des polémiques sur une prétendue rupture avec la laïcité. Il illustre plutôt les désillusions et les angoisses d’une majorité laïque désarmée face à la montée de projets sociétaux alternatifs, fondés sur une perception différente de l’Histoire et du destin de l’Homme. On retrouve ici les inquiétudes d’une société sécularisée face à la question du salut, qu’elle se sent impuissante à traiter.

Il y a plusieurs façons de lire l’important discours d’Emmanuel Macron aux Bernardins, prononcé le 9 avril au soir. Ceux qui, à peine l’avait-il fini, ont lancé des polémiques assassines sur son contenu peuvent le regretter amèrement. Ils auraient bien fait de prendre le temps de le lire à tête reposée avant de s’écharper sur l’une ou l’autre de ses phrases tirées de son contexte.

Au bon vieux temps de l’Église triomphante

Dans tous les cas, le reproche adressé à ce texte, de rompre avec la laïcité et la loi de 1905, paraît très mal à propos. En réalité, le Président n’a pas contesté la laïcité. Il a seulement déploré sa grande efficacité dans la sécularisation de la société française.

Il a prononcé les mots de celui qui appelait de ses voeux le retour au bon vieux temps d’une Église militante, à cette époque où il était si simple de se sentir progressiste, dans le droit chemin, dans la bonne pensée, en bouffant du curé à chaque petit-déjeuner. C’était l’âge d’or où l’Histoire existait, mue par l’antigonisme binaire et transparent entre conservateurs catholiques et modernistes agnostiques ou athées. D’un côté, les ténèbres de la religion, de l’autre les lumières de la libre raison. Que ce monde-là (fantasmé, en réalité, par la vulgate insoumise et grand-orientesque) était heureux, harmonieux, facile! Il suffisait de choisir un camp sans se poser de question, et on gagnait la vérité.

Inversement d’ailleurs, on ne doit pas manquer de matériaux historiques pour rappeler cette époque où les catholiques s’étaient aussi attribués le camp du bien, et avaient rejeté « chez les autres » tous les méfaits de la société moderne. On y trouvait pêle-mêle le communisme, le socialisme, le libéralisme, la Révolution, les Juifs et autres figures ennemies de la Sainte Religion. Majorité un jour, minorité le lendemain.

Rétrospectivement, ce monde-là, c’était la bonne heure pour la raison laïque qu’Emmanuel Macron a indiquée dans son discours: alors (« ea tempestate » disaient les Latins, d’où l’appel à une liberté intempestive de l’Église), on croyait à un absolu, on savait « à quoi bon » se lever le matin, on croyait à quelque chose, à une grande lutte dans l’Histoire entre le bien et le mal, ou entre le bien et le moins bien, et chacun considérait qu’il avait une place à y jouer. Cette époque-là n’était pas parcourue par le « cynisme ordinaire », comme dit le Président, celui d’une époque où l’on reçoit un numéro de sécurité sociale à sa naissance, que l’on garde jusqu’à sa mort, et où l’on meuble comme on peut le temps qui sépare ces deux événements en ne se départissant jamais de ce petit matricule tatoué sur la carte d’identité. Il vaut sauf-conduit contre toutes les questions que les anciens hommes (grenouilles de bénitiers ou bouffeurs de curé) étaient parfois amenés à se poser quand le principe de précaution n’existait pas sur le sens d’une vie éphémère et imprévisible.

Les mauvaises langues noteront quand même avec acidité que celui qui déplore aujourd’hui le manque d’engagement dans la société et le triomphe de l'« à quoi bonisme » est aussi celui qui pratique le plus volontiers le pouvoir par le haut et qui s’apprête, par une manoeuvre de couloir, à faire passer une réforme institutionnelle où le nombre d’élus du peuple sera fortement diminué, et leurs prérogatives déjà faibles encore rognées. On trouve mieux comme volonté d’impliquer les citoyens dans l’action politique ou comme forme de lutte contre l’àquoibonisme. Mais le cynisme est aussi une extension de domaine pour la paille et la poutre…

