Tartuffe et le commerce mondial (2/2)

Par Bertrand de Kermel Publié le 13 juin 2018 à 5h00
Commerce Mondial Ethique Entreprises
21 millions21 millions de personnes dans le monde seraient toujours réduites en esclavage.

Hier, Economie Matin a publié un article faisant apparaitre que l’Europe, soumise aux Etats Unis, faisait le maximum pour torpiller les trois principales initiatives permettant de faire respecter les droit humains et les accords internationaux sur l’environnement dans le cadre du commerce mondial.

L’article concluait que les 28 peuples ont complètement perdu la main sur leur souveraineté puisqu’ils ne parviennent pas à faire aboutir ces trois chantiers. Tout est-il perdu ? Non. Puisque les politiques ne peuvent pas ou ne veulent pas traiter le sujet, faisons-le arbitrer par les consommateurs. C’est du reste l’analyse du Parlement Européen, qui affirme à juste titre : «Aucun consommateur ne veut continuer à acheter des produits fabriqués par des enfants ou des hommes et des femmes exploités, ou des produits ayant engendré de graves dommages environnementaux ». (Résolution du 20 juillet 2017, point 31)

Comment procéder ? Le Parlement européen a avancé une proposition dans ses résolutions du 25 octobre 2016, et du 27 avril 2017 et du 20 juillet 2017. Cette proposition devient aujourd’hui la seule solution pour en sortir.

Elle consiste à mettre en place au niveau européen, un ou des labels, ou toute autre solution équivalente, attestant du respect des droits de l’Homme et de règles environnementales minima dans la fabrication des produits échangés sur le marché mondial. Ce mécanisme sera assorti d'un organe de suivi indépendant, régi par des règles strictes et doté de pouvoirs d'inspection, dont le rôle sera de vérifier et de certifier qu'aucune violation n'a été commise lors des différentes étapes de la chaîne de fabrication des produits concernés.

Les réponses à toutes les critiques qui viennent immédiatement à l’esprit (impossible, irréaliste un produit sous label sera trop cher, etc…) se trouvent sur : https://www.pauvrete-politique.com/petition. Ce lien mène à un projet de pétition en cours de réflexion sur ce sujet, dont l’annexe reprend toutes ces critiques et y répond.

La principale critique est la suivante : « irréalisable, car la chaîne de fabrication dans le commerce mondial est trop complexe donc incontrôlable ». Cela était vrai il y a 15 ans. Ca ne l’est plus.

Depuis la Loi du 27 mars 2017, les plus grandes sociétés françaises sont désormais tenues de mettre en place un plan de vigilance pour identifier les risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement. Cette obligation s’applique non seulement à ces très grandes sociétés, mais aussi à celles qu'elles contrôlent, directement ou indirectement.

Elle s’applique également aux activités des sous-traitants ou fournisseurs de ces entreprises. La complexité n’est donc plus un argument. Du reste, Samsung a montré la voie, même si elle a ensuite failli à ses engagements. Qu’on en juge :

L’association française Sherpa a déposé plainte début janvier 2018 contre Samsung, lui reprochant de tromper les consommateurs. On lui reproche d’avoir “recours au travail de jeunes de moins de 16 ans, à des horaires abusifs, à des conditions de travail "incompatibles avec la dignité humaine" en Chine. Or, Samsung a mis en place un code éthique interne, sur lequel elle communique abondamment. Au travers de ce code éthique Samsung dit vouloir "devenir l’une des entreprises les plus éthiques au monde" et faire de la "gestion éthique" un moyen de "construire la confiance" avec ses clients, employés, actionnaires et partenaires professionnels. Ceci implique bien entendu une connaissance parfaite de tous les stades de fabrication de ses produits.

Au-delà de ce litige qui sera tranché par la justice, Samsung apporte la preuve que la traçabilité et le contrôle des modes de fabrication est possible dans la mondialisation même pour des produits aussi complexes que des smartphones. ? La solution la plus simple eut été de mettre en place la proposition du Parlement Européen du 10 novembre 2010, qui a maintenant huit ans. Point 27 : “ prie instamment la Commission de déposer dans les meilleurs délais une proposition de règlement interdisant l'importation dans l'Union de biens produits par le biais de formes modernes d'esclavage, du travail forcé, notamment du travail forcé de groupes particulièrement vulnérables, en violation des normes fondamentales des droits de l'homme”.

Les entreprises auraient été contraintes d’apporter la preuve du respect de ces dispositions, donc de garantir la traçabilité de la fabrication de leurs produits. Ne pouvant se passer du marché européen, le plus gros marché solvable du monde, elle l’auraient fait. N’oublions pas que toute cette complexité a été créée par les entreprises elles-mêmes. Elles relèvent de la fiscalité, du refus de la transparence, du désir de s’installer dans les pays les moins regardants sur les droits humains et l’environnement etc… Si c’est impossible imposons ce label en France.

Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

Suivez-nous sur Google News Economie Matin - Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités.

Aucun commentaire à «Tartuffe et le commerce mondial (2/2)»

Laisser un commentaire

* Champs requis