Impôts : en quoi le prélèvement à la source est-il une simplification ?

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Par Janin Audas Publié le 19 avril 2016 à 5h00
Impots Prelevement Source Gouvernement Mesure
2018Le prélèvement à la source sera effectif au 1er janvier 2018.

Messieurs Michel Sapin et Christian Eckert ont annoncé que le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu serait mis en place en 2018 (après les présidentielles !!!). Cependant ils ne paraissent pas franchement au diapason sur le système proposé et la simplicité annoncée montre bien qu’ils n’ont jamais dû rédiger un bulletin de salaire. On peut même s’interroger pour savoir s’ils ont déjà rempli une déclaration d’impôt sur le revenu de plus de 4 lignes ?

La réalité fiscale est plus complexe qu’ils ne le pensent. Les sources de revenus sont nombreuses et un prélèvement sur les salaires ou sur les pensions n’a pas beaucoup de sens pour ceux ou celles qui perçoivent d’autres catégories de revenus : revenus fonciers (loyers), revenus mobiliers (dividendes, intérêts de placements), revenus professionnels de travailleurs indépendants ou revenus divers (droits d’auteur, jetons de présence…), plus-values taxables ou charges à déduire. Ces contribuables risquent de se voir retenir un pourcentage très important sur leurs revenus salariaux puisque Monsieur Sapin estime qu’il suffit d’appliquer un pourcentage sur le salaire (ou la pension).

Exemple d’un prélèvement à la source

Un salarié perçoit 3.000 € net par mois et son épouse 1.500 € soit un revenu annuel de 54.000 €. Ils perçoivent en outre des loyers de 25.000 € et des revenus mobiliers de 32.000 €. Ils ont donc un revenu total de 111.000 €. De ces revenus, ils déduisent des charges de 5.000 €, ce qui donne un revenu imposable de 106.000 €. Aucun de ces revenus n’a un caractère exceptionnel. Ayant 2 parts, ils vont payer environ 20.000 € d’impôt sur le revenu. Le pourcentage de retenue à faire sur leurs salaires serait donc de (20.000 / 54.000) de 37 %. Le salaire net après retenue à la source de Monsieur serait donc de 3.000 – (3.000 x 37 %) = 1.890 € par mois et le salaire de Madame serait ainsi ramené à 945 € par mois. Cela va leur faire tout drôle et ils percevront moins que d’autres salariés ayant un salaire moindre. La gestion des RH dans l’entreprise ne va pas être facile.?

Cet exemple laisse entrevoir les difficultés auxquelles les entreprises vont être confrontées. On aura remarqué dans cet exemple que, dans un couple, le petit salaire sera très fortement pénalisé ; alors que, dans la vraie vie, les couples s’organisent pour répartir entre eux les charges du ménage. Si l’on pousse un peu plus le raisonnement, un très petit salaire pourrait devenir négatif ! On nous annonce que deux pourcentages seront alors calculés ! Comment et qui décidera ?

Des situations ubuesques, nous allons en rencontrer en grand nombre : salariés multi employeurs, salariés intermittents, alternants emploi et chômage, enchainement de contrats courts, congés maladie…

Les mauvais arguments de la réforme

On nous explique que payer ses impôts plus rapidement est un avantage pour les contribuables ! Cet argument est plutôt spécieux et l’on prend les Français, au mieux pour des ignorants, au pire pour des imbéciles. En quoi, payer ses impôts plus rapidement est-il un avantage ?

Ceci dit, on peut toutefois admettre que l’on puisse faire payer l’impôt sur le revenu l’année même où l’on perçoit ces revenus. Ceci est une décision politique mais cela peut se faire sans avoir besoin de mettre en place une retenue à la source par l’employeur.

L’autre argument utilisé : « il n’y a plus que la France qui ne pratique pas le prélèvement à la source ». Cela n’apparait pas être un argument en soi, car, à l’heure d’internet, on pouvait rendre obligatoire un prélèvement mensuel sur le compte bancaire désigné par le contribuable ; prélèvement que celui-ci aurait la possibilité de moduler en cas de variation significative de ses revenus en cours d’année. Peut-être que cette solution était trop simple pour les concepteurs de cette réforme ?

Le prélèvement à la source n’évitera pas :

aux contribuables d’avoir à faire leur déclaration de revenus chaque année, de vérifier l’exhaustivité des prélèvements déduits par l’administration et d’avoir à payer le solde de l’impôt ou à récupérer le trop-perçu ;

et aux services fiscaux de pré-déclarer les revenus, de notifier le ou les taux de prélèvement, de calculer le montant de l’impôt dû, d’encaisser les multiples prélèvements pour un même contribuable, d’envoyer le solde à payer après imputation des acomptes et de vérifier les déclarations.

Avez-vous observé une simplification dans ce système ?

Quelques questions subsidiaires

Comment la charge de l’impôt sera-t-elle répartie au sein d’une famille ?

L’employeur devra-t-il verser l’impôt prélevé à chaque centre des impôts de ses salariés ou créera-t-on d’un organisme collecteur centralisé (un machin supplémentaire) ?

Qui gérera les changements de domicile des salariés ?

Et les mariages, les divorces, les personnes rattachées… Comment gérer la confidentialité des informations personnelles des salariés, notamment en cas d’externalisation du service de la paie chez les experts-comptables ou dans les sociétés de services informatiques ?

Qui sera responsable quand l’employeur n’aura pas reversé l’impôt précompté ?

Et en cas de dépôt de bilan ?

Dans ces situations, comment le contribuable justifiera-t-il des retenues et devra-t-il payer deux fois ?

Les organismes de retraite seront-ils chargés d’opérer le prélèvement à la source ?

Et les établissements financiers, etc… Les locataires devront-ils retenir et payer l’impôt foncier de leur propriétaire ?

Enfin, qui paiera le coût supplémentaire de cette nouvelle obligation ? Les employeurs bien entendu !

Bonjour la simplification ! Enfin dans une démocratie, il convient que les contribuables aient pleinement conscience du poids de leur contribution aux finances publiques et rappelons-nous du principe des grands argentiers érigé par Colbert lorsqu’il déclara que « l’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus de plumes possible avec le moins de cris possible ».

Après la TVA et la multitude de taxes parafiscales (TIPP…), la retenue à la source sera un nouveau moyen de rendre l’impôt sur le revenu indolore, ce qui permettra de l’augmenter sans faire crier le contribuable.

Tous les employeurs doivent donc refuser cette réforme qui est complexe, inutile et coûteuse et ce n’est pas en demandant son report d’une année que l’on va la rendre plus facile. En outre, on sous-entend, juste avant les élections, qu’une année blanche pourrait être instituée ! Il est vrai que l’endettement de la France autorise une perte de recettes fiscales ! A l’ombre du sapin, les électeurs croient-ils encore au Père-Noël ?

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Commissaire aux comptes, conseil en management d'entrepriseExpert-comptable honoraireVice-président du Mouvement ETHICPrésident fondateur du cabinet 01 AUDIT ASSISTANCE

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