Peine de mort : questions iconoclastes

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Par Jacques Bichot Publié le 7 juillet 2018 à 5h00
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138 eurosDans une prison de long séjour, le coût journalier est évalué entre 95 et 138 euros.

La loi abolissant la peine de mort en France fut promulguée le 9 octobre 1981.

Le vote de cette loi fut l’un des actes symboliques accomplis par l’Union de la Gauche, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République le 10 mai, et le second tour des législatives le 21 juin. Il existe cependant, dans une partie de la population française et de la Représentation nationale, le désir de la rétablir, puisque 27 propositions de loi allant dans ce sens ont été déposées au fil des ans.

Au niveau international, les pays abolitionnistes sont fortement majoritaires en nombre, mais rassemblent un peu moins de la moitié de la population du globe. Les deux pays les plus peuplés, la Chine et l’Inde, et le plus puissant, les Etats-Unis, ont conservé cette institution. L’Union européenne, en revanche, l’interdit : Le Protocole n°13 de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) stipule que « La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine, ni exécuté. » Et ce protocole emphatise en ajoutant : « Aucune dérogation n’est autorisée. Aucune réserve n’est admise ». Pour sa part, la Commission a rappelé à diverses reprises que « l’abolition de la peine de mort est une condition et un préalable pour rejoindre l’Union européenne. »

Cet absolutisme des bons sentiments offre un contraste frappant avec ce qui se passe en cas de guerre, en matière d’avortement, pour le recours à l’euthanasie, pour la mort de nombreuses personnes faute de budget et de structures permettant de les sauver (pensons notamment aux victimes de maladie rares), et dans de nombreuses circonstances de la vie civile. Beaucoup d’êtres humains sont de facto condamnés à mort parce que la guerre propre est impossible, ou parce que les budgets qui permettraient de sauver des vies menacées sont insuffisants. Un vif contraste existe entre les sommes colossales qui sont dépensées pour faire vivre un criminel derrière les barreaux au lieu de l’envoyer « dans un monde meilleur », et la parcimonie, pour ne pas dire la ladrerie, dont nous faisons preuve pour offrir à une femme enceinte en détresse une autre solution que l’IVG ou pour développer les traitements qui offriraient un espoir à des adolescents atteints d’une maladie neurologique actuellement incurable.

La question se pose donc de savoir si l’interdiction absolue de la peine de mort décidée par un tribunal (cette formulation est lourde, mais nécessaire, puisque mettre fin à une vie peut être décidé par bien d’autres instances ou acteurs) ne serait pas une mesure déraisonnable imposée par une mentalité irrationnelle ayant oublié la sagesse que reflète une phrase de Pascal dans ses Pensées : « L’homme n’est ni ange, ni bête, et le malheur veut que qui veut fait l’ange fait la bête ».

La guerre, permis de tuer … y compris des civils innocents

Les hommes politiques et les chefs militaires qui donnent le feu vert pour mener telle ou telle opération, même s’il s’agit de frappes dites « chirurgicales », condamnent à mort des civils, les inévitables « victimes collatérales », qui n’ont pas de responsabilité directe dans le conflit ni dans les atrocités commises, par exemple, par des criminels tels que les djihadistes. Sur le terrain, on tue donc des innocents, ou même des victimes, qui ont la malchance de se trouver là, ou qui ont été pris pour servir de « bouclier humain » à des terroristes. Au niveau militaire, le droit existe donc de prononcer des peines capitales qui ne sont pas nominatives ni limitatives, mais qui sont tout-à-fait effectives et rapidement mises en œuvre.

L’incarcération ne met pas un terme aux activités nuisibles

A cela certains rétorqueront qu’éliminer de dangereux ennemis n’est pas la même chose que d’envoyer à la guillotine ou à la chaise électrique une personne rendue inoffensive par son incarcération. Mais l’emprisonnement suffit-il à rendre inoffensifs les pires criminels ? L’expérience montre que non. A l’intérieur du « lieu de privation de liberté », ou par contact avec des complices toujours en liberté, certains continuent à nuire de façon très efficace. Les mieux organisés et les plus puissants peuvent en effet agir, par séides interposés, à l’extérieur : les exemples abondent de malfrats ou de terroristes qui donnent des instructions à leurs complices depuis leur cellule ou telle autre partie des locaux pénitentiaires.

Quant aux nuisances générées à l’intérieur de la centrale, elles sont nombreuses, et les média s’en font d’ailleurs l’écho de temps à autre. Les violences sont quotidiennes dans les locaux où sont incarcérés des condamnés à de longues peines, et le travail des gardiens est extrêmement éprouvant du fait de certains de leurs « pensionnaires ». De plus, les risques d’évasion ne sont pas négligeables, et certains prisonniers, criminels endurcis, excellent dans l’art d’entraîner à leur suite dans la voie de la délinquance dure ou du terrorisme certains de leurs compagnons de détention : le prosélytisme en faveur du mal peut fonctionner de façon particulièrement efficace dans cet espace confiné.

Les criminels endurcis doivent-ils faire l’objet d’attentions refusées aux enfants martyrs ?

