La guerre commerciale ne rendra pas sa grandeur à l’Amérique

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Par Andy Cotgreave Publié le 16 juin 2019 à 6h43
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Les taxes douanières et la guerre commerciale, clefs de la prospérité pour la première puissance mondiale ? Pas vraiment, non… bien au contraire.

Les mercantilistes prétendent que les tarifs douaniers imposés par le président Donald Trump sur les importations vont permettre de réduire le déficit commercial, protéger les industries américaines et relancer les exportations vers le reste du monde.

Les développements récents dans le domaine du commerce international nous montrent que rien de tout cela ne va se produire.

A la place, les taxes décrétées par le président américain sont en train de déclencher une série de conséquences indésirables pour plusieurs secteurs clefs, en particulier l’agriculture et l’énergie.

Alors qu’ils étaient jusqu’à présent leader sur les marchés mondiaux, ces secteurs d’activité souffrent aujourd’hui [aux Etats-Unis] beaucoup plus qu’ils ne sont aidés par la mise en place des nouveaux tarifs douaniers, ce qui apporte la preuve que l’ancien président Ronald Reagan avait raison lorsqu’il affirmait, en substance, que les mots les plus terrifiants de la langue anglaise sont : « je suis du gouvernement et je suis ici pour vous aider ».

Les producteurs de soja en première ligne

Depuis le début du conflit entre les Etats-Unis et la Chine, les producteurs américains de soja ont été décimés. Etant donné que Beijing représentait leur marché principal, la filière s’est retrouvée dans l’incapacité d’écouler sa production.

Par conséquent, les stocks invendus ont pourri sur place, les coûts de stockage se sont envolés, de nombreuses fermes ont fait faillite et celles qui le pouvaient ont commencé à se reconvertir dans d’autres productions telles que le coton, le blé ou la luzerne.

Le gouvernement fédéral a essayé de venir en aide à la filière en distribuant des subventions et en se portant directement acquéreur d’une partie des stocks invendus (une mesure précédemment employée lors de la Grande dépression).

Dans le contexte de ce conflit commercial initié par les Etats-Unis et dont il semble difficile d’entrevoir une résolution, certains des plus importants acheteurs mondiaux de soja ont commencé à se tourner vers d’autres pays étrangers pour répondre à leurs besoins.

Ceci a bien évidemment eu pour conséquence un effritement de la part de marché des producteurs américains sur le marché mondial, alors que les Etats-Unis étaient leader incontesté dans ce secteur depuis des années.

En plus du fait que le Brésil est parvenu à prendre la place des Etats-Unis en tant que premier producteur mondial, d’autres nations cherchent également à accroître leurs parts de marché. Au moment où le prix du soja commence à repartir à la hausse (après avoir atteint son niveau le plus bas depuis près de 12 ans), le jeu pourrait en valoir la chandelle pour ces pays.

La Chine a lancé en 2018 un plan quinquennal pour augmenter sa production nationale de soja. Alors que nous ne sommes qu’au début de la deuxième année de ce plan, la deuxième économie mondiale estime que la production devrait atteindre cette année son niveau le plus élevé depuis 14 ans.

Compte tenu de la baisse de la demande en provenance d’Afrique, qui s’explique par l’épidémie de fièvre porcine, le volume de production pourrait être suffisant pour permettre à la Chine d’être totalement autosuffisante, en tout cas à court terme.

L’Inde a également commencé à augmenter ses surfaces dédiées à la culture du soja. Au cours de la saison 2019, les fermiers indiens, en particulier ceux dans le domaine du coton, ont amorcé une transition vers la production de soja. L’année dernière, la production avait déjà augmenté de près de 7%.

Grâce à des conditions climatiques favorables, l’Argentine devrait connaître une hausse de 48% de sa production par rapport à l’année dernière, soit deux points de plus que la précédente estimation du mois d’avril. L’Argentine est le troisième producteur mondial.

Même l’Europe, qui a promis d’acheter davantage de soja américain, anticipe une hausse de sa production de plus de 14% cette année.

Une industrie sidérurgique chinoise indétrônable

La Chine contrôle depuis plusieurs années plus de la moitié de la production mondiale d’acier. Les analystes ont constaté que les tarifs douaniers imposés depuis maintenant plus d’un an n’ont eu « aucun effet » sur la production d’acier de la seconde économie mondiale.

Comment l’expliquer ? La demande interne reste dynamique et le pays bénéficie d’une exemption complète de tarifs douaniers de la part des autres pays dans le monde.

Bien que l’administration Trump ait imposé des taxes sur les importations d’acier en provenance de Chine, la superpuissance économique chinoise profite des exemptions accordées par le Canada, la Corée du Sud, l’Espagne ou encore le Royaume-Uni.

Le géant asiatique est même parvenu l’année dernière à augmenter sa production totale d’acier à 928,3 millions de tonnes, contre 831,7 millions de tonnes en 2017.

Les exportations ont chuté de 8%, mais cette baisse a été plus que compensée par la hausse de la demande nationale.

Paul Bartholomew, rédacteur en chef de S&P Global, a expliqué dans une interview pour le South China Morning Post :

« L’année dernière, lorsque les tarifs douaniers ont été mis en place, le marché de l’acier a réagi négativement en Chine. C’est un marché fortement influencé par le niveau de confiance des acteurs économiques et qui craint particulièrement les annonces politiques.

