[BEST OF] Au fait, comment la Grèce a truqué ses comptes ?

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Par Fabien Pirollo Publié le 4 août 2016 à 5h00
Grece Trucage Chiffres Dette Europe
60 %Pour rentrer dans la zone euro, un pays doit avoir une dette qui ne dépasse pas 60 % de son PIB.

La Grèce est entrée dans la zone euro le 1er janvier 2001 et s'est alors mise à maquiller ses comptes publics dans le but de se conformer aux critères de Maastricht. Ces derniers obligeaient notamment un pays désireux d'adopter l'euro à respecter comme ratio de solvabilité budgétaire 60 % de dette publique en pourcentage du PIB.

Or, avant son entrée dans la zone euro, la dette de la Grèce était déjà très élevée (légèrement au-dessus de 100 % du PIB) : cela n'aurait normalement pas dû lui permettre d'y entrer. Mais dans l'euphorie générale de la création d'une monnaie commune en Europe, les critères furent bafoués pour de nombreux pays et la Grèce fut acceptée, à condition toutefois de réduire sa dette publique dans les années qui suivaient son admission dans l'Union Monétaire. C'est à partir de ce moment que le pays commença à manipuler ses comptes avec l'aide de la banque américaine Goldman Sachs. Comment ?

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la Grèce n'a pas truqué ses comptes au sens où elle aurait commis volontairement des erreurs comptables, mais elle a en fait emprunté sans que cela se voit sur son bilan (elle a réalisé des opérations qualifiées de "hors bilan"), et ce en toute légalité. Comme le but est d'avoir dette/PIB < 60 % et que le PIB croît chaque année, l'objectif de la manipulation de Goldman Sachs va être de chercher à diminuer/stabiliser la dette afin de s'approcher des 60 %.

Avant 2001, la Grèce possédait des dettes essentiellement libellées en dollars et en yens (dans un soucis de simplicité je ne vais considérer que la dette libellée en dollars). Afin de se prémunir contre un risque de change (si le dollar s'apprécie, il devient plus difficile pour elle de rembourser les intérêts de ses dettes en dollars), elle a mis en place avec Goldman Sachs ce qu'on appelle un swap de devises, opération financière assez courante à l'époque pour les Etats. Cette technique financière permet d'échanger entre 2 parties (ici la Grèce et Goldman Sachs) du capital et/ou des intérêts dans 2 monnaies différentes et pour une certaine durée. Ce capital/intérêt échangé est généralement converti dans l'autre monnaie d'échange à partir du taux de change en vigueur (prix spot). C'est ici que le montage financier de Goldman Sachs débuta. Lors de la mise en place du swap à l'été 2002, on avait (pour simplifier) 1 € = 1 $. Mais la banque décida d'utiliser un taux de change historique où l'euro était plus faible, à savoir 1 € = 0,9 $ (été 2001). Cela permit à la Grèce d'obtenir plus d'euros avec les dollars qu'elle possédait que le montant qu'elle aurait dû recevoir si elle avait utilisé le taux de change en cours, d'où le prêt masqué. Concrètement, si la Grèce possédait 10 milliards de dollars, elle aurait dû les échanger à l'été 2002 contre 10 milliards d'euros sur le marché des devises (le Forex), mais avec le montage de Goldman Sachs, elle en obtint 11 milliards : le prêt dissimulé fut ici de 1 milliard d'euros. Au moment de déboucler le swap à la fin du contrat, Goldman Sachs utilisa à nouveau un taux de change fictif avec un euro sous-évalué afin de récupérer son argent.

Comment dans ce montage Goldman Sachs y trouva son compte ? De 2 manières :

1.par les commissions qu'elle toucha pour avoir mis en œuvre ce montage (estimées à 600 millions de dollars) gagées sur les recettes futures de l'Etat (recettes liées au Loto, aux taxes d'aéroports...).

2.par la spéculation sur la dette grecque. Comme Goldman Sachs savait que la situation des finances publiques grecques était catastrophique, elle acheta des CDS (Credit Default Swap) sur la dette grecque. Des CDS sont en quelque sorte des assurances qui permettent à leur acheteur (Goldman Sachs) de se prémunir contre le risque de défaut d'un tiers (la Grèce). Plus le risque de défaut du tiers est grand, plus le prix de l'assurance est élevé. Goldman Sachs acheta donc des CDS sur la dette grecque quand leur prix était très bas (juste avant le début la crise financière de 2008) et les revendit après, d'où des gains en capital très importants.

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Fabien Pirollo est diplômé de l'ESCP Europe avec une spécialisation en économie. Ancien chargé de mission à la Communauté d'Agglomération des Hauts-de-Bièvre, il est également le créateur du blog http://www.economx.pe.hu/ et analyste financier sur le site http://fr.investing.com

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