1918, ou comment une épidémie peut changer la politique d’un pays

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Par Douglas French Publié le 3 juillet 2020 à 5h52
Coronavirus Covid19 Lecons Reformes
8%8% des cas "résolus" de covid-19 se sont soldés par un décès.

En 1918, la grippe espagnole a eu une influence considérable sur les sociétés – et même le cours de l’Histoire. Les choses sont-elles en train de se reproduire avec le Covid-19 ?

Je crois que j’ai découvert le sujet de la grippe espagnole en lisant les toutes premières pages du chef-d’œuvre de Charles Portis intitulé True Grit. L’héroïne du roman, Mattie Ross, présente aux lecteurs Yarnell Poindexter, à qui le père de Mattie a demandé de rester à la ferme afin de prendre soin de sa mère et de toute la famille après son départ à Fort Smith.

Mattie et Yarnell « ont échangé des lettres chaque année durant la période de Noël, jusqu’à ce qu’il décède au cours de l’épidémie de grippe de 1918 ».

De nos jours, la plupart des gens n’avaient jamais entendu parler de la pandémie de 1918 jusqu’à ce que se reproduise cette année un scénario similaire, à défaut d’être identique.

Mais deux nouveaux livres publiés au cours des dernières années offrent une perspective plus nécessaire que jamais. Le premier, publié en 2018 par Laura Spinney, s’intitule La Grande Tueuse : comment la grippe espagnole a changé le monde. Le deuxième, publié en 2005 par John Barry, s’intitule The Great Influenza : The Story of the Deadliest Plague in History [La Grande Grippe : l’histoire de l’épidémie la plus mortelle de l’Histoire, NDLR].

Une chose ressort rapidement à la lecture de ces ouvrages : le nombre de victimes de la grippe de 1918 est ahurissant.

Spinney écrit que « la grippe espagnole a infecté une personne sur trois à travers la planète, soit près de 500 millions d’êtres humains ». C’est un chiffre incroyable. Cependant, comme nous le savons maintenant, il est difficile d’obtenir des données exactes sur cette pandémie.

La pandémie de 1918–1920 a tué entre 35 et 100 millions d’individus à travers le monde, dont près de 675 000 aux Etats-Unis. La pandémie actuelle a déjà emporté plus de 500 000 âmes à travers le monde.

« La plupart des décès » survenus en 1918, écrit Mme Spinney, « ont eu lieu au cours d’une période de 13 semaines entre le milieu du mois de septembre et le milieu du mois de décembre ». Soit dit en passant, cette période correspond à la seconde vague de l’épidémie.

La Première guerre mondiale, qui avait été surnommée à tort « la der des der », a directement coûté la vie à 22 millions de personnes. D’après Spinney, la pandémie « a influencé le déroulement de la Première guerre mondiale » et a « ouvert la voie au système de santé universel. » Est-il possible que la pandémie de 2019-2020 pousse les Etats-Unis à adopter le même système ?

Certaines des réactions actuelles rappellent 1918

Si tel est le cas, ce ne serait pas la seule conséquence de la pandémie actuelle, qui présente de nombreuses similitudes avec les événements passés.

Au cas où, par exemple, vous pensiez que les propos du président Trump au sujet de l’hydroxychloroquine étaient plutôt insolites (après tout, il s’agit d’un traitement prescrit principalement contre la malaria), les patients souffrant de la grippe espagnole en 1918 se voyaient déjà administrer des doses excessives de quinine, un traitement également utilisé contre la malaria, qui ne présentait « aucune preuve d’efficacité contre la grippe », comme l’écrit Spinney, « et qui était pourtant prescrit à très forte dose ».

Il est aujourd’hui généralement admis que le foyer de la maladie se situait au sud-ouest du Kansas, mais l’idée que les étrangers en étaient responsables s’est néanmoins rapidement imposée.

L’Espagne, par exemple, n’était en aucun cas à l’origine de l’épidémie. Mais étant donné que le pays n’était pas engagé dans la Première guerre mondiale, la presse espagnole était libre de couvrir l’épidémie, d’où le nom qui lui a été donné.

Les Américains ont pour leur part largement participé à propager la maladie. En octobre 1918, le taux de mortalité dans la ville de New York était quasiment quatre fois supérieur à la normale. Malgré la hausse du nombre de cas, le président Woodrow Wilson a décidé de prendre la tête de la grande parade annuelle organisée sur la Cinquième avenue en l’honneur de Christophe Colomb.

Spinney écrit que les Italiens étaient les principales victimes de la xénophobie ambiante, étant accusés non seulement de propager la grippe et la polio, mais également d’être les responsables « de la criminalité, de l’alcoolisme, de la diffusion du communisme et autres fléaux sociaux ».

Au même moment, « la tuberculose était désignée comme étant la “maladie juive” ou “la maladie des tailleurs” ». En réalité, le véritable problème était la surpopulation dans les immeubles collectifs.