La laïcité, symptôme de la mort de l’Histoire

C’est bien malin de regretter cette époque où être rationaliste signifiait se lever chaque matin pour lutter contre les prérogatives d’une Église qui rêvait de rétablir la couronne de France. En écrivant ces mots, je mesure l’incompréhension des lecteurs dont très peu se souviennent ou savent qu’il y a moins de cent ans, être républicain ne coulait pas forcément de source, et qu’il y a moins de cent cinquante ans, les Républicains étaient minoritaires dans le pays. L’Église catholique espérait alors assurer le retour de la monarchie. S’il n’y avait eu, dans les années 1870 et 1880, de sévères dissensions entre monarchistes et défenseurs de l’Empire d’abord, entre partisans des Bourbon et partisans des Orléans ensuite, l’épisode républicain serait passé à la trappe.

On peut croire, avec le recul, qu’il s’agissait là d’une simple question politique totalement oubliée. En réalité, combative, la République a réglé le problème par la création de l’école publique, et par la loi de 1905 qui a renvoyé les questions religieuses aux affaires privées. Sans ce puissant arsenal étatique et juridique, l’Église en France aurait un poids au moins aussi équivalent à ce qu’elle représente en Italie ou en Espagne.

La rupture de 1905 fut celle d’Ulysse renonçant à l’immortalité proposée par Calypso. L’Église proposait aux Français une société commandée par Dieu, garant de l’immortalité des âmes. Les Républicains ont préféré une société commandée par les mortels. Le poison fut létal au point de transformer l’Église de France en un clone de la République égalitaire.

D’ailleurs, les clercs ont reçu Macron en lui présentant d’abord des discours de victimes et de persécutés, à la façon des medias bien-pensants qui sont obligés de donner des gages quotidiens de bonté générique en faveur des minorités pour être respectables. L’Église ne peut plus se présenter comme une puissance émanant de la majorité des Français, sans quoi elle se ferait haïr. Elle doit forcément être le lieu où ne parlent que les opprimés, les faibles, les souffrants, les défaillants. Le mimétisme avec les discours officiels dont le propos est d’encenser les exclus et de culpabiliser, voire de criminaliser la majorité, était frappant.

Ce qu’Emmanuel Macron n’a pas clairement répondu à ces discours où le catholicisme montrait qu’il avait parfaitement intégré les codes d’une société déchristianisée, c’était son affliction de voir qu’il n’existe plus d’espérance dans l’immortalité, au sens où la société française pense désormais que l’Histoire n’est pas un cycle infini, mais un chemin aléatoire avec une destination proche dont on peut jouir sans se poser de question. D’ailleurs, je me trompe, il a quand même prononcé cette phrase éloquente:

« C’est cela, si vous m’y autorisez, la part catholique de la France. C’est cette part qui dans l’horizon séculier instille tout de même la question intranquille du salut (…). Cet horizon du salut a certes totalement disparu de l’ordinaire des sociétés contemporaines, mais c’est un tort et l’on voit à bien à des signes qu’il demeure enfoui. »

Le bon temps de l’intranquillité où les Français se demandaient s’il y aurait quelque chose après eux, où ils se disaient qu’au fond, leur civilisation était mortelle et qu’il fallait la défendre pour qu’elle vive! 113 ans après la loi de séparation, la France, c’est Ithaque avec Ulysse parfaitement heureux auprès de Pénélope. On est repu de biens de consommation, de jouissances, de plaisirs, de fêtes, les familles séparées sont enfin réunies, on vit dans l’unité et la concorde. Il ne reste plus guère de temps ni d’énergie pour se demander à quoi tout cela (les Iphones derniers cris, les montres Rolex, les téléviseurs géants à écran plat) peut bien servir ou mener, une fois achevée la simple consommation qu’on en fait. La question de la jouissance a remplacé la question du sens. Et l’on se dit: ah! le bon temps où on se posait des questions sur notre salut! Et si on avait dit oui à l’immortalité que proposait Calypso?

Aujourd’hui, c’est : après moi, le Déluge!

