En route pour la croissance éternelle ou pour l’âge de glace ?

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Par Nicolas Perrin Publié le 25 mai 2018 à 5h00
Etats Unis Economie Recession Croissance
2028Les experts du Congressional Budget Office ne prévoyaient pas, fin avril, de récession avant 2028.

La croissance retrouvée en 2009 pourrait durer encore 10 ans selon le CBO ; mais certains analystes pensent que la prochaine récession est pour bientôt et congèlera l’économie pour des décennies.

Le rapport In Gold We Trust de 2017 montrait que nous vivions une période exceptionnelle sur le plan de l’histoire des cycles économiques. En effet, en juin 2017, la phase d’expansion économique aux Etats-Unis en était à son 96ème mois, ce qui en faisait la troisième la plus longue de l’histoire. En ce mois de mai 2018, l’Amérique en est désormais à son 107ème mois consécutif d’expansion économique, ce qui constitue la deuxième meilleure performance sur les 34 cycles économiques qui se sont déroulés au cours des 164 dernières années, comme le rappelle Deutsche Bank.

L’année passée, les auteurs du rapport In Gold We Trust, Stöferle et Valek, jugeaient au vu des fondamentaux économiques et monétaires qu’il était « improbable » que l’expansion actuelle dure plus longtemps que la phase d’expansion qui a fait suite à la récession du début des années 1990, laquelle a duré 120 mois. Pourtant, les 232 experts du CBO (Congressional Budget Office ou Bureau du budget du Congrès américain, une agence fédérale chargée depuis sa création en 1974 de produire des rapports budgétaires et économiques à l’attention du Congrès) ne prévoyaient au mois d’avril aucune récession avant la fin… 2028 ! Ces messieurs verraient bien l’expansion actuelle durer presque 20 ans (234 mois), soit le double du record en date.

L’économie américaine serait-elle miraculeuse ?

Une illusion de prospérité

Albert Edward est l’un des plus célèbres analystes bear (baissier) de la galaxie financière. Fin mars, il rédigeait une note à l’attention des clients de la Société Générale en vue de leur rappeler que même les meilleures choses ont une fin. Si en surface, la plupart des statistiques économiques américaines sont bonnes (2,9% de croissance au dernier trimestre, indice de confiance des consommateurs et des affaires au plus haut…), « les données économiques semblent faiblir aux Etats-Unis (et en Europe) de manière étonnamment rapide », sans compter que « ces données reflètent simplement l’illusion de la prospérité », note Edwards.

Les choses sont en effet moins reluisantes dès lors que l’on s’intéresse à la situation financière des consommateurs américains. Leur niveau d’endettement tous azimuts (crédit consommation, crédit immobilier, crédit automobile, prêts étudiants…) est beaucoup plus élevé qu’il ne l’était en 2008. Ces crédits étant majoritairement contractés à taux variables, leur remboursement est très sensible aux variations de taux. Inversement, le taux d’épargne des Américains a plongé, retrouvant au mois de janvier 2018 son niveau de 2008.

Albert Edwards note la forte hausse du taux de défaillance sur les cartes de crédits souscrites auprès des petites banques, ce qui est de très mauvais augure.

Comme le relève Robert Hammer (1), un spécialiste de l’industrie des cartes de crédits :

« Le comportement des petites banques est un indicateur éminent de la baisse à venir. A l’approche de la dernière récession, les pertes se sont accélérées pour les petites banques avant que cela ne se produise pour les grosses ».

Or, à 7,9%, le taux de défaillances est à un niveau équivalent à celui du début de la précédente crise financière. Pour Edwards, nous pourrions assister à une récession bien plus tôt que ne l’imaginent les experts du CBO. Comme David Rosenberg, qui parlait de « prospérité Potemkine », Albert Edwards rappelle que « l’illusion de prospérité économique » actuelle repose sur « une montagne de dettes » dont l’accumulation n’a été rendue possible que grâce à une économie sous « stéroïde monétaires ».

« Si vous voulez accuser quelqu’un, accusez la Fed » !

La Fed a « gonflé les valeurs d’actifs à un niveau insoutenable », la correction entamée au mois de février « menaçant cette très vieille croissance économique anémique ». Sur les 13 cycles de hausses des taux de la Fed depuis les années 1950, 10 se sont soldés par une récession.

Sur les marchés actions, « les optimistes ont fait leur temps », conclut Edwards

« Les marchés flairent une odeur de plus en plus nauséabonde en provenance de la dette en décomposition. Le poisson pourrit toujours par la tête », écrit Albert Edwards. L’analyste s’attend à ce que le S&P 500 prenne un sacré coup derrière les oreilles lors de la prochaine récession, pour descendre encore plus bas que lors du dernier krach.

L’indice cotant autour des 2 670 points à l’heure où j’écris ces lignes, cela ferait du -75%. On notera au passage qu’il n’y a pas que la phase de croissance américaine qui enregistre des résultats spectaculaires en termes de durée. C’est également le cas du marché haussier sur le S&P 500.

Lors de la prochaine crise de la dette, les banquiers centraux pourraient bien ne pas être aussi « chanceux » que lors du précédent cycle économique. La Fed avait « tenu les banques commerciales responsables de la dernière crise financière alors que c’était son job de retirer le bol de punch ». Edwards verrait bien la banque centrale être enfin tenue pour responsable lors de la prochaine catastrophe financière… et Donald Trump lui retirer son indépendance ! Après « la bulle du tout », la déflation tous azimuts ? Quelles positions prendre pour faire face à un éventuel « Âge de glace » ?

Cela fait de longues années qu’Albert Edwards anticipe un « effondrement déflationniste mondial » qui « bouleversera le monde financier tel que nous le connaissons, détruira la richesse, les emplois et à peu près tout le reste » (comme le résume Barron’s), laissant le monde dans un « Âge de glace » (« Ice Age« ) dont il mettra bien longtemps à se relever. Le rendement des obligations US à 10 ans passerait de 3% à -1% car Albert Edwards considère que les taux longs n’ont pas cassé leur tendance baissière, et prévoit même des taux négatifs.

En même temps, il prévoit que l’or dépassera son précédent plus haut à 1 900 $ et que les minières se comporteront bien. Selon Edwards, il faudrait « se réfugier dans les obligations américaines pendant six, 12, ou 18 mois. Puis, si les actions deviennent assez bon marché, alors ce sera la vraie opportunité d’achat. Mais il faudra avoir des liquidités pour profiter de ces opportunités ». Si les prévisions du CBO ne se réalisent pas, vous voilà désormais équipé pour faire face au scénario alternatif de l’un des plus célèbres des perma-bears !

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Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence « Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir », il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Son Twitter : @Nikookaburra.

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