Filer à l’anglaise !

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Par Hervé Goulletquer Modifié le 9 avril 2019 à 11h54
Brexit Industrie Automobile Alarme 1

Les discussions reprennent entre le RU et l’UE sur le Brexit. L’option la plus raisonnable est une sortie rapide avec maintien dans l’union douanière. On ne sait pas si cela sera possible. Dans le même temps, on reparle aux Etats-Unis de taxer les importations européennes.

On va se ré-intéresser dès aujourd’hui à la question du Brexit. La Première ministre britannique visite Berlin et Paris pour tenter de convaincre la Chancelière Merkel et le Président Macron de laisser un peu plus de temps aux discussions à Londres d’abord et entre Londres et Bruxelles ensuite. Et c’est demain à 18h00 que Theresa May retrouvera l’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement des 27, avec, à l’ordre du jour d’un Conseil exceptionnel, la date et les conditions de la sortie du Royaume-Uni de l’UE. L’enjeu est de s’entendre à trois (le gouvernement et le Parlement, côté britannique et le Conseil, côté européen) sur le calendrier de la sortie et le type de relations demain entre l’Île et le Continent. La temporalité devant être la suivante : position commune trouvée à Londres d’abord et accord avec Bruxelles ensuite.Intéressons-nous aux implications sur la vie politique britannique des différentes options possibles. Simplement parce que la perspective ainsi dessinée influence les décisions à prendre aujourd’hui.

Brexit : trois options pour une solution ?

Option 1 Imaginons que Theresa May arrivent à Bruxelles sans avoir au préalable réussi à dégager une position commune avec le Parlement. Soit, elle n’a pas trouvé un terrain d’entente avec Jeremy Corbin, le dirigeant travailliste, et les parlementaires n’ont pas réussi à « reprendre la main »; soit la chambre des communes n’a pas voté le texte proposé par les deux leaders. Les Européens sont « échaudés » par tant de tergiversations stériles et leur unité est remise en cause. Tel ou tel pays refuse de revenir sur la position, consistant à n’accorder un délai au-delà du 12 avril que si une des deux conditions définies est remplie : un texte a été voté à Westminster et il faut alors un peu de temps pour finaliser le processus d’accord de part et d’autre, ou bien les Britanniques s’engagent dans une voie nouvelle qui nécessite davantage de temps pour aboutir à une conclusion (sans doute élection ou référendum) et acceptent alors de participer à l’élection au Parlement européen de fin mai. Puisque les décisions prises en la matière au sein du Conseil européen le sont à l’unanimité, alors le RU de quitter l’Union sans crier gare à la fin de la semaine. Avec quelles conséquences en politique intérieure britannique ? Les hard brexiters triomphent et sans doute Theresa May quitte-t-elle ses fonctions. Le centre de gravité du Parti conservateur se positionne encore plus qu’hier très à droite, avec un discours centré sur le peuple contre les élites cosmopolites. Le Parti travailliste vire encore plus à gauche, revendiquant d’être le représentant des exploités en lutte contre les exploiteurs sans frontières. Populisme et nationalisme font bon ménage dans chaque camp. Combien de temps faudra-t-il pour qu’une vision politique plus centriste, en faveur de l’Europe et attentive aux besoins de l’économie trouve un relai électoral ?

Option 2 May et Corbin s’entendent sur une sortie du RU de l’UE qui garantit une relation économique assez étroite entre les deux (un soft Brexit, avec le maintien dans l’union douanière comme élément central), le Parlement britannique vote le texte proposé et la sortie des britanniques de l’Union respecte peu ou prou le calendrier proposé par le Conseil européen. Les partis conservateur et travailliste sortent divisés de ce long processus de « désarrimage ». Au point de connaître des scissions, qui participeraient à terme de la création d’un parti du centre ? C’est possible, surtout du côté conservateur ; même si la voie médiane trouvée peut favoriser dans chaque camp le travail de couture des déchirures passées. Qui deviendra alors le leader du Parti conservateur, si une Theresa May, qui n’a pas su défendre ses « lignes rouges » (préserver l’unité de son parti et refuser de maintenir le pays au sein d’une union douanière avec l’Europe), quitte ses fonctions ? De nouvelles élections générales seront-elles alors en vue ? Pour quel résultat ?

Option 3 Le Royaume-Uni se voit « octroyer » par Bruxelles un délai supplémentaire pour trouver une réponse à la question que le pays s’est posé à lui-même : comment quitter l’UE ? Dans ce scénario, il n’échappe pas à une élection à brève échéance. Le scrutin pour élire les eurodéputés aura lieu fin-mai. Qu’en sortira-t-il ? Rappelons qu’en 2014 le UKIP (The UK Independence Party) avait devancé les Travaillistes et les Conservateurs (respectivement 26,6%, 24,4% et 23,1% des voix). En cas de rejet des deux « grands » partis, au titre de leurs difficultés à trouver les voies et moyens de faire sortir de la meilleure façon le RU de l’UE, qui en bénéficiera ? Le UKIP, les centristes du Lib-Dem ou les Verts ? C’est difficile à dire ; mais l’hypothèse que le premier arrive à « tirer les marrons du feu » ne peut pas du tout être exclue. Avec alors le risque que des élections générales soient organisées dans le sillage du scrutin européen. Une fois encore pour quel résultat ?

La carte des équilibres politiques inquiétante

On le ressent ; la carte des équilibres politiques au Royaume-Uni qu’on peut dessiner est un peu inquiétante. Elle fait la part belle à la montée des positionnements « extrêmes » et à l’instabilité. La transformation est sans doute plus contenue dans l’option 2 (un accord sur un soft Brexit est trouvé dans les prochains jours) que dans les deux autres. A ce titre, cela devrait être l’hypothèse privilégiée de tous ceux pour qui emprunter le chemin « tortueux » de l’aventurisme politique n’est pas souhaitable.

Dans tous les cas, deux choses m’apparaissent. D’abord, je ne crois pas bien à l’enclenchement de l’option 1. Simplement parce que l’Irlande n’en veut pas et que je ne vois pas un de ses partenaires de l’UE la mettre dans une situation politique et économique impossible. Ensuite, je n’accorderais pas un grand crédit aux messages envoyés par les sondages. Si des élections doivent avoir lieu, elles se tiendront dans la précipitation, voire dans un climat de dramatisation. L’image envoyée à l’heure actuelle pourrait être profondément bouleversée. Le point principal à suivre de près est probablement la montée du UKIP dans les intentions de vote pour une éventuelle élection européenne. A ce titre, expérimenter l’option 3 n’est sans doute pas une chose à faire. Décidemment, l’option 2 est à privilégier !

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Un dernier point avant de se séparer : la Maison Blanche ressort l’affaire des subventions de Bruxelles à Airbus. En s’appuyant sur l’article 301 de la loi de 1974 sur le commerce extérieur (sanctions prises en réponse aux obstacles aux échanges imposés par d’autres pays), les Etats-Unis se proposent de surtaxer des marchandises européennes. Les importations concernées vont des hélicoptères au fromage et au vin, en passant par les vêtements de ski et les motocyclettes, et « pèsent » 11 milliards d’USD (à-peu-près 2% du total). Ils attendent toutefois que l’OMC (l’organisation mondiale du commerce) statue sur ce dossier vieux de 15 ans ; sans doute à l’été prochain. Sans doute s’agit-il d’une façon de préparer les discussions commerciales avec l’Europe, qui doivent débuter bientôt, en situation de force. Mais en n’oubliant pas que l’UE a aussi un dossier, de même nature et concernant Boeing, déposé auprès de l’OMC.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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