La lente maturation de la finance verte

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Par Rodolphe Buis Modifié le 29 novembre 2022 à 9h24
Obligation Verte Afd Tresor Emprunt Etat
13 %La France compte 13 % des volumes des "green bonds".

Régulièrement discuté lors des différents sommets climatiques internationaux, le rôle des institutions financières dans la lutte contre les dommages environnementaux s’affirme de plus en plus au travers de la « finance verte ». Si transition énergétique et croissance soutenable font l’objet d’une appropriation grandissante de la part du secteur financier, les efforts en la matière demeurent disparates et insuffisants.

Vous avez dit « finance verte » ?

L’étiquette finance verte recouvre pêle-mêle l’ensemble des opérations financières visant à favoriser la transition énergétique et la lutte contre les dommages environnementaux. Deux approches de la finance verte coexistent : la première, centrée sur la finalité, renvoie au financement des projets visant à la réduction de l’empreinte écologique humaine ; la seconde, centrée sur les moyens, consiste pour l’investisseur à refuser de financer des projets à impact environnemental négatif (pratique dite de screening).

Les green bonds (obligations vertes) constituent l’outil principal de la finance verte. Il s’agit d’emprunts obligataires émis sur les marchés financiers par une entreprise ou une entité publique, lui permettant de financer des projets contribuant à la transition écologique. Ces obligations existent depuis plus de dix ans, mais ne se sont appréciés que récemment.

La finance verte en quelques chiffres

Avec plus de 17 milliards d'euros de green bonds émis en 2017, la France compte 13 % des volumes obligataires, et se classe en troisième position juste derrière les Etats-Unis et la Chine. Un chiffre qui doit beaucoup à l'émission en 2017 par l'État français d'une obligation verte de 7 milliards d'euros et à l’activité de grandes banques françaises proactives en la matière : BNP Paribas, le Crédit Agricole et la Société Générale figurent ainsi parmi les 10 banques européennes les plus actives en termes d’émission de green bonds.

Une effervescence qu’il convient toutefois de mettre en perspective. Les obligations vertes labélisées ne représentent que 0,2% du total des obligations émises. En comptant les obligations non labélisées, les demandes de labels refusés ou des produits non étudiés, cette part s’élève à 0,8%. Anecdotique face aux enjeux climatiques mais surtout décorrélé du poids réel que représente des projets de développement durable dans l’économie.

S’il faut se féliciter de l’appétence croissante du secteur financier pour les green bonds et les projets de développement durable, ce tropisme s’explique largement par deux facteurs exogènes.

• Les progrès technologiques, au premier rang desquels on peut citer l’accroissement de l’efficacité des solutions des énergies renouvelables ;

• La taille et la rentabilité croissantes des projets financés, corollaire à la maturité technologique des greentech.

Ces deux éléments impliquent la diminution des risques de financement et du délai de retour sur investissement, contribuant à rassurer les investisseurs et à drainer les capitaux vers les segments matures. En contrepartie, la maturation d’un pan de l’économie verte nourrit un effet d’éviction financière frappant les projets hors du scope, trop petits ou perçus comme trop risqués. Ces derniers tendent à passer sous le radar d’investisseurs désormais focalisés sur les projets de grande ampleur.

Les banques peuvent-elles financer la croissance verte ?

Le positionnement tardif et frileux des banques vis-à-vis de la finance verte est caractéristique des difficultés structurelles qu’elles éprouvent à financer des business models basés sur l’innovation. Ces derniers, souvent portés par des structures de type start-up, sont boudés par des investisseurs institutionnels peu outillés pour estimer le potentiel des solutions et peu enclins à se positionner en assumant le risque important associé à une activité nouvelle.

Nicolas Colin, infatigable ambassadeur de la Frenchtech, décrit fort bien ce phénomène  :

« [Le métier des banque] est de financer des entreprises à l'activité stable et bien comprise, pas des start-up à la frontière de l'innovation (qui croissent parfois pendant des années sans découvrir leur modèle d'affaires). Les marchés d'actions et d'obligations ne valent guère mieux. Ils ne savent financer ni les start-up en phase d'amorçage, ni les grandes entreprises numériques dont la survie exige de prendre des risques en permanence. Comme l'a démontré Clayton Christensen, professeur à l'université Harvard, en privilégiant la liquidité des placements et des indicateurs financiers obsolètes, les marchés financiers traditionnels imposent aux entreprises une pression court-termiste et empêchent les efforts d'innovation de rupture. »

Investir dans l’innovation verte de proximité

Crispées sur leurs process et leurs indicateurs de performance, trop éloignées du terrain et demandant trop de garanties, les banques peinent à inventer un modèle de financement de l’innovation. Les greentech ne font malheureusement pas exception. Les acteurs bancaires les mieux adaptés sont peut-être ceux fonctionnant en réseau et disposant d’un fort ancrage territorial leur permettant de capter les pépites, et d’accompagner leurs produits vers le marché. Très entreprenante en la matière, Arkéa, groupe bancaire dirigé par Jean-Pierre Denis, en constitue un bon exemple.

Le réseau bancaire accompagne ainsi plusieurs entreprises alliant innovation et proximité. C’est le cas de Cozynergie, qui propose diverses solutions de rénovation énergétique pour les particuliers. Cette start-up dispose en particulier d’une offre destinée aux ménages modestes, contribuant à la lutte contre la précarité énergétique. C’est également le cas d’Osmia, qui lutte contre la mortalité massive des abeilles et propose un service de pollinisation. Cette offre permet d’augmenter les rendements agricoles sans recours aux intrants ni aux pesticides. Dernier exemple, Algo Paint, une entreprise bretonne qui a développé une peinture biosourcée à base d’algues n’émettant pas de polluants.

Le financement de ce type de start-up requiert une chaîne décisionnelle courte, impliquant une réactivité des décisions d’investissement et une proximité avec les usagers finaux. Ces caractéristiques permettent à Arkéa de financer des acteurs s’inscrivant dans un ancrage local et dotés d’un fort potentiel de développement.

Faute d’appropriation du segment par les acteurs bancaires, les fintech tentent de polariser le financement des investissements responsables ou durables par le développement plateformes de crowdfunding, telle que Lita.co ou MiiMosa. Une bien lourde mission pour de bien jeunes acteurs.

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Actuellement Associate Consultant en Stratégie pour EY-Parthenon, Rodolphe Buis enseigne par ailleurs à NEOMA Business School et intervient à l'Ecole de Guerre Economique sur des problématiques de management et de développement personnel.

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