Mais après quelques jours le marché est revenu à la normale. Au cours des trois premiers trimestres, il était particulièrement dynamique et robuste, la demande était extrêmement forte.

Les tarifs sur l’acier, cette soi-disant guerre commerciale, n’ont pas affecté le marché de façon significative. Elle a joué un rôle important sur le sentiment des intervenants, mais la demande nationale était suffisamment forte pour maintenir à flot la sidérurgie. »

Globalement, la part des Etats-Unis dans les importations d’acier chinois a diminué, passant de 5% à seulement 2% l’année dernière.

La bataille du gaz naturel

L’ascension de l’Amérique en tant que producteur autonome en énergie au cours des dernières années représente un développement remarquable. Les Etats-Unis n’ont désormais plus besoin de se soumettre aux demandes de l’OPEP. Non seulement les USA sont capables de couvrir leurs propres besoins en énergie, mais sont maintenant en position d’alimenter le reste du monde.

La révolution du gaz naturel devrait encore continuer au cours de la prochaine décennie – voire au-delà – mais les Etats-Unis pourraient perdre une partie de leurs débouchés si la guerre commerciale devait se prolonger.

Tandis que les Etats-Unis devraient prendre la place de la Russie en tant que leader mondial sur le marché du gaz au cours des prochaines années, Washington et Moscou rivalisent pour le contrôle de deux marchés clefs : la Chine et l’Europe.

Quand Beijing a annoncé vouloir imposer des tarifs douaniers en représailles sur plus de 5 000 produits américains, la liste incluait le gaz naturel liquéfié (GNL) importé des Etats-Unis. Depuis le 1er juin, ils subissent une taxe de 25%.

Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les entreprises américaines du secteur de l’énergie, en particulier compte tenu de la tendance à la diminution des importations.

D’après Reuters, seuls 27 méthaniers ont été envoyés en Chine depuis les Etats-Unis en 2018, contre 30 l’année précédente. Et plus de la moitié des méthaniers qui ont quitté les ports américains en 2018 l’ont fait avant que ne se déclare la guerre commerciale.

Dans le même temps, les négociations commerciales entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis semblent avoir porté leurs fruits pour les entreprises américaines de gaz naturel.

Depuis 2016, les exportations américaines de GNL vers l’Europe se sont envolées de 272%, avec des importations particulièrement élevées entre le mois d’octobre 2018 et le mois de mars 2019.

Mais la Russie a conservé l’année dernière sa position en tant que principal fournisseur en gaz naturel de l’Union européenne, suivi de la Norvège. Il faut également noter que l’Algérie et le Qatar augmentent rapidement leurs exportations d’énergie vers la Zone euro.

Les chiffres de la Commission européenne indiquent que 11 Etats-membres, dont l’Autriche, la Finlande et la Hongrie, achètent plus de 75% du gaz naturel dont ils ont besoin auprès de Moscou, principalement en raison de leur proximité géographique.

A l’avenir, deux facteurs principaux devraient favoriser la Russie.

Premièrement, nous ne sommes pas à l’abri d’une dégradation des relations commerciales entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Cela pourrait se produire dès à présent. Les négociateurs américains ont en effet accusé l’UE de ne pas tenir ses engagements dans le cadre de l’accord temporaire qui avait été conclu et qui prévoyait une augmentation des achats de produits agricoles.

La commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, a déclaré au magazine Foreign Policy :

« Mais c’est exact, nous avons une longue liste de problèmes dans le domaine commercial sur lesquels nous en sommes en désaccord avec l’administration américaine. Nous devons négocier avec un pistolet sur la tempe. Nous avons des lignes rouges extrêmement claires à ne pas dépasser, des exigences très claires, mais nous sommes également déterminés à affirmer que l’UE et les Etats-Unis sont amis et sont historiquement des alliés naturels — nous devrions avoir un programme commun. »

Le deuxième facteur clef concerne les pipelines. La Russie a un avantage par rapport aux Etats-Unis en termes d’infrastructures et de coût de transport. En plus de nombreux pipelines majeurs déjà installés, la Russie a engagé la construction de plusieurs nouveaux pipelines de grande envergure, y compris le projet Nord Stream 2 qui vise à relier la Russie et l’Europe par la mer Baltique. Ceci pourrait expliquer pourquoi le Congrès US s’est attaqué à ce projet au travers de nouvelles sanctions.

Trump ne fera pas de miracles pour l’industrie

Les partisans de la politique commerciale de Trump affirment que le reste du monde a depuis trop longtemps injustement profité des Etats-Unis. Les tarifs douaniers visent, d’après eux, à réduire le déficit commercial, créer un terrain de jeux plus équitable pour les producteurs américains, et relocaliser les emplois aux Etats-Unis.

La guerre commerciale a-t-elle été un succès à cet égard ?

Depuis que le président Trump a pris ses fonctions, le déficit commercial s’est accru, les prix à la consommation ont augmenté, les tarifs douaniers n’ont pas eu d’effets significatifs sur le dynamisme du marché de l’emploi et la compétitivité des industries américaines se dégrade sur les marchés internationaux.

Si c’est à cela que ressemble une victoire dans une guerre commerciale, je n’ose même pas imaginer à quoi ressemblerait une défaite.

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Article initialement publié en langue anglaise par le Mises Institute

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Andy Cotgreave, expert en analytique visuelle chez Tableau Software

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