Les similitudes ne s’arrêtent pas là, comme nous le verrons demain…

La grippe espagnole pourrait avoir indirectement favorisé l’ascension d’Adolf Hitler – mais peu importe, car nous en avons retenu toutes les leçons… non ?

Dans son ouvrage The Great Influenza, déjà mentionné hier, l’historien John Barry évoque la parade militaire organisée à Philadelphie pour promouvoir les emprunts nationaux destinés au financement de la guerre.

D’après un observateur, cette parade aurait déclenché au sein de la population civile de Philadelphie une épidémie « semblable à celle observée dans les bases navales et campements de l’armée ». Trois jours après la parade, l’épidémie avait tué 117 personnes en une seule journée. Barry indique que « ce chiffre allait doubler, puis tripler, quadrupler, quintupler, sextupler ».

L’auteur donne ensuite plus de détails sur l’horreur de la situation :

« Rapidement, le nombre de victimes quotidiennes de la grippe allait dépasser le nombre moyen de morts par semaine lié à l’ensemble des autres causes de mortalité — l’ensemble des maladies, des accidents et des actes criminels combinés. »

Philadelphie est devenue le foyer le plus dangereux, avec un taux de mortalité 7,92 fois plus élevé que la normale au mois d’octobre 1918. A l’échelle mondiale, Barry écrit que la grippe de 1918 a « tué plus de gens en une année que la Peste noire en l’espace d’un siècle durant le Moyen-Age ; elle a tué plus de gens en 24 semaines que le sida en 24 ans. »

Le récit que fait Barry de la pandémie met en avant les luttes pour le pouvoir entre William Henry Welch (membre de la fraternité des Skull and Cross Bones), William Osler, William Crawford Gorgas, les frères Flexner (Simon et Abraham), Victor Vaughn, l’Institut Rockefeller et la Fondation Carnegie.

La grippe, Woodrow Wilson et le traité de Versailles

Lors des négociations des accords de paix qui se sont déroulés à Paris après la Première guerre mondiale, contrairement à ses homologues, Woodrow Wilson est venu négocier en personne, sans aide d’aucune sorte.

Tout le monde dans son entourage aux Etats-Unis était souffrant et le président est soudain tombé malade au cours de la conférence. Des spéculations ont donc immédiatement surgi d’après lesquelles il avait été empoisonné.

Avant de tomber malade, Wilson était prêt à se retirer des négociations. Bien qu’il soit resté à Paris, il a été incapable d’y participer pendant plusieurs jours. Au final, il a insisté pour que les négociations se poursuivent dans sa chambre. D’autres personnalités présentes à Paris, notamment Herbert Hoover, le colonel Starling et le chef du personnel de la Maison Blanche Irwin Hoover ont exprimé des inquiétudes concernant le déclin de l’acuité mentale de Wilson.

L’un des événements les plus étranges fut lorsque Wilson eut la conviction que sa maison était remplie d’espions français. L’après-midi, il avait déjà oublié ce qui s’était passé le matin même. Lloyd George avait décrit Wilson comme étant « dans un état d’épuisement mental et spirituel au beau au milieu de la conférence ».

Wilson, qui avait au départ insisté pour qu’un accord de « paix sans vainqueur » soit conclus, a finalement capitulé face aux Français, aux Anglais et aux Italiens. Le traité signé était sans pitié pour les Allemands et Wilson a déclaré par la suite « si j’avais été allemand, je pense que je ne l’aurai jamais signé ».

Pas plus avancés

La plupart des historiens attribuent les problèmes de santé de Wilson à un accident vasculaire cérébral mineur, mais il semble plus probable qu’il ait en fait contracté la grippe.

Barry écrit que cette conséquence de la santé déclinante de Wilson — la sévérité du traité vis-à-vis de l’Allemagne — « a contribué à donner naissance aux difficultés économiques, aux réactions nationalistes et au chaos politique qui ont favorisé l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler ».

S’il y a une leçon à tirer de l’histoire des grandes pandémies, elle se trouve probablement dans cette prédiction accablante faite en 1920 par Welch :

« Je pense que cette épidémie va probablement disparaître et nous ne serons pas plus avancés en matière de contrôle de cette maladie que nous ne l’étions durant la pandémie de 1889. C’est humiliant, mais c’est la réalité. »

Vaughn s’est fait l’écho de Welch en déclarant :

« Ne me laissez plus jamais affirmer que la médecine est sur le point de vaincre la mort. »

C’était il y a plus d’un siècle, cependant. Depuis tout ce temps, la communauté médicale a bien dû parvenir à comprendre comment maîtriser les pandémies… n’est-ce pas ?

A votre place, je ne parierais pas là-dessus !

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Ex-président du Mises Institute. Il est l’auteur de Early Speculative Bubbles & Increases in the Money Supply, et de Walk Away: The Rise and Fall of the Home-Ownership Myth. Il est diplômé d’un master en économie de l’UNLV, où il a étudié auprès des professeurs Murray Rothbard et Hans-Hermann Hoppe.

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