Le partage de la valeur ajoutée en France : vers un renforcement des inégalités ?

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Par BSI-Economics Publié le 1 mars 2016 à 5h00
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75 %Sur les dix ans passés, 75 % des investissements ont été réalisés via l'autofinancement.

Le partage de la richesse créée par les entreprises est un débat récurrent depuis l'avènement du capitalisme : alors que les salariés réclament davantage de revenus, les dirigeants d'entreprises prônent l'importance de dégager des fonds pour soutenir leur capacité de fonctionnement.

Cependant, la richesse créée par les entreprises ne se répartit pas uniquement entre salaire et fonctionnement des entreprises, mais intègre également le remboursement des emprunts, le versement des dividendes, et les impôts et taxes à destination de l'État et des collectivités territoriales. Ces dernières années, le débat s'est cristallisé sur l'importance que prenaient les dividendes dans la répartition de la richesse des entreprises.

L'importance des débats sur le partage de la valeur ajoutée nécessite d'étudier ses évolutions. Ainsi, comment a évolué la part des différentes composantes de la répartition de la richesse produite par les entreprises ? La part de la rémunération des salariés est-elle restée stable ? Qu'en est-il pour les dividendes ? Parallèlement à la question de savoir comment se répartit la richesse produite par les entreprises, il convient de s'interroger sur l'effet de cette répartition sur la formation des inégalités.

Après avoir diminué, la part des salaires retrouve le même niveau qu'en 1998

L'enquête FIBEN de la Banque de France permet d'étudier la répartition du revenu global des entreprises sur la période 1998-2013[2] . D'après ces données, la part des charges de personnel et de participation dans le revenu global est au même niveau en 1998 et en 2013, soit 59,3 % (graphique 1). Cependant, entre ces deux dates, la part de la rémunération des salariés a d'abord diminué (1998-2008) avant d'augmenter en fin de période. Avec 53,4 %, elle atteint son plus faible niveau en 2008.

Les inégalités salariales ont diminué en quinze ans

L'évolution de la part de la rémunération des salariés dans le revenu global des entreprises s'est accompagnée d'une modification dans sa redistribution. Entre 1995 et 2010, le salaire moyen du premier décile a augmenté plus rapidement que celui des déciles supérieurs : en quinze années, le salaire des 10 % les moins bien lotis a progressé de 42 % contre 35 % pour le 9e décile et 32 % pour le 99e centile. On assiste donc à un rattrapage des bas salaires vers les hauts salaires se traduisant par une diminution de l'écart entre les moins bien lotis et les mieux lotis : l'écart de salaire moyen entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres est passé de 3,12 à 2,97 sur la période étudiée.

La part des dividendes double en quinze ans

La baisse des inégalités salariales s'est accompagnée d'une augmentation de la part des dividendes distribués (graphique 2). Celle-ci est passée de 4,6 % en 1998 à 9,5 % en 2013, soit un doublement en quinze ans. Cette augmentation s'est faite dans un premier temps au détriment des salariés. Entre 1998 et 2008, la baisse de la part de la rémunération des salariés (-5,9 points de pourcentage) est venue compenser l'augmentation des dividendes (+4,7 points de pourcentage).

À partir de 2008 et jusqu'en 2013, la part de la rémunération des salariés est repartie à la hausse (+ 5,8 points de pourcentage), alors que celle des dividendes est restée relativement stable (+0,3 point de pourcentage). Durant cette période, c'est principalement la baisse de l'autofinancement (-4 points de pourcentage) qui a permis de maintenir le niveau des dividendes, et d'augmenter celui des salariés. Afin que la part de la rémunération des salariés retrouve son niveau de 1998, les entreprises ont donc préféré sauvegarder le niveau des dividendes au détriment de leur capacité d'autofinancement.

L'augmentation de la part des dividendes dans le revenu des entreprises peut poser deux difficultés. Tout d'abord, si l'accroissement des dividendes se fait au détriment de l'autofinancement cela peut affecter la capacité des entreprises à investir. Au cours des dix dernières années, environ 75 % des investissements ont été réalisés grâce à l'autofinancement. Or, l'investissement est un élément nécessaire de la croissance. La seconde difficulté est à voir du côté de la justice sociale et des effets des inégalités sur la croissance: si les actifs financiers sont inégalement répartis au sein de la population, la hausse des dividendes entraine une augmentation des inégalités pouvant ralentir la croissance .

Les actifs financiers sont inégalement répartis au sein de la population

Une enquête de la BCE fournit des informations concernant la répartition des actifs financiers au sein de la population française. À partir de cette enquête, il est possible d'estimer la part des personnes détenant des actifs financiers par niveau de richesse et le montant médian de ces derniers. Il apparait qu'en 2013 seulement 3 % des personnes du premier quintile détenaient des actifs financiers risqués (c.-à-d. des fonds communs de placement, obligations et actions) contre 47,5 % pour le dernier quintile, soit quinze fois plus (graphique 3). La part des détenteurs d'actifs financiers risqués monte à 63,8 % pour les 5 % les mieux lotis en termes de richesse. Les actifs financiers risqués ne sont donc pas égalitairement répartis au sein de la population française.

Un constat similaire peut être fait pour le montant des actifs détenus. En effet, le montant médian des actifs détenu par le 1erquintile est de 1 000 euros contre 20 500 euros pour le 5e quintile (graphique 4). Les individus se situant dans le dernier quintile reçoivent alors davantage de dividendes que le reste de la population.

Conclusion

Deux périodes doivent être distinguées concernant la répartition de la richesse créée par les entreprises au cours des quinze dernières années. La première s'étalant de 1998 à 2008 montre une augmentation de la part des dividendes distribués au détriment de celle des salaires. Dans la seconde phase allant de 2008 à 2013, la part de la rémunération des salariés dans le revenu global des entreprises augmente pour atteindre à nouveau son niveau de 1998 (59,3 %). Pour cela, les entreprises ont décidé de réduire la part d'autofinancement afin de conserver le même niveau de dividendes.

Parallèlement à l'évolution de la répartition des richesses créées par les entreprises, les inégalités salariales ont diminué entre 1995 et 2010. Cependant, cette diminution a été amoindrie par la répartition très inégale des actions au sein de la société française. En effet, les personnes aisées sont nettement plus souvent détenteurs d'actions que les personnes modestes.

Ces différentes évolutions posent une question de fond concernant le rôle et l'importance que doit prendre la distribution des dividendes. En effet, en maintenant le niveau des dividendes au détriment de l'autofinancement, il y a un risque de fragiliser l'investissement. Par ailleurs, cela contribue à amoindrir, voire annuler, la baisse des inégalités salariales. Or, de récents travaux ont montré l'importance de limiter les inégalités de revenus pour favoriser la croissance.

Afin de réduire les inégalités et de favoriser la croissance économique, il convient donc de limiter le niveau des dividendes. En taxant davantage ce type de rémunération, la fiscalité pourrait être un outil permettant de faire évoluer les comportements. Une approche complémentaire consisterait à donner moins de poids aux actionnaires dans les décisions des entreprises afin que le niveau des dividendes versé soit déterminé de manière plus indépendante.

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BSI-Economics est une association à but non lucratif qui regroupe doctorants et jeunes actifs soucieux de partager leurs analyses et leurs expertises en matière économique et financière. Créée en octobre 2012, elle œuvre à la promotion des contributions de ses membres, au service d’une dynamique intellectuelle dans les débats débats publics et économiques. Site web : http://www.bsi-economics.org/

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