Une erreur majeure : la retenue à la source de l’impôt sur le revenu

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Par Jacques Bichot Modifié le 8 juin 2016 à 9h28
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50%En France, moins de 50 % des foyers sont imposables.

Le coup est parti. Bercy a transmis au Conseil d’État une trentaine de pages détaillant le projet de transformation de l’impôt sur le revenu (IR), qui pourrait faire l’objet dès 2018 d’un prélèvement par retenue à la source sur la plupart des revenus (notamment les salaires et les pensions).

Dans une interview au Figaro, le secrétaire d’état au budget, Christian Eckert, voit dans ce changement « un avantage majeur : votre impôt s’adapte immédiatement aux changements de situations, par exemple si vos revenus baissent ou si votre situation familiale évolue ».

Il s’agirait au contraire, si l’on y regarde de près, d’une erreur monumentale. Car, compte tenu de notre capacité de réforme limitée, cette réforme dont nous n’avons aucun véritable besoin va empêcher d’en réaliser de plus utiles, et en sus elle présente de graves défauts.

Une réforme qui en empêche d’autres, indispensables

Même si la réforme de l’IR était bonne en soi, il faudrait en comparer l’utilité à celle de diverses autres réformes, car la France ne peut pas se permettre de tout changer à la fois. Or l’IR est un mécanisme bien rôdé, qui fonctionne correctement. En revanche, des chantiers d’importance névralgique requièrent toute la capacité d’action des pouvoirs publics. Quelques exemples, formant une liste qui est loin d’être exhaustive :
- Notre système de traitement de l’immigration apporte quotidiennement la preuve de ses insuffisances. Par exemple, il faut deux ans pour accepter ou refuser une demande d’asile, et l’immense majorité des personnes refusées restent sur le territoire, ce qui fait de cette procédure une farce tragique. Quant aux dispositifs d’intégration, ils sont plus discrets que la violette !
- Notre institution judiciaire et pénitentiaire est dramatiquement inadaptée (lenteurs de la justice, tribunaux incapables de payer en temps voulus leurs fournisseurs, leurs interprètes et leurs experts, services d’application des peines débordés et mal organisés, justice prud’homale à revoir de fond en comble pour qu’elle cesse d’être un obstacle à l’amélioration de l’emploi, etc.).
- Nos écoles, collèges et lycées sont en déshérence, il faudrait pour cesser de sacrifier la formation de notre jeunesse des réformes de fond, telles que le passage au chèque éducation, donnant aux établissements liberté, responsabilité, et stimulation par la compétition. Sans compter un recrutement des enseignants et du personnel administratif sous statut salarial ordinaire.
- Notre droit du travail exige des réformes dont le projet de loi El Khomri ne donne qu’une pâle idée. Les événements de ces dernières semaines montrent si besoin était que le rôle des syndicats, notamment, est à revoir, et que la France ne peut pas s’accommoder plus longtemps d’un régime d’impunité pour les responsables de sabotages et autres actions illégales destinées à paralyser le pays.
- Notre protection sociale financée par l’impôt et des cotisations sociales assimilées à des impôts interdit le retour à l’équilibre des finances publiques, en raison du ras-le-bol des Français pour la fiscalité. Il faudrait donc modifier en profondeur le mode de financement de nos assurances sociales, dans un sens faisant comprendre clairement aux assurés sociaux que s’offrir une couverture maladie est une dépense comme leur loyer ou leur facture d’électricité, et non un « prélèvement obligatoire sans contrepartie ».
- Dans ce domaine, notre système de retraites par répartition, fondé sur un droit social totalement en porte-à-faux par rapport à la réalité, exige une réforme dont le chantier, comprenant la fusion des 3 douzaines de régimes actuels et la conversion en points des droits acquis dans les régimes par annuités, sera quasiment pharaonique.
- Toujours dans ce domaine, point faible de notre pays, la mise en place de la « fiche de paie vérité », c’est-à-dire de l’absorption des cotisations patronales par les cotisations salariales (sans changement ni du salaire net, ni du coût total pour l’employeur, est un chantier plus facile à manager, mais néanmoins conséquent, et d’importance stratégique pour faire comprendre aux ménages que ce sont eux qui paient leur protection sociale.

Un changement lourd de conséquences négatives

Bref, il y a mieux à faire que cette réforme d’utilité douteuse, d’autant plus qu’elle comporte de très sérieux inconvénients, dont nous signalerons trois :
- L’impôt prélevé à la source augmentera l’incompréhension des Français vis-à-vis de leurs revenus. Les salarié ont déjà le sentiment que leur rémunération se limite à leur salaire net ; ils ne verront plus désormais que leur salaire net non seulement de cotisations sociales, mais aussi d’IR. Leur perception de la réalité économique régressera encore d’un cran.
- La réforme sera très difficilement réversible, voire même irréversible, puisque les revenus 2017 ne seront pas imposés à l’IR. Cette année de recette fiscale sera définitivement perdue. L’État français est-il assez riche pour se permettre un cadeau fiscal d’environ 60 milliards d’euros ? Et ne croyons pas que ce cadeau sera repoussé jusqu’à la fin des temps ! En fait, il sera distribué année après année pendant plusieurs décennies, sous forme d’une forte diminution de l’impôt sur les revenus des personnes décédées dans l’année. Un retraité décédant le 30 juin 2020 paiera en effet des impôts sur 6 mensualités de pension, alors qu’actuellement lui et sa succession en payent sur 18. Ironiquement, c’est une majorité socialiste qui tient à faire ce cadeau aux (riches) héritiers !
- Troisième défaut important, la réforme amoindrira encore le sens de la prévoyance. Actuellement, un ménage raisonnable provisionne ses impôts : s’il gagne plus une année, il met de côté davantage d’argent pour faire face l’année suivante à un IR plus important. Ce motif d’épargne va disparaître, sans que les besoins d’emprunt du Trésor public faiblissent pour autant. Cela signifie que la France devra emprunter davantage encore à l’étranger.

Et surtout, nous avons affaire à une volonté très claire de faire du Français un être dénué du sens de l’anticipation et des responsabilités. La prédiction d’Alexis de Tocqueville se réalisera encore un peu plus : « Un pouvoir immense et tutélaire (…) prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie (…) ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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