Les Sentiers de la guerre économique : les Samouraïs de l’information

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Par Nicolas Moinet Modifié le 13 août 2018 à 6h52
Japon Nikkei Marches Bourse Monnaie

[...] Nous sommes au siège de la Grande Loge de France, rue Puteaux dans un temple maçonnique où Jean-Gérard Nay a été invité à parler de son ouvrage Manager au Japon, un itinéraire – un véritable voyage initiatique dans la culture japonaise.

Il intervient dans le cadre d’une tenue blanche ouverte, une conférence à laquelle peuvent assister des « profanes » et où le conférencier peut-être ou non lui-même franc-maçon. Le matin, nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans un café proche du Parc Monceau. Je lui avais écrit suite à l’un de ses articles parus dans la revue Défense Nationale. Son titre « Intelligence économique et logique du samouraï » m’avait évidemment interpellé.

Le monde est décidemment tout petit ! Moi qui revenais d’une mission à Tokyo sur l’intelligence économique, je découvrais que cet ancien Président d’Elf Atochem Japon avait habité en face de mes grands-parents tourangeaux à côté des Prébendes. Il m’invitait alors à le rejoindre le soir même pour assister à sa conférence, me faisant découvrir à cette occasion un lieu pour le moins inattendu. Et j’apprendrais d’ailleurs bien plus tard en lisant ses mémoires qu’à la même époque, Bernard Esambert vint également disserter de la guerre économique auprès de francs-maçons de la Grande Loge de France.

« La pratique du renseignement est ancrée au plus profond de la culture japonaise, explique d’emblée notre orateur. Ainsi, le visiteur étranger est-il entouré d’yeux qui l’observent et d’oreilles qui l’écoutent. A l’étranger, chaque Japonais est considéré comme un « envoyé ». » Il sourit et je me rends compte à cet instant là que ses yeux sont légèrement bridés : moins qu’un japonais sans doute mais plus qu’un occidental. Nous renvoyant à quelques kanjis retranscris sur des documents qu’il distribue, il précise : « Ambassadeur se dit Tai Shi qui signifie grand envoyé. Ce sens suggère qu’il existe des « petits envoyés » de tout type d’activité. Le renseignement est l’affaire de tous, ce qui ne l’empêche pas d’être une activité noble. Dans cet esprit, Mittei, vieux mot pour dire espion signifie « homme de rectitude secret » car il faut plus de droiture pour être un espion envoyé au loin que pour être sabre de la garde. De même, le stratège Sun Tzu explique que le renseignement est la matière la plus importante dans l’art de la guerre car sans informations sur l’ennemi, on ne peut élaborer de plans de batailles efficaces. Puis il conclut : une armée sans espion serait comme un homme sans yeux ni oreilles. Plus que dans aucune autre culture, si ce n’est peut-être la germanique, le renseignement est une activité noble... ».

Quelques semaines plus tôt, j’avais pu le constater sur le terrain tant du côté japonais que du côté américain et anglais. Entre l’aéroport Nagoya et le centre de Tokyo, le « hasard » m’avait fait rencontrer un jeune américain qui m’invitait après quelques phrases échangées à un « barbecue » chez lui le week-end suivant. Il me tendit alors sa carte d’Intelligence Officer à l’US Navy. Est-ce cela que l’on appelle « se faire tamponner » ? Je ne donnais pas suite et commençais deux jours plus tard une série d’entretiens, notamment dans des administrations nipponnes en charge de la science et de la technologie. A peine arrivé, mon interlocuteur me reçut en m’offrant un cadeau et en me demandant comment s’étaient passées mes visites précédentes. Me listant les organismes où j’étais déjà allé, je compris alors ce que signifiait concrètement la circulation de l’information entre administrations. Avaient-ils une base de données commune ? M’avaient-ils suivi ou s’étaient-ils tout simplement téléphoné après que j’ai indiqué où je comptais me rendre ? Mais surtout, cela aurait-il pu se produire en France ? Pas à l’époque en tous cas… Une autre anecdote en dit long sur le traitement de l’information au pays du soleil levant : je compris à la fin d’un de mes entretiens que le cadre à qui je m’adressais depuis le début était en fait l’adjoint du Directeur car c’était ce dernier qui prenait des notes, légèrement en retrait ! Etait-ce cela la force de la deuxième puissance économique mondiale : une capacité d’écoute sans équivalent bien loin de l’arrogance française et plus largement occidentale ?

Mais en termes de culture des réseaux, je découvrirais rapidement que les Américains et les Anglais n’étaient pas en reste. Ainsi avais-je pu dénicher dans une librairie de la capitale japonaise un petit livre intitulé « Networking in Tokyo ». Parmi la centaine de clubs et sociétés répertoriées, il y en eu un qui retint rapidement mon attention : le Science and Technology Action Commitee. Ce réseau avait pour but de favoriser les échanges informels entre des scientifiques étrangers désireux de discuter de questions de recherche orientées vers le développement.

Par exemple :
Comment les Japonais transforment-ils les résultats de la recherche fondamentale en innovations ? Telle technologie a-t-elle un avenir dans la téléphonie mobile ? Ou encore, quel état des lieux peut-on dresser de la supraconductivité ? Par chance, ce club se trouve en face de l’Institut culturel français où je suis alors hébergé… dans le sous-sol d’un Pub british. Loin d’être rejeté en tant que mangeur de grenouilles, je me retrouve à boire une bière en discutant avec un ingénieur et un chef d’entreprise anglais, à côté du portrait de la « Queen ». Quelques pintes plus tard, je fus naturellement invité à participer à la prochaine réunion. Entrée libre et gratuite, « of course » ! Et bien qu’il ne soit pas nécessaire d’en être membre, c’est la Chambre de commerce britannique qui gère le Science and Technology Action Committee. C’est d’ailleurs à elle qu’il faut s’adresser pour avoir des informations…

Ceci est un extrait du livre « Les sentiers de la guerre économique : L'école des nouveaux espions » écrit par Nicolas Moinet paru aux Éditions VA Press (ISBN-13 : 979-1093240718). Prix : 20 euros.

Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions VA Press.

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Nicolas Moinet est auteur du livre « Les sentiers de la guerre économique » (Éditions VA Press).

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