Les fausses causalités, l’ennemi de l’investisseur et du citoyen

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Par Etienne Henri Modifié le 3 septembre 2020 à 7h38
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Attention aux schémas récurrents et aux conclusions qu’ils inspirent : ils sont parfois plus porteurs d’erreurs que d’informations utiles – et cela peut coûter cher, en matière d’investissements.

Deux hommes sont installés dans un compartiment de train durant l’entre-deux-guerres. Le premier se lève frénétiquement toutes les cinq minutes pour agiter son mouchoir à la fenêtre. Après deux heures de ce manège, le second lui demande, excédé :

« Monsieur, puis-je vous demander pourquoi vous agitez votre mouchoir ainsi ?

– J’éloigne les girafes des rails pour éviter un accident.

– Mais enfin, Monsieur, vous voyez bien qu’il n’y a aucune girafe dans les parages…

– Eh bien ! C’est la preuve que cela fonctionne ! »

Cette fable nous permet d’évoquer, un sourire aux lèvres, une manipulation dont les citoyens et investisseurs sont souvent victimes : les fausses causalités.

Derrière son côté délicieusement suranné, elle illustre parfaitement la propension qu’ont les hommes à voir à la place de simples corrélations des causalités, à les prendre pour argent comptant, et à finir par organiser leur vie autour d’efforts totalement vains.

Dans les périodes fastes, les fausses causalités sont monnaie courante mais leurs conséquences restent limitées. En période de crise comme celle que nous traversons, nous devons redoubler de vigilance. A l’heure des « guerres contre » et autres « à tout prix », il est plus urgent que jamais de nous demander pourquoi nous prenons des mesures drastiques, et si ces dernières auront vraiment l’effet escompté.

Le match éternel entre corrélation et causalité

Notre cerveau est câblé pour tenter de détecter des schémas récurrents dans les événements de la vie de tous les jours.

Le propre de l’homme est d’observer les choses se dérouler, imaginer des causes sous-jacentes et établir un modèle qui lui permettra, dans l’idéal, de prédire l’avenir.

C’est en observant et en spéculant que nous avons compris, au fil du temps, que les saisons se reproduisent à l’identique, que les astres célestes obéissent à des règles prévisibles et que se laver les mains permet d’éviter la transmission des germes.

Nous avons une incroyable capacité à donner un sens à une succession d’événements. Nous sommes en revanche bien incapables de distinguer intuitivement les causes des conséquences.

Certains exemples sont triviaux. Si nous portons volontiers des maillots de bain en été et prenons un parapluie en hiver, nous savons bien que cette corrélation pourtant parfaite n’est en aucun cas une causalité. Enfiler un maillot de bain en hiver ne fera pas briller le soleil, et sortir un parapluie ne fera pas tomber la pluie au plein cœur de l’été.

Dans d’autres cas, séparer la corrélation de la causalité s’avère plus délicat. Plus d’un Français sur deux (58% pour être exact) meurt dans un établissement de santé. Il y a donc une très bonne corrélation entre le fait d’être hospitalisé et la probabilité de mourir. Ce n’est pourtant pas l’hôpital qui tue les patients mais la maladie sous-jacente.

Blâmer les structures de soin pour la mort de la moitié de la population n’aurait aucun sens… pourtant, lorsqu’il s’agit du nouveau coronavirus, du débat sur les dangers des vaccins, des produits phytosanitaires et de la pollution, nous abandonnons allègrement toute prudence et considérons à tort que toute corrélation mesurable implique une relation de cause à effet.

Les citoyens sont d’autant plus facilement victimes de ces manipulations que le discours politico-médiatique se complait allègrement dans la confusion. De nombreux journalistes, par manque de culture scientifique, ne savent tout simplement comment distinguer une corrélation d’une causalité.

Les hommes politiques, de leur côté, jouent bien volontiers sur la méconnaissance du sujet dans la population générale pour créer des raccourcis qui donnent des cheveux blancs aux statisticiens qui les écoutent – tout en étant très convaincants dans l’oreille d’un public peu averti…

Pourquoi les investisseurs ne font pas mieux

Même le secteur de l’investissement et de l’économie, où la rigueur et l’analyse cartésienne des événements devraient en théorie dominer, ne fait pas exception.

Les investisseurs et analystes ne sont pas immunisés contre ce travers qui consiste à voir des causalités à tout bout de champ. Le monde du trading en est le parfait exemple. Nombre d’experts développent des « systèmes » qui intègrent allègrement analyse graphique, indicateurs plus ou moins complexes et autres statistiques macro-économiques pour tenter de prédire l’évolution des marchés.

Peu importe que l’écrasante majorité de ces méthodes de trading ne soient, sur le long terme, pas plus performantes qu’une stratégie de buy and hold ou de sélection aléatoire des points d’entrée et de sortie. La tentation d’expliquer un phénomène aléatoire (le mouvement du prix des actions) par un modèle est trop tentante, et donne aux traders l’impression de faire des choix éclairés et rationnels.

Ils ne sont pas seuls à mettre un vernis de rationalité sur leurs décisions. Les analystes qui se concentrent sur la valeur fondamentale des actifs ont le même travers.

Combien de fois avez-vous lu, après une séance boursière houleuse, une explication qui implique un événement politico-économique avant de lire, le lendemain que la même cause est censée avoir provoqué un effet inverse ?

Nous avons, ces derniers mois, entendu à l’envi ces confusions entre causalités et corrélations au sujet des taux directeurs des banques centrales, des indices manufacturiers, des chiffres du chômage et plus récemment des statistiques épidémiologiques du Covid-19.

Lorsqu’une même cause (par exemple, une baisse des taux d’intérêts d’une banque centrale) est utilisée pour justifier deux conséquences opposées (une hausse ou une baisse des marchés), vous pouvez être certain d’une seule chose : il n’y a pas de relation de cause à effet entre les deux événements.

Si vous êtes anglophone, je vous conseille un passage par le site Internet Spurious Correlations, qui est une véritable mine d’or d’associations d’événements qui, quoique parfaitement corrélés, n’ont aucun rapport dans le monde réel.


Il existe une excellente corrélation entre les morts par noyade aux USA (en rouge) et le nombre de films dans lesquels joue Nicholas Cage (en noir)… mais évidemment aucune causalité.
Infographie : Spurious Correlations

Nous avons été, durant la trêve estivale, abreuvés de fausses causalités dans le discours médiatique.

Entre les plans d’urgence censés sauver nos économies, les mesures sanitaires anti-coronavirus contradictoires dans l’espace et dans le temps, et les bonnes résolutions écologiques, les sujets propices aux raccourcis et aux corrélations fallacieuses n’ont pas manqué.

Gardez ce biais humain à l’esprit la prochaine fois que vous entendrez une figure d’autorité impliquer que, comme A et B évoluent de pair, il faut prendre des mesures drastiques pour changer A en espérant modifier B.

En l’absence de causalité rigoureusement démontrée, ces mesures seront aussi utiles qu’agiter un mouchoir à la fenêtre du train pour éloigner les girafes – que l’on parle de santé publique, d’économie, ou de finances publiques.

Pour plus d'informations et de conseils de ce genre, c'est ici et c'est gratuit

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Etienne Henri est titulaire d’un diplôme d’Ingénieur des Mines. Il débute sa carrière dans la recherche et développement pour l’industrie pétrolière, puis l’électronique grand public. Aujourd’hui dirigeant d’entreprise dans le secteur high-tech, il analyse de l’intérieur les opportunités d’investissement offertes par les entreprises innovantes et les grandes tendances du marché des nouvelles technologies.

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