Et ça, le Président de la République, ça l’agace un peu, parce qu’il était bien content de se ramasser les voies des veaux qui ne voulaient pas revenir aux heures les plus sombres de l’histoire de France en mai 2017, mais il aimerait bien que ces veaux soient un peu moins jouisseurs, un peu moins àquoibonistes, un peu plus inquiets pour leur pays. Sans cette intranquillité, il a du mal à les convaincre des efforts pour mieux préparer des lendemains qui ne chantent pas.

On touche ici au paradoxe macronien suprême: lui qui a abreuvé le corps électoral de promesses mielleuses, pour ne pas dire démagogiques, où « en même temps », on pouvait être moderne et intelligent, européen et protectionniste, libéral et social, dont l’objectif affiché était de maintenir les consciences endormies, le voilà prisonnier de son propre poison. Lui qui a appelé de ses voeux le grand consensus contemporain sur le « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », il nous ferait bien une petite piqûre de négativité pour redonner du sens aux vieux combats, et réveiller un peuple qui ronronne sur son radiateur en attendant l’arrivée du printemps.

Le triomphe de l'Islam, grand tabou macronien

Pour comprendre la nostalgie de Macron pour l’époque de l’Église triomphante, il faut pousser le discours jusqu’au bout et lire sa phrase:

dans cette liberté de parole, je range la volonté de l’Eglise d’initier, d’entretenir et de renforcer le libre dialogue avec l’islam dans le monde a tant besoin et que vous avez évoqué.

On ne pouvait mieux résumer l’impuissance consciente du Président d’une République laïque face à l’émergence d’un projet islamique pour son corps social sécularisé.

Certes, les chiens de garde de Mediapart et d’ailleurs (et on rangera dans cette catégorie Bernard Henri-Lévy) continuent à terroriser toute conscience qui s’éveillerait face à cette réalité. Le mythe forgé de toutes pièces d’un Islam modéré qui serait majoritaire (et respectueux des Lumières ou de la démocratie) et d’un Islam fanatique (prétendument le seul à contester nos traditions humanistes) qui serait groupusculaire a beau être répété en boucle et imposé sous peine de procès immédiat en islamophobie (et autres variantes qui donnent peu envie), il se lézarde peu à peu dans l’opinion publique face aux évidences qu’égrène l’actualité jour après jour.

Ce ne sont plus seulement les attentats sanglants qui font peur, mais les soutiens apportés à des Tarik Ramadan, ce sont les caïds de quartier qui interdisent aux femmes de sortir ou de travailler, ce sont ces adolescents rétifs à tout apprentissage humaniste, qui assènent sans vergogne que Dieu est maître de tout et que la démocratie ne sert plus à rien. Cette émergence-là qui fut en France parrainée par les grands sécularisateurs à l’origine de SOS Racisme prend de plus en plus de place et paraît de moins en moins canalisable.

Les Français se croient au bout de l’Histoire. Ils s’imaginent qu’une fois leur réfrigérateur rempli après une incursion à l’hypermarché qui défigure la sortie de leur ville ou de leur village, une fois leur smartphone acheté, une fois leur abonnement à Netflix payé, la vie n’a plus rien à leur offrir. Qu’ils ont épuisé le sens des choses. Mais sur leur sol, ils s’aperçoivent qu’il existe un modèle alternatif, où la musique et le rire sont proscrits, où le blasphème est puni de mort, et où la liberté de penser que la religion n’est plus utile est assimilée à un crime. Partout, ce modèle progresse et percole dans des esprits lassés par le nihilisme de ce qu’on appelle l’éducation dans la France d’aujourd’hui.

Comme le Président Macron a bien compris que ceux qui l’ont élu appartenaient aux adeptes repus de la fin de l’Histoire, il compte maintenant sur ceux qui ne l’ont pas élu pour contenir les forces qui rugissent aux marches de notre Empire déclinant. Vous, les catholiques, qui avez le sens du sacrifice comme ce fameux Arnaud Beltrame, vous ne voudriez pas régler à la place des bien-pensants et autres bienveillants la question de l’Islam en France? On vous en sera éternellement reconnaissant, et on boira une coupe de Champagne devant notre écran plat à votre santé.

