Percer le voile d’incertitude (au moins essayer !)

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Par Hervé Goulletquer Publié le 2 septembre 2020 à 13h22
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Les deux incertitudes fondamentales à l'horizon des prochaines semaines sont la politique budgétaire américaine (Démocrates et républicaines vont-ils s'entendre sur un nouveau plan de relance, dont la nécessité n'est pas discutable) et les relations entre Washington et Pékin (la question taïwanaise est à suivre de très près). Les craintes autour de ce deuxième dossier devraient inciter à régler le premier rapidement et positivement.

Et puis il y a cette montée des doutes sur le résultat de l'élection présidentielle de novembre prochain aux Etats-Unis. Et s'il était si serré qu'il ouvrait une période de tensions politiques à même de durer plusieurs semaines ?

On s'interrogeait en début de semaine sur le voile d'incertitude, porté par une épidémie qui paraît refuser de se faire oublier. On avait alors insisté sur des tendances longues, déjà visibles ou à peine dessinées, et sur le sens qu'il fallait leur donner, dans une perspective de marché de capitaux.

On ne voulait pas le faire à ce moment-là ; mais il faut bien se jeter à l'eau. Parlons donc du court terme ! J'ai envie de dire que l'environnement de marché, plus ou moins propice à la prise de risque, va dépendre de cinq critères :

1) Le développement de la maladie ; eu égard à une certaine inertie du processus, les préoccupations en la matière ne vont pas disparaître subitement ;

2) Le tempo de la croissance ; on sait qu'il ne peut que ralentir au quatrième trimestre en Europe et aux Etats-Unis, après le spectaculaire rebond enregistré au cours du troisième ;

3) Les mesures de soutien/relance prises par les responsables de politique économique, afin d'assurer que 2021 se présente sous les meilleurs auspices en termes de perspective d'activité ;

4) Le climat international, avec avant tout la capacité plus ou moins grande des Américains et des Chinois à ne pas accélérer la dégradation des relations bilatérales à un point tel qu'elles ne seraient plus guère gérables ;

5) L'élection américaine de début novembre.

Les points 3 et 4 sont assurément les plus délicats. Essayons de les creuser un peu. Il me semble que la principale incertitude sur les initiatives de soutien/relance (le point 3) concerne la politique budgétaire américaine. Elle a été spectaculairement proactive au deuxième trimestre (un effort de plus de 1600 milliards d'USD) ; l'effort s'est réduit de moitié en T3 avant de baisser encore plus en T4. Peut-on considérer que l'environnement économique américain est suffisamment bien balisé pour renoncer à tout soutien de la part du budget fédéral ? La réponse est négative. Il est clé qu'un compromis soit trouvé à Washington et le plus vite sera le mieux. L'entrée dans la dernière ligne droite de la campagne électorale ne doit pas servir de prétexte à ne pas agir.

Parlons maintenant du climat international (le point 4). La principale préoccupation, vue du marché, concerne les relations sino-américaines. La confirmation de part et d'autre que l'accord économique et commercial, dit de phase 1 et signé en janvier dernier, se déroule de façon satisfaisante n'est que l'écume des choses. Peut-être pour montrer aux milieux des affaires qu'un texte signé à un très haut niveau politique est fait pour être respecté. Au moins pour un temps, avons-nous envie de rajouter. La volonté de la Maison Blanche d'entraver le développement des « champions » chinois de la Tech (Huawei et maintenant TikTok et peut-être WeChat) et les tensions autour de Taïwan sont probablement plus révélatrices de la réalité du rapport entre les deux pays. Et c'est sans doute la question de Taïwan qui apparaît aujourd'hui la plus dangereuse.

Il ne faut pas oublier que la Chine, au cours des dernières années et sous la présidence de Xi Jinping, a déroulé son programme de meilleur contrôle de sa périphérie ; qu'il s'agisse, à l'intérieur de ses frontières administratives, du Tibet et du Xinjiang, ou, à la marge de celles-ci, des mers de Chine et de Hong Kong. Reste Taïwan. La récente « mise au pas » de Hong Kong incite les Américains à envoyer des messages clairs de soutien au gouvernement de Taipei. Ainsi Washington vient juste de décider d'installer dans l'île son seul centre de maintenance des avions de chasse F16 en Asie orientale. Quelle sera la réaction de Pékin ?

Je ne crois pas que le marché puisse absorber sans une réaction négative la conjonction d'une déception autour de la question budgétaire américaine et d'une montée des tensions diplomatiques entre la Chine et les Etats-Unis. Le pouvoir politique à Washington a la main sur le premier dossier ; beaucoup moins sur le second. Il y a ici une raison pour forcer au compromis entre Démocrates et Républicains au Congrès. Qui peut dire quel camp sortirait moins abimé d'un « coup de tabac » sur les marchés dans un double contexte de crise sino-américaine et de blocage au parlement d'un plan de soutien/relance pourtant nécessaire ?

C'est en gardant à l'esprit cette double interrogation qu'il faut aborder la question de l'élection américaine (le point 5). Une hausse plus marquée sur le contrat future VIX expirant à fin octobre que sur le spot porte sans doute la trace d'une inquiétude sur le déroulé du vote pour élire le nouveau Président. Les sondages et encore plus les paris envoient un message de réduction de l'écart entre Biden et Trump, même si celui-ci reste en faveur du premier candidat. Faut-il alors craindre un résultat serré, qui serait contesté par l'un et/ou l'autre des deux camps ? Avec alors une période d'incertitude, sur fond d'acrimonie politique, à même de durer plusieurs semaines.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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