Guerre commerciale, l’escalade de la violence

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Par Stéphane Déo Modifié le 5 août 2019 à 10h30
Guerre Commerciale Etats Unis
10%Donald Trump a annoncé une augmentation de 10% des taxes douanières sur 300 milliards d'exportations chinoises à compter de septembre.

La Chine a répondu aux Etats-Unis : les entreprises publiques n’importeront plus de denrées agricoles américaines, le CNY s’est fortement déprécié et la PBOC ouvre les cordons de la bourse. Si les instruments utilisés sont très classiques, l’ampleur de la réaction inquiète dans une économie mondiale qui reste très fragile.

Point de marché : le plongeon des taux

L’effet positif du FOMC sur les taux aura duré moins de 24 heures : les taux ont rebaissé jeudi après un chiffre d’ISM américain décevant puis après le tweet de Donald Trump annonçant une hausse des droits de douanes sur la Chine, ils ont plongé durant le weekend après la réponse de la Chine (Cf. ci-dessous).

Résultat, des taux longs qui continuent de baisser très rapidement, et un volume total d’emprunts en taux négatif dans le monde qui dépasse allégrement les 14 mille milliards de dollars. Nouveau record historique. Les taux longs en Europe atteignent eux aussi des plus bas historiques. Vendredi le taux à 30-ans allemand est passé en négatif, les taux 50 ans suisses sont aussi en négatif depuis plusieurs jours. Une aberration économique !

Le mouvement à la baisse des taux de vendredi est d’autant plus remarquable qu’il s’est accompagné d’une bonne performance des périphériques. Les marchés actions ont perdu 3% en Europe sur la journée, les secteurs les plus cycliques ont été les plus pénalisés : la consommation discrétionnaire en premier, suivi des matériaux et des industrielles. C’est un signe sans ambigüité d’aversion au risque grandissante et de recherche de sécurité du marché. Malgré cela les taux italiens à 10-ans ont baissé de 4 points de base, autant que les taux allemands. Même chose pour les taux espagnols ou portugais qui auraient dû être sous pression dans un tel marché. La baisse des taux est donc indifférenciée, et si les marchés sont de plus en plus dubitatifs sur la croissance (merci Donald pour la guerre commerciale), la recherche du rendement induite par des taux sans risques à des niveaux aberrants, entraine même les pays risqués vers le bas.

Chine/Etats-Unis : la réponse du berger à la Bergère

Donald Trump a donc annoncé jeudi soir une augmentation de 10% des taxes douanières sur 300 milliards d’exportations chinoises à compter de septembre. La Chine a répondu ce weekend : si la violence de cette réponse peut surprendre, les instruments utilisés sont très classiques.

1. D’une part les entreprises d’Etat vont cesser leurs importations agricoles en provenance des Etats-Unis.

Le graphique ci-dessous montre que la tendance était là depuis longtemps, la part de marché américaine dans les importations de soja en Chine est passée de 34% en 2017 à 9% sur les 12 derniers mois. L’agriculture américaine, qui montre des signes de faiblesse de plus en plus marqués, devrait souffrir.

2.D’autre part, la devise chinoise s’est dépréciée.

Les 300 milliards d’importations représentent à peu près 4/5ème du total des importations américaines en provenance de Chine, une taxe à l’importation de 10% revient donc à augmenter le prix moyen des biens chinois de 6%. Le CNY s’est déprécié fortement ce weekend, il est passé au-dessus de 7 contre 1 dollar ce matin pour la première fois depuis 2008. Il a perdu presque 2,1/2% contre dollar depuis une semaine, il a donc déjà compensé une petite moitié des tarifs.

Il est important de noter que nous avons assisté à l’émergence d’une « zone renminbi » depuis plusieurs années, avec des monnaies asiatiques qui évoluent de plus en plus avec la monnaie chinoise. Une forte volatilité sur le CNY et une importante dépréciation (12% depuis début 2018) pourrait donc créer des faiblesses sur nombre de monnaies asiatiques. On l’a vu l’été dernier lorsque le CNY baissait, là aussi rapidement. C’est une source d’instabilité majeure : à surveiller sur cette zone qui souffre déjà beaucoup de la guerre commerciale.

  1. Finalement, pour compenser le choc négatif la PBOC a annoncé qu’elle assouplirait les conditions monétaires tout en « restant prudente ».
Là aussi du grand classique, sauf que, même avec une croissance de plus en plus domestique, on peut douter de l’efficacité de telles mesures en cas de guerre commerciale importante.

Conclusion : une escalade de la violence particulièrement inquiétante alors que l’économie mondiale est fragile. Il faut espérer que tout ceci ne soit que tactiques de négociations et que les deux pays reprennent leurs mesures. En attendant, nous avions révisé nos prévisions de croissance à la baisse par crainte que l’incertitude ne pèse sur la croissance : les données économiques ont bien fléchi et l’incertitude ne fait que progresser. La crainte principale est alors que nous entrions dans une période longue de tensions fortes comme actuellement, dans ce cas l’économie serait très affectée. Un « happy ending » hollywoodien sur ces négociations arriverait trop tard.

Données américaines : pas si mal

Plusieurs données américaines ont été publiées vendredi. Le rapport de l’emploi était certes faible, les créations d’emplois sont ressorties à 164 000 sur le mois et la tendance est à la baisse depuis le début de l’année.

Ces chiffres restent plus que corrects, et étaient proche des attentes du consensus. Les autres données du rapport sont aussi proche des attentes.

Même constat pour les commandes dans l’industrie : faible (+0,6% sur le mois, +1,1% sur l’année), en baisse par rapport à la dynamique passée, mais plutôt en ligne avec les attentes.

Au total ces chiffres sont une fois de plus cohérents avec un tassement de la croissance sur la deuxième partie de l’année, mais ne montrent pas de signes alarmants. Le plongeon des taux à la suite de ces publications vendredi (et avant le fameux tweet de Trump) s’explique donc plus par une nervosité extrême du marché que par les fondamentaux.

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Stéphane Déo est stratégiste chez La Banque Postale Asset Management. Il est diplômé d'HEC, a un DEA en économie à l'Ehess (Ecole des hautes études en sciences sociales) et un doctorat en finances à HEC. Il a effectué des études post-doctorales à l'université de Berkeley (Californie). Après l’OCDE et Goldman Sachs, il travaille chez UBS en 2001 comme économiste puis stratégiste jusqu’en 2015. Il poursuit son expérience chez Empirical Research Partners comme stratégiste actions globales.

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