Voilà très exactement ce qu’Emmanuel Macron est allé dire à l’Église catholique dans son discours aux Bernardins.

Fin de l’Histoire ou fin de la bien-pensance?

Qu’on soit donc bien clair: Macron n’a pas violé la laïcité. Il a simplement fait l’aveu de l’impuissance de la République laïque à assurer sa propre survie. Il a seulement proposé aux catholiques pratiquants ou militants de devenir les forces supplétives d’une majorité bien-pensante devenue si obèse à force de bienveillance mielleuse pour tout ce qui la déteste, la nie et la menace, qu’elle n’est plus capable de combattre elle-même pour elle-même.

Mélenchon a donc tort d’accuser Macron de prononcer des discours de « sous-curé » (mot qu’on imagine vulgarisé pour dire diacre). En réalité, Macron a prononcé un discours de laïque qui veut protéger la laïcité en se servant, comme d’un bouclier contre l’Islam, des vieux oripeaux de la tradition chrétienne.

Voilà qui en dit long sur l’état de décrépitude avancée de notre société. Et sur l’imminence d’une chute bien méritée pour tous ces bien-pensants donneurs de leçon, qui ne sont plus que l’ombre de ce qu’on a appelé, à une époque, la France. On recommandera ici à tous de relire l’histoire de la chute de Constantinople. Elle ne s’est pas déroulée autrement.

Ce qui grève notre pays – j’ai déjà eu l’occasion de le dire – ce n’est pas seulement la crise économique, c’est le relativisme ; c’est même le nihilisme ; c’est tout ce qui laisse à penser que cela n’en vaut pas la peine. Pas la peine d’apprendre, pas la peine de travailler et surtout pas la peine de tendre la main et de s’engager au service de plus grands que soit. Le système, progressivement, a enfermé nos concitoyens dans « l’à quoi bon » en ne rémunérant plus vraiment le travail ou plus tout à fait, en décourageant l’initiative, en protégeant mal les plus fragiles, en assignant à résidence les plus défavorisés et en considérant que l’ère postmoderne dans laquelle nous étions collectivement arrivés, était l’ère du grand doute qui permettait de renoncer à toute absolu. (…)

Depuis trop longtemps, le champ politique était devenu un théâtre d’ombres et aujourd’hui encore, le récit politique emprunte trop souvent aux schémas les plus éculés et les plus réducteurs, semblant ignorer le souffle de l’histoire et ce que le retour du tragique dans notre monde contemporain exige de nous.

Je pense pour ma part que nous pouvons construire une politique effective, une politique qui échappe au cynisme ordinaire pour graver dans le réel ce qui doit être le premier devoir du politique, je veux dire la dignité de l’homme. (…)

Cette conversion du regard, seul l’engagement la rend possible et au cœur de cet engagement, une indignation profonde, humaniste, éthique et notre société politique en a besoin. Et cet engagement que vous portez, j’en ai besoin pour notre pays comme j’en ai besoin pour notre Europe parce que notre principal risque aujourd’hui, c’est l’anomie, c’est l’atonie, c’est l’assoupissement. (…)

Et dans cette liberté de parole, je range la volonté de l’Eglise d’initier, d’entretenir et de renforcer le libre dialogue avec l’islam dans le monde a tant besoin et que vous avez évoqué.

Car il n’est pas de compréhension de l’islam qui ne passe par des clercs comme il n’est pas de dialogue interreligieux sans les religions. Ces lieux en sont le témoin ; le pluralisme religieux est une donnée fondamentale de notre temps. Monseigneur LUSTIGER en avait eu l’intuition forte lorsqu’il a voulu faire revivre le Collège des Bernardins pour accueillir tous les dialogues. L’Histoire lui a donné raison. Il n’y a pas plus urgent aujourd’hui qu’accroître la connaissance mutuelle des peuples, des cultures, des religions ; il n’y a d’autres moyens pour cela que la rencontre par la voix mais aussi par les livres, par le travail partagé ; toutes choses dont Benoît XVI avait raconté l’enracinement dans la pensée cistercienne lors de son passage ici en 2008.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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