Un article consacré à la maison centrale de Vendin-le-Vieil (Le Figaro du 14 mai 2018) expliquait que l’on avait mobilisé dans un des quartiers de cette prison 40 personnes pour voir s’il ne serait pas possible de ramener à de meilleurs sentiments une dizaine de terroristes. Pendant ce temps, des centaines d’enfants victimes de violences physiques ou sexuelles sont laissés entre les mains de leurs prédateurs parce que la justice et les services de prévention n’ont pas assez de personnel, ou ne sont pas suffisamment bien organisés, pour décider rapidement de les mettre en lieu sûr. Tout n’est pas possible, parce que les moyens sont limités : faut-il faire peser le poids de cette limitation sur de malheureuses victimes de façon à pouvoir dégager des moyens extraordinaires en faveur d’auteurs de crimes odieux ? Certes, dans l’Evangile, le bon pasteur laisse son troupeau se débrouiller pendant qu’il part à la recherche d’une brebis perdue, mais ce n’est pas pour aller sauver un loup tombé dans un précipice !

Dans une prison de long séjour (une « centrale ») le coût hôtelier journalier, si l’on peut dire, est évalué entre 95 € et 138 € pour des établissements pénitentiaires ne nécessitant pas de mesures extraordinaires. Dans les quartiers de haute sécurité, il n’est probablement pas inférieur à 200 € par jour, sans compter le préjudice psychique et parfois physique subi par les gardiens, qui sont soumis à des pressions et à des brutalités difficilement imaginables. 200 € par jour, cela fait 73 000 € par an, soit presque 1,5 M€ au bout de 20 ans. Est-il raisonnable de consacrer des sommes pareilles à des criminels endurcis, alors que l’on manque dramatiquement de moyens pour prendre très vite et très correctement en charge les enfants martyrs et leur donner une chance de vivre une vie « normale », au lieu de devenir des adultes déboussolés, voire des délinquants – risque très réel selon divers psychiatres ? Que dire d’une justice qui traite mieux les criminels que les innocents ?

Des inconnus sont condamnés à mort dans le civil sans que la justice s’en mêle

L’abaissement à 80 Km/h de la vitesse sur la plupart des routes françaises n’est pas la seule mesure susceptible d’éviter des accidents mortels. De nombreux « points noirs », fortement accidentogènes, restent à supprimer. Mais les travaux nécessaires à l’amélioration de la sécurité routière coûtent aux finances publiques. Ils ne sont donc réalisés que très progressivement, ce qui revient à condamner à mort un certain nombre de personnes pour des raisons budgétaires. Cela, comme bien d’autres choix mortifères, est admis pour trois raisons :

- La première est que réaliser en même temps tous les aménagements nécessaires pour sauver des vies serait matériellement impossible. Nécessité fait loi, bien sûr, mais il serait possible d’aller plus vite, et le choix d’une certaine lenteur provoque la mort de nombreuses personnes, sans compter les blessés.

- La seconde est que, dans une situation des finances publiques qui est tendue, qui exige de choisir entre diverses dépenses, la préférence est donnée à d’autres opérations. Utiliser l’argent des impôts pour organiser à l’Elysée un concert de rappeurs qui niquent la France, plutôt que pour moderniser un service hospitalier vétuste, c’est en quelque sorte condamner à mort un innocent inconnu. Au-delà de cet exemple caricatural, bien des gens meurent, y compris dans leur lit, parce qu’en haut lieu on n’a pas donné toute la priorité possible à l’efficacité du système médical. Notons que dans ce cas, il ne s’agit pas seulement de gros sous, mais du maintien dans leurs fonctions de personnes haut-placées qui ne font pas correctement leur travail d’organisation du service de santé. Dans certains cas, tolérer l’inefficacité équivaut à délivrer un permis de tuer.

- La troisième explication est que l’on ne sait pas qui décédera des suites de certaines décisions. Avant l’abolition de la peine de mort, une Cour d’assises désignait nommément la personne qui serait exécutée. En revanche, quand les décideurs publics laissent en l’état tel équipement accidentogène, ou tel mode de management qui débouche sur davantage de décès faute de soins adéquats, il n’y a pas de condamnation à mort nominative, seulement une décision inadéquate (ou une absence de décision) qui portera tort à des personnes que l’on ne saurait désigner à l’avance. Les décès de ces malheureux seront attribués à la fatalité, ou à l’insuffisance des budgets, mais en réalité il y a bien là une autorisation de tuer.

Ainsi donc, s’il est interdit aux magistrats et aux jurés d’assises d’envoyer à la mort une personne dont le crime est prouvé, et dont la dangerosité est avérée, il est permis à une multitude de personnes de prendre en toute quiétude des décisions qui auront pour conséquence la mort de citoyens totalement innocents. L’interdiction de la peine de mort met à l’abri de la grande faucheuse quasiment les seules personnes qui pourraient lui être livrées en bonne justice, alors que de parfaits innocents sont à la merci d’un manque tragique de respect de la vie d’autrui. Le meurtre judiciaire, entouré de très grandes précautions pour qu’il ne concerne que des prédateurs coupables et dangereux, est mis hors-la-loi, alors que le meurtre anonyme, statistique, de personnes innocentes, fait partie de la routine bureaucratique. Cela n’est-il pas anormal et, pour tout dire, immoral ?

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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